jeudi 5 mai 2022

Battements d'Ailes

 Une famille française à Lahr  dans les années 50

Pour la seconde fois, nous diffusons un article d’un enfant de commissaire de l’air, qui nous permet de découvrir la face cachée d’une biographie officielle, égrenant seulement les affectations de l’intéressé. La vision familiale est riche d’enseignements, aussi bien sur la vie quotidienne, la succession des affectations et les réinstallations, que sur les échos du travail du commissaire sur la vie de famille.

Nous remercions Mme Chantal Durand, fille du commissaire général Rame (1924 – 2021)*,  de nous livrer la vision à hauteur d’enfant des pérégrinations d’un père commissaire de l’air, de 1954 à 1965.

Bien que de parents provençaux, je suis née en 1950 au Maroc, en plein mois d'août, 43° le jour, 40° la nuit, la clim n'était pas encore d'actualité. Comme on craignait la déshydratation, on m'a baptisée à 7 jours.

Sur la base de Fès, j'entendais les Noratlas décoller, le bruit de leurs moteurs est imprimé en moi, même encore de nos jours. Un de ces avions restaurés décolle parfois de l'aéroport Marseille Provence, proche de mon domicile, je le reconnais d'entre tous.

Tous les 2 ans, nous traversions, au mois de juillet, en Renault «4 CV», l'Espagne, toutes fenêtres ouvertes, en plusieurs jours, pour retrouver la famille de mon père à Nice et celle de ma mère à Digne: un dépaysement.

Aix 1955
Puis ce fut, le départ du Maroc, en 1954, vers la Provence, où papa était admis à suivre les cours de l’École du Commissariat de l'Air, la première promo (1). Il en était très fier. Au bout d'un an, papa nous annonça que nous allions aller vivre en Allemagne, à Lahr, que tout était organisé pour nous. Un très grand logement récent entièrement meublé et une école française pour la scolarité des enfants des militaires affectés nous attendaient. Maman s'affairait et emplissait les cantines, appréhendant de retrouver l'Allemagne 10 ans après la fin de la guerre.  

La «classe enfantine», ancêtre de la dernière année de maternelle fut une découverte pour moi, abandonnée au milieu d'inconnus, enfants et adultes. Je partais avec un petit sac en tissu, confectionné par maman, où se trouvait mon goûter: figue sèche ou carré de chocolat et tranche de pain. J'y allais à pieds avec maman ou mon institutrice mais certains enfants prenaient les cars militaires Berliet verts.


Plusieurs cités de logements militaires étaient réparties dans Lahr dont certaines à la périphérie. Les seules voitures dans Lahr étaient françaises. En 1955, les allemands circulaient en charrette attelée à des chevaux. Le samedi était jour de ramassage sur les routes, du crottin de la semaine par les habitants pour servir d'engrais à leur potager: papa circulait prudemment. Les magasins allemands non rénovés depuis la fin des années 30 étaient bien pauvres en produits. Dès qu'il fallait une paire de chaussures ou un vêtement, nous allions à Strasbourg, le samedi, à une heure de route. L'Allemagne portait encore en 1957-58 les stigmates de la guerre, traces d'obus sur les murs, grande pauvreté.

Papa avait, entre autre, en charge la gestion des stocks de «rations de guerre» de l'Armée de l’air. A l'époque, pas de date limite de consommation sur les conserves, seule solution, les goûter. C'est ainsi que nous devenions de sympathiques cobayes volontaires, ravis de l'être, sous l’œil interrogateur et méfiant de maman. Périodiquement, papa ramenait donc 2 ou 3 de ces rations à la maison, prises au hasard sur certains rayons de l'Armée. J'ai ainsi goûté au «biscuit de guerre» qui était salé, fort bon quoique un peu dur, au corned beef que papa appelait, amusé, du «singe» en guise de doute sur la provenance de la viande, et à l'alcool de menthe. Maman nous en mettait quelques gouttes dans de l'eau chaude sucrée: le petit flacon durait jusqu'au nouvel arrivage de rations.

Beaucoup de familles militaires embauchaient une femme de ménage allemande: la nôtre s'appelait Renate (Renée). Elle avait beaucoup de mal à trouver du sucre, de la farine, des conserves dans les magasins allemands: mes parents l'approvisionnaient. En fin de mois, comme tous les militaires français, papa ramenait du travail une liste de denrées non périssables et conserves à commander: mes parents remplissaient ce formulaire. Une fois livrées à la base et réparties entre les services, papa revenait du travail, une semaine plus tard, avec le carton des commandes. Maman s’affairait alors à tout ranger pour le mois : les courses étaient ainsi faites. Puis, est apparu l'économat vers 1958-59, premier petit supermarché où maman faisait réellement les courses. Seules les familles de militaires y avaient accès.

Ma sœur Christine est née, un dimanche de 1957, à l’hôpital de Strasbourg. Papa n'ayant pas suffisamment de congé, il m'emmenait à la caserne commandant Ménard de Lahr où il travaillait (2). J'y rentrais sans peine, assise à côté de papa dans la voiture militaire qu'il conduisait, «C'est ma fille» disait-il en guise de laisser-passer au garde à l'entrée de la caserne. Je dessinais principalement dans son bureau, sur une table annexe ou alors je faisais des additions et autres opérations inventées par mon père. Je voyais aller et venir beaucoup de militaires très affairés qui me remarquaient à peine. Parfois, je restais seule, papa partait en réunion que je trouvais toujours trop longue. En fin de journée, papa signait une pile de documents dactylographiés. Alors, il me laissait manipuler le buvard à bascule monté sur du bois d'une manière mesurée afin de ne pas étaler l'encre du stylo mais de l'absorber: tout un art qu'il m'avait montré patiemment.

Nous allions le samedi et le dimanche avec notre Simca Aronde, voir maman et Christine à Strasbourg. Nous avons ramené, un samedi, ma sœur calée entre des oreillers, à l'arrière de l’Aronde, à côté de moi sur le siège arrière, par une froide journée de mars au pâle soleil. 

Le dimanche était jour de sortie: repas de midi au mess. La salle très lumineuse avait une belle vue sur la forêt. Les tables étaient dressées avec des nappes blanches et de l'argenterie, les mets délicieux: j'étais impressionnée par la rigueur et le professionnalisme. Puis nous faisions des visites de villages voisins ou une promenade en Forêt Noire sur un sentier.

La « Maison des Ailes» (3) nous réjouissait au moins 2 fois par an. D'abord pour Noël, avec un spectacle de prestidigitation ou de clowns. C'est ainsi, qu'au retour quand j'avais 5 ans, j'ai demandé à maman une casserole afin de faire apparaître un beau lapin blanc bien vivant, comme sur scène. L'autre beau spectacle qui faisait aussi salle comble, était la Remise des Prix en fin d'année scolaire. J'y ai gagné quelques livres, en montant impressionnée sur l'estrade, livres que je conserve toujours précieusement.

L’aumônier militaire nous faisait le catéchisme, le prêtre de la base disait la messe à l'église allemande de Lahr le dimanche matin et les médecins militaires soignaient à domicile, nos maladies infantiles.

Ces années-là, les pilotes de Lahr, relevant de  la 13ème escadre de chasse Tout-Temps sur F-86K, faisaient un tour d’opération d’une année en Algérie mais sans leurs avions, étant lâchés en Algérie sur T-6. Papa mettait presque chaque semaine son uniforme approprié pour une cérémonie de levée de corps. Au moins une jeune famille de notre immeuble est rentrée précipitamment en France, après avoir  perdu un mari-papa. Maman a été soulagée d'apprendre que nous allions partir pour la Haute Saône.   

Luxeuil

Nous avons dû dire au revoir à Lahr où je conserve mes meilleurs souvenirs d'enfant. A Luxeuil (4), en 1961, je suis rentrée au collège, découvrant alors que les élèves n'avaient pas tous des parents militaires mais des parents commerçants, artisans, enseignants, ingénieurs, coiffeurs etc... Mon monde s'ouvrait mais l'armée restait ma famille protectrice. La cité du stade, cité militaire où nous habitions, était à 4 km du collège en centre-ville. J'allais et venais du collège en bus militaire avec d'autres enfants de militaires: les cars verts Berliet étaient vraiment pratiques et bien empruntés. J'y ai connu des -30° voire -35°, l'hiver, munie de plusieurs couches de pantalons et de pulls.

Chaque année, un dimanche fin mai-début juin, avait lieu sur la base, la journée Portes Ouvertes. Nous pouvions alors voir de près et monter à bord des avions de chasse que nous entendions bruyamment en semaine, les F-84F de la 4ème escadre de chasse et les RF-84F de l'escadron de reconnaissance tactique 1/33.  A l'époque, les bases militaires étaient très fleuries: massifs colorés autour des bâtiments, fleurs le long des sentiers entre les bâtiments et le long des routes intérieures. C'était très joyeux et animé: beaucoup de monde se déplaçait de tout le département et de la ville de Luxeuil.

En l’été 1965, maman remplissait à nouveau les cantines, caisses et cartons pour la région parisienne: papa était affecté à Paris. J'y découvris peu à peu, au lycée, une vie indépendante de l'Armée.

Quelques années plus tard,

Je suis passée des Ailes de l'Armée de l'Air aux Ailes civiles d'une compagnie aérienne.

Mon petit fils Elouan aimerait devenir pilote. Le second Lilian, motivé, dit se destiner à la carrière militaire : il a pour modèle son arrière grand papy René. Il conserve ses médailles, insignes et casquette en bonne place, dans sa chambre. Il lit assidûment toute la série de la BD «Les enfants de la Résistance» inspirée de faits réels.

Avec l'aide des Ailes, je porte quand cela est possible, mes valises à la rencontre d'autres peuples, comme l'a fait mon père à la retraite. Mon gendre travaille à la section militaire d'Airbus. Avec ma fille Sophie, ils habitent tout près de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, et moi-même en surplomb de l'aéroport de Marseille-Provence dont le cœur bat et les Ailes s'envolent, à ma grande joie.

Chantal RAME

LAHR EN IMAGES

23000 habitants allemands et 5000 français

A droite la résidence du commissaire général directeur du commissariat de l'air du 1er CATAC


* Voir la biographie diffusée le 3 décembre 2021

(1) Le cre Rame a été rattaché à la 1ère promotion recrutée sur concours en 1953 mais n’a suivi que la 2ème année compte tenu de son statut d’officier.

(2) Cette caserne, située en ville, regroupait l’état-major du 1er CATAC mais aussi deux services du commissariat de l’air  (la direction du 1er CATAC et le centre administratif). Le commissariat des bases aériennes - CBA- était installé au nord de la ville (voir plan). La base aérienne 139 était à 10 minutes, à Hugsweier

(3) Ne pas confondre avec la Maison des Ailes à Échouboulains (voir photo)

(4) A Luxeuil, le commissaire Rame est chef du CBA, chargé du suivi des bases aériennes de Luxeuil, Dijon et Colmar

Lire aussi les souvenirs du commissaire général Rame, diffusés sur notre site de  novembre 2019 à avril 2020 (taper « Rame » dans le moteur de recherche)