lundi 9 octobre 2023

Commissaire d'exercice pour la mission Pegase 23

Je suis le commissaire principal Yannick Lhote, commissaire d’ancrage AIR en poste au sein du commandement des forces aériennes stratégiques au moment des « faits » et affecté depuis au bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État (BEA-É).

La mission PEGASE 23 à laquelle j’ai eu la chance de participer du 23 juin au 03 août 2023 est hors norme à plus d’un titre. Cette projection de puissance se distingue de ses devancières par l’ampleur des moyens aériens engagés (10 Rafale, 5 MRTT et 4 A400M) et la variété des phases programmées (4 boucles, 11 escales), le tout dans un contexte logistique et RH volontairement contraint en raison de l’expérimentation du concept Agile Combat Employment (empreinte RH limitée + besoins matériels réduits = déploiement rapide et résilient). 


Pegase, pourquoi et comment ?

Contrairement à ce que nous pourrions penser, PEGASE est un acronyme. Il signifie Projection d’un dispositif aérien d’EnverGure en Asie du Sud-Est et témoigne de la capacité de l’AAE à rejoindre les antipodes en moins de 72h au profit de ses territoires d’outre-mer et de ses partenaires. Chaque étape a été l’occasion d’échanger avec l’armée hôte en vue de développer de l’interopérabilité, des partenariats et des points d’accès logistiques.

Cette mission s’est articulée autour de 4 phases majeures :

- Du 23 au 28/30 juin, une projection de 19 aéronefs vers Singapour et Kuala Lumpur en s’appuyant sur la base aérienne 104 d’Al Dhafra à des fins d’escale technique ;

- Du 02 au 24 juillet, pour le détachement ayant participé à l’escale valorisée de Singapour (6 Rafale, 3 MRTT et 3 A400M), une participation depuis les iles de Guam (iles Marianne) et de Palau (Micronésie) au continuum d’activités Large Scale Global Exercise (1) placé sous le contrôle opérationnel INDOPACOM/PACAF (2) à Hawaii.

Scission du dispositif engagé à Guam en trois boucles distinctes :

- Du 24 juillet au 03 août, une série d’escales valorisées en Corée, au Japon, en Indonésie et au Qatar placées sous le signe du spatial et des opérations multi-milieux et multi-champs (2 Rafale, 1 MRTT et 1 A400M) ;

- Du 24 au 31 juillet, un déploiement à Nouméa dans le cadre de la venue du président de la République en Nouvelle-Calédonie puis un repli vers l’Indonésie et les EAU (2 Rafale, 1 MRTT et 1 A400M) ;

- Du 24 au 30 juillet, une escale valorisée vers l’Indonésie puis Djibouti (2 Rafale, 1 MRTT et 1 A400M).

Pour ma part, j’ai été positionné sur la phase dite « asiatique » (Emirats, Singapour, Guam, Corée, Japon, Indonésie et Qatar), boucle la plus exigeante d’un point de vue logistique et financier. Mon adjoint, le CR2 Pierre Rouché a, quant à lui, été orienté vers la boucle « indonésienne ». Les boucles « malaisienne » et « calédonienne » ne présentant pas de difficultés majeures, aucun commissaire n'y a été affecté.

La phase de préparation

Désigné CREEX (commissaire d’exercice) en février 2023 pour la totalité des phases de la mission, j’ai très rapidement été lancé dans le grand bain en accompagnant le même mois la Core planning team (3) lors de la mid-planning-conference organisée par le contrôleur opérationnel de l’exercice sur la base aérienne d’Hickam à Honolulu puis en assistant aux site survey de Guam, Palau, Seoul et Tokyo. Un véritable tour du monde en deux semaines. Ce fut l’occasion de faire la connaissance de l’équipe commandement et de lancer avec nos partenaires US et les missions de défense (MDD) les premiers travaux préparatoires relatifs à notre venue.

Un site survey complémentaire été réalisé à Guam dans le but de coordonner définitivement nos besoins avec les services de soutien de la base aérienne d’Andersen et de s’assurer que ceux-ci soient bien pris en compte malgré un contexte ultra concurrentiel (présence sur zone des partenaires britanniques, canadiens, néo-zélandais et Australiens). Pas une mince affaire…

Le retour en France a été mis à profit pour affermir les réservations en tout genre (hôtels, véhicules, matériels, prise en charge directe de l’alimentation…) et faire procéder aux mises en place de fonds auprès des ambassades qui seront sollicitées pour régler les factures dimensionnantes. La préparation de la manœuvre a mobilisé quasiment la totalité de mon temps de travail. 

L’organisation

Pour cette mission hors norme, le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) a fait le pari d’une organisation de type base aérienne projetée, une structure qui a fait ses preuves en opérations. L’équipe CREEX, composée de deux commissaires porteurs d’une carte bancaire a été placée sous la responsabilité de l’adjoint « soutien » en charge de la coordination des divers environnements : soutien de l’homme (hébergement, restauration, médical, effets de vol, etc.), lots mécaniques et systèmes informatiques. 

Pour chaque escale valorisée, nous avons pu nous appuyer sur une équipe dite « harpon », un détachement réduit de 6 personnes détenant des compétences OPS, RLS (Real Life Support) et transit dont la fonction première (mais essentielle) était de régler les derniers détails logistico-administratifs avant l’arrivée du gros des troupes.

Le réseau des MDD, les ambassades, les forces de souveraineté et prépositionnées ont été mis à contribution et ont pris une part prépondérante dans la réussite de l’exercice.

La conduite

La totalité du détachement s’est rassemblée sur la BA 125 d’Istres dès le 23 juin pour répondre à diverses obligations médiatiques et prendre connaissance des dernières consignes édictées par le chef de mission et le directeur d’exercice. Le top départ de la mission a été donné dans la nuit du 24 au 25 juin avec le départ des 5 MRTT à 10 minutes d’intervalle à destination d’Al Dhafra. 

DR
Les deux premières étapes aux Emirats et à Singapour n’ont pas présenté de difficulté particulière. Changement de décors à notre arrivée sur l’ile de Guam où nous avons pu mesurer l’ampleur des dégâts causés par le passage du typhon Mawar quelques jours auparavant. La façade nord de l’ile n’avait qu’un lointain rapport avec la végétation luxuriante entrevue quelques mois plus tôt lors des site surveys. Les capacités de soutien de la base aérienne ayant été durement impactées (dysfonctionnements du réseau d’eau et électrique, infrastructures touchées…), l’activité aérienne avec nos partenaires étrangers a été légèrement réduite sans toutefois altérer le nombre de missions de transport opérées par les MRTT et A400M.

La 31ème escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégiques (EARTS) a mis à profit sa présence dans la zone Pacifique pour acheminer des parachutistes du RIMaP (Pacifique) à Hawaii et transporter des gendarmes à Nouméa depuis Vancouver. La 61ème escadre a, de son côté, effectué une opération SAR en contribuant à secourir les passagers d’une embarcation en détresse au large de Guam.

Les escales valorisées en Corée, au Japon, en Indonésie et au Qatar ont mis en lumière l’incroyable engouement provoqué par notre venue.  Cette bienveillance nous a d’ailleurs aidés à surmonter les multiples difficultés auxquelles nous avons été confrontés (problèmes d’assistance en escale, panne moteur MRTT....). L’enthousiasme et le dévouement dont on fait preuve nos hôtes nous ont surpris. Nous sommes persuadés avoir posé les premiers jalons d’un partenariat fructueux.

Le bilan

Bien que particulièrement éprouvante et exigeante, cette mission n’en demeure pas moins exaltante. L’expérience acquise durant mon parcours professionnel (CREEX MINOTAURE 2021 et affecté au sein d’une DICOM à l’étranger) et ma bonne connaissance des unités FAS m’ont été d’une aide appréciable.

Le bon sens, l’esprit d’équipe et l’adaptabilité sont les trois qualités à détenir pour satisfaire aux exigences de la mission. Le soutien doit d’adapter à l’opérationnel et non l’inverse.

Une journée de travail ne ressemble à aucune autre, il faut s’attendre à devoir faire face à l’inattendu, à l’improbable et ce, à tout moment de la journée (ie gestion d’un véhicule de location accidenté, prise en compte d’un équipage MRTT sans hôtel à Vancouver, de passagers présents depuis 40h dans un MRTT dépourvu de nourriture, un A400M accidenté par nos partenaires canadiens le dernier jour de notre présence à Guam…).

Il est réducteur de penser que le rôle du CREEX se limite au paiement des factures ou au suivi budgétaire. Son champ d’action est bien plus vaste, il couvre à la fois les aspects budgétaires, contractuels, logistiques et soutien commun nécessaires au déroulement nominal de la mission.

Je remercie le CDAOA d’avoir pensé à moi pour tenir cette fonction et mon ancien employeur, le CFAS, de m’avoir laissé toute latitude pour préparer et conduire cette mission.

(1)Manœuvre regroupant en son sein les exercices Mobility Guardian (volet transport) et Iron Riptide (volet chasse).

 (2) USINDOPACOM : commandement interarmées de la zone Indo-pacifique basé à Hickam AFB - PACAF : forces aériennes du Pacifique, composante AIR de USINDOPACOM

 (3) Equipe commandement constituée des responsables de chaque domaine (DIREX, adjoint soutien, SIC, communication, logistique…)

Crédit photos : AAE