lundi 5 juin 2023

Au (bon) temps du parcours Évasion

Par le commissaire général (2S) Michel Vallecalle (ECA 70)

« Dès leur arrivée à Salon-de-Provence, le 13 Septembre 1970, les cinq élèves-commissaires de la promotion ECA70 ont vite reçu et compris le message clair et sans appel délivré par l’encadrement de l’ECA, à savoir : « être parfaitement intégré à la promotion 70 de l’Ecole de l’Air ».

Ce principe de base signifiait pour eux une complète participation aux activités militaires et sportives. Très rapidement, il nous est apparu que notre « Everest » en matière de formation militaire se situerait vers la fin du mois de Mars 1971 avec le redoutable « parcours Évasion » qui ne se ferait pas sans nous…. !!

Le « parcours Évasion » de l’époque plaçait les élèves-officiers dans la situation de pilotes éjectés en territoire hostile devant rejoindre un point précis où des « partisans » les prendraient en charge à condition qu’ils aient échappé à des forces ennemies qui, comme il se doit, les traquaient avec l’aide des populations locales.

Compte tenu de la participation de toutes les grandes écoles militaires, cet exercice était aussi une forme de challenge entre les écoles de formation initiale d’officiers, d’où une certaine pression mise par les hiérarchies respectives !

C’est ainsi, qu’après plusieurs exercices préparatoires dans la campagne provençale, quatre élèves-commissaires de la promo ECA 70 ont participé au parcours Évasion 1971 (le cinquième s’étant retrouvé momentanément inapte médical….)

L’exercice s’est tenu sur une aire géographique recouvrant 6 départements dans le Massif Central  où bon nombre d’élèves-officiers répartis par groupes de 4 devaient parcourir une centaine de kilomètres sur 3jours et 3nuits pour rejoindre les points de ralliement définis, avec un équipement individuel léger et des rations de survie ad hoc (essentiellement des produits vitaminés en tubes). Face à eux, des forces de gendarmerie et des unités de la Défense Opérationnelle du Territoire (appellation d’époque) étaient chargées d’intercepter tous ces « fuyards » avec le concours de la population civile fortement sollicitée et motivée pour signaler aux autorités toutes leurs observations ou informations sur les « évadés ».

Par pur hasard ou petits arrangements du destin, les 2 élèves-commissaires de la 1ère brigade (Pierre Clouzot et moi-même) se sont retrouvés désignés pour constituer une équipe mixte Saint-Cyr/Ecole de l’Air (l’interarmées pointait déjà son nez…..) avec pour coéquipiers 2 élèves-officiers futurs fantassins parfaitement rompus aux exercices militaires de terrain. 

camouflage
Largués de nuit dans les environs de Roanne, nous devions rejoindre un point de ramassage proche de Moulins. Dès le début de l’aventure, nos équipiers Terriens ont fougueusement entrepris le trajet, bravant la neige et le froid, pour atteindre l’objectif le plus vite possible….La détermination et les aptitudes des deux « commicroques » ne se situant pas au même standard, ils nous ont rapidement fait comprendre que nous étions un peu « les boulets » du dispositif ! Après trois heures de marche intense et l’arrivée du petit jour, nous avons réussi à négocier une pause pour leur expliquer que notre méthode était différente et que nous préférions faire les déplacements la nuit et nous cacher le jour pour éviter de se faire repérer sachant que les trois nuits étaient largement suffisantes pour accomplir la totalité du parcours. Ce plan n’emportant pas les faveurs de nos associés, il a alors été décidé de se séparer après la pause pour que chacun applique sa tactique !

Avant de séparer et imprégnés de notre « culture commissariat », nous leur avons proposé quelques tranches de saucisson et des morceaux de fromage que nous avions illicitement glissés dans nos sacs à dos en dépit des règles de l’exercice (j’assume totalement la responsabilité de cette entorse au règlement car il y a largement prescription ; de plus, cela ne pouvait être que mon idée, pas celle d’un futur Directeur central !!!). Ces sympathiques compléments alimentaires ont aussitôt contribué à inverser le point de vue de nos partenaires.

Toilette à la ferme
En échange de notre soutien logistique, ils assuraient le rôle d’éclaireurs, la topographie et la détection des forces ennemies à notre recherche. Le « deal » a semblé correct pour tout le monde. C’est donc ainsi ressoudée que notre équipe mixte a rejoint le point fixé marchant la nuit et se dissimulant le jour (grange isolée, forêt, clairière, etc..). Déjouant toutes les interceptions ou embuscades, nous avons parfaitement réussi notre parcours Évasion et, s’il me faut reconnaitre le rôle éminent de nos partenaires dans ce succès, la fonction commissariat n’eut pas à rougir de ses prestations !!!

Plus de 50 ans plus tard, qu’ai-je retenu de ce parcours évasion 1971 ?

*l’épouvantail tant redouté que constituait le parcours Évasion demeure un bon souvenir malgré ses difficultés. Etre passé au travers des mailles du filet et réussir à vivre incognito sur le terrain demeurent une petite satisfaction personnelle ;

*selon les éléments exposés lors du débriefing, l’implication de la population civile dans le repérage des évadés et la transmission des informations aux gendarmes ont été déterminants dans les nombreuses arrestations des fuyards ;

*le mauvais résultat global de la promo 70 de l’Ecole de l’air m’a donné l’occasion d’assister à notre retour à Salon à une mémorable remontée de bretelles collective pour les élèves mais aussi pour les cadres responsables de l’instruction militaire. Le ton ayant été donné par la plus haute autorité de l’Ecole, une réaction en chaine de nos brigadiers a fait pleuvoir au moindre prétexte une série de tours de consigne retardant ainsi le départ en vacances …..En dépit de leur comportement lors de l’exercice, les élèves-commissaires n’ont pas échappé à ces sanctions confirmant ainsi leur « esprit promo » et leur parfaite intégration !! A ce stade, je dois préciser que la direction de l’ECA a su reconnaitre nos efforts et nos résultats puisqu’en seconde année elle nous a permis de bénéficier d’une semaine de ski supplémentaire à Ancelle avec les ECA71 ;

*par mon vécu du parcours Évasion, j’ai pu étonner mes petits-enfants lors de nos promenades bas-alpines en leur démontrant que lorsqu’on recherche un point d’eau il suffit de se rendre dans un cimetière car en France ils disposent généralement d’une adduction d’eau …….trop fort le grand-père !! 

Sur le même sujet lire aussi : « Mars 1960 : la promotion ECA 58 s'évade ! » par le commissaire général (2S) Jacques Guillerm  - mars 2013)