dimanche 5 octobre 2025

L’enfer administratif du commandant Pierre Colin, commandant le GC 1/8

Plusieurs articles ont montré comment et pourquoi plusieurs tentatives de l’armée de l’air pour s’autonomiser dans le domaine du soutien administratif et logistique n’ont pu aboutir entre 1934 et 1940 (1). 

L’intendance a continué à assurer ce soutien, créant pour cela, au sein même des structures Terre, des services chargés de répondre aux besoins des commandements et unités de la nouvelle armée de l’air, et plaçant un intendant "conseiller technique" auprès de chaque commandant de région aérienne puis à l’état-major de l’armée de l’air. 

Capitaine Colin 
La revue Les Ailes (n°18) nous éclaire sur le "soutien" administratif et logistique apporté aux unités navigantes, avec l’expérience vécue par le GC 1/8 durant la « drôle de guerre ».

« En 1939, l’organisation de l’armée de l’air est un indigeste mille-feuilles administrativo-hiérarchique dans lequel prévaut le règlement mais sans le moindre sens pratique. Pour le GC 1/8, qui est un groupe de coopération et qui s’installe à la mobilisation sur la base de l’aéronautique navale de Hyères, la situation va devenir cauchemardesque pour le commandant Colin.

L'officier mécano (à g), l'adjoint admin (à dr)

Théoriquement, lorsqu’il s’installe sur son terrain de campagne, chaque groupe de l’armée de l’air bénéficie du soutien (très théorique) d’une compagnie de l’air, qui gère le ravitaillement et une bonne partie des sujets administratifs, dont les soldes. S’ajoutent également une section spécialisée du parc qui assure le ravitaillement technique et un détachement de transmission. 

Alors même que le déplacement du 1/8 à Hyères en protection de Toulon était connu à l’avance, rien n’est en réalité prévu quant à sa situation spécifique. Arrivé sur place [fin août 1939], le constat est simple : il n’y a rien.

Sur le plan technique, les hommes se débrouillent tant bien que mal avec l’aide du Parc de la base Marine, et l’entente avec les marins fait le reste. C’est une autre paire de manches pour les soldes et le ravitaillement, et ce, d’autant que la section administrative et comptable du groupe est réduite à rien ou presque (ce qui est logique, puisqu’un groupe n’est pas censé en avoir besoin).

Commandant Colin
Sans autre solution, le commandant Colin est obligé de passer par la compagnie de l’air 14/108 qui gère le terrain du Luc à près de 60 km de là, y compris pour son carburant et ses munitions. Excédé, et comme beaucoup d’autres commandants de groupe, il opte pour une solution qui ne s’embarrasse pas de détails : il traite directement de certains aspects avec l’état-major de l’air régional 15 de Marseille.

Si, sur le papier, cela peut paraître simple, cela ne l’est pas car il s’agit alors, avec des moyens humains dérisoires, de gérer en direct l’argent, les besoins et le ravitaillement d’un groupe de chasse complet qui compte pas moins de 170 hommes. L’air de rien, cela va de la paire de chaussettes aux éléments les plus techniques réclamés par les mécaniciens. À cela s’ajoutent, une fois encore, les soldes pour des hommes qui, pour beaucoup, ont une famille à charge.

Près de la station des trans (à dr)
Pierre Colin écrit par la suite : « Les rapports récriminatoires, les réunions hebdomadaires et les coups de poing sur la table ne peuvent venir à bout d’une inertie absolue ». Pour imaginer l’énergie perdue par les officiers, un simple exemple est parlant : le personnel vit et se nourrit sur la base d’Hyères où le coût des rations Marine est différent de celui des rations Air ! Il faudra quatre mois de courriers et de rapports pour trouver une solution.

En mars 1940, à Cherbourg (Manche) puis en avril à Velaine (Meurthe et Moselle) [où le groupe est transféré], la situation sera toujours la même et le groupe apprend très vite à vivre par lui-même, comme d’ailleurs à peu près toutes les unités en opération.

Pensée en dépit du bon sens et préparée uniquement sur le papier, l’organisation générale de l’armée de l’air n’aura été pour beaucoup d’opérationnels, ni un facilitateur ni un soutien, mais un frein d’une rigidité et d’une passivité coupables. »

Matthieu Comas, rédacteur-en-chef de la revue Les Ailes  - avec la documentation personnelle de Benoît Colin

(1) « Le faux départ du commissariat de l’air en 1934-L’impact du rapport Jacquinot » Par le commissaire général (2S) François Aubry (7 septembre 2017 : taper: Jacquinot)

« Le commissariat de l’air dans l’histoire de l’aviation militaire française » (19 mai 2016)

 « Origines du commissariat de l'air (1/7) par le commissaire général (2S) Philippe Meyer (8 septembre 2013)

Nos remerciements :

A Matthieu Comas, rédacteur-en-chef de la revue Les Ailes, revue signalée pour la qualité et l’originalité de ses articles (avec, dans le numéro 18, une recherche approfondie sur les couleurs de camouflage des avions l'armée de l'air de 1934 à 1940) 

Ainsi qu’à Benoît Colin, petit-fils du commandant Colin, historien de l’aéronautique ("Robert Thollon, officier pilote de chasse et résistant d'exception 1914-1948";"D'un engagement à un autre - Pierre Colin"), membre du bureau et trésorier de l’association du Mémorial des aviateurs (https://www.memorial-des-aviateurs.fr)