dimanche 16 mars 2025

Pilote ou médecin ? Les deux mon général !

Par le commissaire général (2S) Patricia Costa

Dans la dernière livraison de la Revue de la défense nationale*, aux contenus toujours variés, aussi bien militaires que sociétaux, nous signalons un article évoquant la mémoire du médecin général Valérie André, sous la plume d’une autre femme officier général, rencontre de deux aviatrices, l’une médecin et pilote, l’autre commissaire de l’air. Quelques extraits, comme une invitation à lire l’article complet.

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« Le général Valérie André a atteint un nouveau record, celui de la longévité en s’éteignant le 21 janvier 2025 à l’aube de ses 103 ans. 

Entre la petite fille de 10 ans qui porte un bouquet de fleurs à Maryse Hilsz, pionnière de l’aviation militaire qui se pose à Strasbourg en 1932, et la légende vivante de la médecine de guerre doublée d’une pilote exceptionnelle, connue et reconnue dans le monde entier, c’est toute une vie d’héroïne qui s’achève par une émouvante cérémonie dans la cour d’honneur des Invalides le 27 janvier 2025. 

Sa passion pour l’aviation débute très tôt, peut-être vers l’âge de 5 ans. Aussi, à peine adolescente, la jeune Valérie, s’inscrit à l’école de pilotage à l'aéroclub de Strasbourg sur un avion Potez, et finance sa progression grâce aux cours de mathématiques qu’elle donne. Le « lâcher » n’aura pas lieu car la guerre oblige les alsaciens à fuir en France libre et c’est à Clermont-Ferrand où la famille se réfugie en 1939 que notre pilote en herbe débute ses études de médecine, en même temps que ses cours de pilotage sur planeur, pour réaliser son autre rêve : devenir médecin. 

Mais cette période s’achève avec l’occupation de la zone sud et le départ clandestin vers Paris où elle poursuivra ses études de médecine jusqu’au diplôme en 1947. La période de guerre l’a profondément marquée et son désir de servir est plus fort que tout, ce qui se traduit par un engagement déterminé en se formant au parachutisme (diplôme de parachutisme obtenu à Bayonne) ainsi qu’en encadrant une « préparation militaire parachutisme » sur le plan médical (son sujet de thèse).

[…]

En Indochine

Après avoir appris qu'elle possédait le brevet de parachutiste, ses supérieurs l'amènent à suivre le cours de chirurgien de guerre et à servir dans une zone frontalière entre le Cambodge et le Laos, qui ne pouvait être atteinte que par parachutage. Assistante au service de neurochirurgie, elle participe à 150 opérations par mois. Mais les conditions de récupération des blessés en zones isolées sont difficiles, et les médecins parachutés opèrent dans des conditions très précaires. 

C’est à ce moment-là que l’hélicoptère s’impose comme le moyen par excellence de réaliser les évacuations sanitaires. Le service de santé en est conscient et acquiert deux hélicoptères. Alors que l’armée de l’air manque de pilotes d’hélicoptères, Valérie André s’impose et obtient de retourner en France en 1950 pour obtenir la licence de pilote d'hélicoptère, à l'école de vol de Pontoise, sur Hiller. Elle a le brevet numéro 33 de l’Aéro-Club de France. Elle va alors intégrer l’équipe du capitaine Santini de l’armée de l’air - qui deviendra plus tard son époux - et réaliser 129 vols qui permettront l’évacuation de 165 blessés, entre mars 1952 et son départ d’Indochine en 1953, dans des conditions périlleuses et sous les balles ennemies. Valérie André a souvent souligné que sa petite taille et son poids plume l’ont avantagé alors que les hélicoptères étaient sous-motorisés.

Ses exploits sous le feu de l’ennemi sont nombreux, et on peut citer en particulier son appontage, dans un quasi brouillard, le 14 avril 1952, sur le porte-avions Arromanches qui se trouve en opération en Baie d’Along et qui a demandé en urgence un hélicoptère pour évacuer des blessés, à la suite d'un accident grave survenu à bord! […]

En Algérie

Mais le terrain lui manque et, à sa demande, elle part en Algérie où elle sert de 1959 à 1962, en tant que commandant adjoint du service médical de la base aérienne 142 Boufarik, puis en tant que commandant de l'hélicoptère de service de sauvetage stationné sur la base aérienne 146 La Réghaïa, près d’Oran. Devenue pilote d'hélicoptères Aérospatiale SA-318 Alouette II, Djinn, Alouette III puis Sikorsky H-34 (photo), Vertol H-21 et Sikorsky S-58 en trois ans de service, elle effectue plus de 350 missions. En 1961, elle est nommée médecin-chef de l'ensemble de la base de La Réghaïa. […]

Médecin général

Valérie André est promue médecin général en avril 1976, ce qui fait d'elle la première femme à devenir officier général en France. L'année de sa retraite, en 1981, elle est promue médecin général inspecteur. Ses derniers postes sont ceux de directrice du Service de Santé de la 4ème (Aix-en-Provence) puis de la 2ème région aérienne (Villacoublay).

Admise dans la 2ème section des officiers généraux en 1981, Valérie André prend la tête de la commission d’étude prospective de la femme militaire. Elle y travaille à la promotion de l'emploi des femmes dans les forces armées. Elle quitte les champs de bataille pour un autre combat, celui de l'égalité femme-homme au sein des armées**. Comme l’attestent les très nombreuses décorations et distinctions qu’elle reçoit durant toutes ces années de service mais également à l’issue, elle va poursuivre inlassablement ses visites et prises de paroles pour promouvoir les femmes à tous les métiers militaires en précisant chaque fois qu’une femme doit pouvoir atteindre de hautes responsabilités, si toutefois elle en a les compétences. 

Mes rencontres avec Valérie André

Entrée à l’école de l’air et l’école du commissariat de l’air en 1980, je ne rencontre le général Valérie André que tardivement ! 

C’est immédiatement une forte complicité qui nous unit alors que cette femme exceptionnelle me rappelle ma mère de deux ans sa cadette (celle-ci s’est également engagée comme militaire en Indochine en 1947 mais n’a pas eu le même parcours). Durant ma carrière, j’ai bien souvent entendu parler d’elle, notamment à mon arrivée au poste de commissaire de la base de Villacoublay en 1994. Son souvenir était tellement intact sur cette base aérienne où elle a beaucoup servi que, 13 ans après son départ, on me comparait à elle alors que je demandais que mon grade (alors lieutenant-colonel) ne soit pas féminisé et que l’on ne m’appelle pas « madame » ou « miss » (un long combat depuis mon entrée à Salon). C’est dire si mon arrivée suscite alors les craintes des personnels qui n’ont presque jamais vu de femme officier supérieur. 

Mais ce sont nos fous rires qui me reviennent en mémoire alors que nous participions toutes deux à une manifestation au cabinet du ministre et que notre général me demanda de l’aider à mettre son grand cordon de l’ordre national du mérite, ce pour quoi je n’avais aucune pratique ! 

Dès cette époque, elle manifestait son admiration pour ces jeunes femmes qui suivaient (de loin) sa trace en devenant militaires et en ayant (tardivement) accès à toutes les spécialités. Elle nous trouvait très élégantes dans nos uniformes ! Un peu plus tard, alors qu’elle était déjà âgée, je l’ai souvent retrouvée aux cérémonies sur la base de Villacoublay, chère à son cœur. A plus de 90 ans, elle restait debout durant toute la cérémonie mais acceptait mon bras (j’étais alors général) pour se déplacer. C’est un souvenir inaltérable pour moi car je ressentais une immense fierté d’être associée à cette femme exceptionnelle auprès de qui je me sentais si humble. »

* RDN n° 878 - Mars 2025

** Voir notre article du 1er février sur le commissaire général Caire (moteur de recherche : taper caire)

Photos : sites FNAPOG, Hélico-Fascination