jeudi 7 mars 2019

Audition du commissaire général Stéphane Piat, DCSCA

par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’assemblée nationale le 6 février 2019
Extrait
« Pourquoi engager un projet de transformation ? Lorsque j’ai pris mes fonctions voilà plus de deux ans, j’ai dressé un bilan d’entrée qui m’a permis de constater les forces de ce service, notamment son aptitude à répondre aux enjeux opérationnels et sa forte professionnalisation, mais aussi les difficultés lourdes auxquelles il était confronté.


Des difficultés lourdes

La première d’entre elles est sans conteste la tension sur les ressources humaines, causée par les déflations lourdes et continues subies depuis dix ans – environ 30 % des effectifs, soit près de 9 000 postes supprimés –, exacerbée par une remontée des effectifs à soutenir depuis 2015. C’est ce que l’on appelle l’effet ciseau, qui a été destructeur pour le moral de mes collaborateurs et qui a fortement touché les capacités du SCA.

Mon deuxième constat a été celui d’une sous-capitalisation chronique du commissariat, c’est-à-dire d’un manque d’investissement dans nos infrastructures et nos équipements, ainsi que d’une insuffisante modernisation de nos outils et de nos processus qui, pour certains, datent de mon entrée dans l’armée – il y a environ 34 ans…
La combinaison de ces facteurs n’a pas été favorable à la modernisation et à l’amélioration de la qualité du soutien, ce dernier ayant globalement été maintenu à niveau par le professionnalisme et l’engagement des personnels, visant toujours en priorité la satisfaction des besoins opérationnels.

Enfin, j’ai constaté qu’un sentiment d’éloignement entre le monde du soutien et celui des forces était en train de s’installer à la suite des réformes de 2010, fragilisant notre relation avec les armées et créant parfois des tensions ou des incompréhensions inutiles.

Le statu quo n’était donc pas possible. C’est pourquoi, après un travail préparatoire de dix-huit mois associant l’ensemble des acteurs du ministère, la ministre des Armées a décidé, en décembre dernier, d’engager un projet de transformation ambitieux du commissariat des armées, baptisé SCA 22. Ce projet est centré sur deux objectifs très simples : renforcer le soutien de proximité au profit des forces ; moderniser et améliorer la qualité du soutien délivré à nos militaires.

J’en viens au contenu de ce projet de transformation. 
Son premier objectif, je l’ai dit, est le renforcement du soutien de proximité au profit des forces. Son atteinte passera par l’imbrication plus forte du commissariat avec chaque unité opérationnelle – régiment, base aérienne ou aéronavale – et par une offre de service plus proche de chaque administré. Concrètement, cela consistera à créer dès 2020 des « pôles commissariat » au sein de chaque groupement de soutien de base de défense. Ces pôles, dirigés par des officiers ou équivalents, seront totalement dédiés à l’appui des unités soutenues. Ils vivront à leur rythme et en lien constant avec leur commandement. L’efficacité de leur action reposera sur leur adossement à la structure commissariat, en premier lieu celle du groupement de soutien. Trois GSBdD expérimentent ce dispositif depuis l’été dernier, à la très grande satisfaction des unités soutenues, comme ont pu le constater les trois chefs d’état-major d’armée et le chef d’état-major des armées lors d’une récente visite il y a quinze jours sur la base de défense (BdD) de Bordeaux.

Au sein de ces pôles, des espaces multiservices baptisés Atlas sont installés à proximité des lieux de travail des soutenus. Ces espaces constituent un point d’accueil, de service et d’accompagnement sur une vaste palette de prestations et démarches administratives, allant de la solde à l’habillement, aux changements de résidence, au renouvellement de passeports ou encore aux loisirs. Le catalogue est large, avec vingt-trois prestations, adaptées aux différents milieux et à la nature des bénéficiaires – forces de Sentinelle, familles, etc. Une vingtaine d’espaces Atlas ont été ouverts. Ils ont, là encore, donné toute satisfaction. Une centaine d’espaces Atlas seront opérationnels dès la fin de cette année, avec une cible de 200 à horizon 2021. Le modèle qui sera appliqué dès l’année prochaine comprendra donc quarante-cinq GSBdD, soit un par base de défense, 110 pôles commissariat en regard des grandes unités des trois armées et 200 espaces multiservices Atlas sur les principaux sites de nos emprises militaires.

Le deuxième objectif, la modernisation et l’amélioration de la qualité du soutien délivré à nos militaires, concerne l’ensemble des fonctions assurées par le SCA. À l’aide des trois leviers majeurs que sont la digitalisation, la rationalisation et l’externalisation, il vise à produire au plus tôt des résultats concrets au profit de nos administrés, et à me permettre de redéployer en interne des effectifs dégagés par une productivité accrue.

Trois chantiers majeurs mobilisent fortement le commissariat et concernent des fonctions qui ont eu à souffrir des réformes passées. 

Le premier, méritant un temps d’arrêt, est celui de l’habillement dont les fragilités et les insuffisances actuelles créent, et à juste titre, un mécontentement dans les armées. Les difficultés ne datent pas d’aujourd’hui. Elles sont structurelles et résultent de la conjonction de plusieurs facteurs : absence de système d’information logistique de bout en bout, tissu industriel fragile et peu réactif, gamme encore trop large d’articles et de références, règles de gestion complexes. L’option de l’externalisation de cette fonction a été écartée en 2013 au profit d’une modernisation du dispositif en régie. L’année 2019 devrait être marquée par la mise en œuvre de cette modernisation, avec l’ouverture dès le mois prochain d’un entrepôt logistique ultramoderne à Châtres, suivie de la généralisation de la distribution par correspondance accessible par internet qui débutera en juin par l’armée de l’air. Ces actions seront combinées avec une rénovation en profondeur de la stratégie d’approvisionnement en lien avec nos fournisseurs et à une rationalisation des règles de gestion et de dotation en lien avec l’état-major des armées et les armées. Je voudrais, enfin, relativiser les difficultés rencontrées car aujourd’hui, après les efforts consentis en 2018, l’équipement de nos militaires en opérations non seulement ne pose plus de difficulté, mais bénéficie de l’arrivée de nouveaux matériels de haute technicité comme le treillis F3 et le système modulaire balistique de nouvelle génération.

Le deuxième chantier est celui de la restauration. Les fortes déflations d’effectifs enregistrées dans ce secteur, la moyenne d’âge élevée de son personnel ainsi que la dégradation des infrastructures et des matériels imposaient des décisions rapides pour remettre à niveau une fonction durement éprouvée et pourtant centrale pour la condition du personnel. Pour répondre à cette exigence, la ministre des Armées a décidé d’externaliser une partie de cette fonction à l’économat des armées (Eda) en lui confiant l’exploitation de soixante-treize restaurants, soit un quart des restaurants de métropole actuellement opérés par le SCA. Cette concession à l’Eda, établissement public sous tutelle du ministère, permettra de moderniser la fonction, sans remettre en cause son aptitude opérationnelle au soutien des forces. L’Eda conservera la direction des restaurants et la maîtrise des approvisionnements, mais sous-traitera la production comme c’est déjà le cas sur certains sites. Cette concession sera réalisée de manière progressive entre 2020 et 2025. Elle constituera, grâce à la capacité d’investissement de l’économat, un levier d’accélération de la modernisation de la fonction et améliorera les conditions de travail à court terme par un renouvellement rapide du matériel de restauration et une remise à niveau des infrastructures. Elle permettra, enfin, un redéploiement d’effectifs au profit des restaurants que le SCA continuera d’opérer directement en régie.

Je ne terminerai pas ce tour d’horizon des chantiers de modernisation mis en œuvre par le commissariat des armées sans évoquer celui de la solde. Mon service porte en grande partie la responsabilité de la bascule du système Louvois vers le système Source Solde. L’échec n’est pas permis. Il détruirait pour longtemps toute confiance de nos militaires dans leur administration. Les travaux de fiabilisation menés depuis 2015 sur ce projet majeur, ainsi que ceux consentis pour stabiliser le calculateur Louvois, garantissent la robustesse retrouvée de notre chaîne solde. Le prélèvement à la source sur la solde des militaires, instauré en janvier sans incident majeur, en atteste également. »