lundi 16 mai 2022

Commissaire de quoi ? Mais commissaire de Base !

 par le commissaire général (2S) Jean-Louis Barbaroux

1970 : Après Djibouti, une affectation de choix, il est difficile d’éviter un passage en administration centrale : pour moi, ce sera le poste d’«adjoint au chef du bureau des affaires financières de la Direction des Programmes et des Affaires industrielles de la DGA », rue Saint Dominique. 

Je m’aperçois vite que ce titre ronflant cache un travail de bureaucrate peu passionnant, qui permet cependant de découvrir le monde mystérieux et compliqué de la DGA, avec ses polytechniciens souvent « polars », acharnés au travail (certains viennent même travailler le dimanche, sur des projets qui n’aboutiront pas avant de longues années…)

Quelques mois après mon arrivée dans ce monde ésotérique, un beau jour de mars 1971 où j’étais allé boulevard Victor respirer un peu d’air aéronautique, je tombe dans un couloir de la DCCA sur le commissaire général Daume, depuis peu Directeur Central. "Tiens, Barbaroux ! Alors, vous vous plaisez à la DGA ? -Non pas vraiment, mon général, le poste n’est pas très intéressant, et je m’y ennuie ferme !  -Oh, mais ça tombe bien, vous avez lu dans le numéro de décembre 1970 de Forces aériennes Françaises mon article sur « le devenir du Commissariat de l’Air » ; j’envisage de mettre des commissaires sur les bases aériennes, comme « commissaires de base » ; en commençant dès cet été par cinq grosses bases de la 3ème région aérienne ; vous avez le profil, cela vous intéresse ?  -Oh que oui !" Et c’est parti …

Parmi les bases que l’on me propose, je choisis Mérignac, base-mère du « bombing », dans une région où j’ai des attaches familiales. C’est ainsi que, le 17 Mai 1971, je franchis le poste de police de la BA 106, premier commissaire de cette base. Belle base des forces aériennes stratégiques (F.A.S.), 2000 hommes, le CIFAS (centre d'instruction) et ses Mirages III et IV, la 92ème EB (escadre de bombardement) et ses Vautour, 2 GERMAS, l’ELA, etc…

Commissaire de base

Le commandant de base est le colonel Caubel, discret héros d’Indochine : Au cours d’une des dernières missions d’appui feu sur Dien Bien Phu, son B-26 a été touché par les Viets. Il a réussi à sauter en parachute mais a été vite capturé. Il a survécu à la longue marche de plus de 600 km, et à la dure captivité du sinistre Camp N°1. Mais, de cette terrible épreuve, il parlait peu à Mérignac. (J’ai appris avec peine la mort de cet homme exceptionnel, à 95 ans, le 26 février 2022)

Il m’accueille très courtoisement (nous nous étions déjà rencontrés au GB 2/91 en Algérie) et me déclare sans ambages : "Je n’ai aucune idée de ce que peut être un commissaire de base ! Pour l’instant, assurez donc le fonctionnement des Moyens d’Administration (MA), et proposez-moi une note de service détaillant vos futures attributions !"(Je vous laisse mesurer le caractère tout à fait insolite de cette situation…).

Je prends donc les consignes du commandant Biard chef des MA, muté en FATAC, et sollicite les conseils du commissaire général Graffard, Directeur Régional, et du commissaire Lcl Noël, qui m’a devancé  de quelques mois comme commissaire de base à Cazaux.

Le général Graffard ne s’étonne de rien : dans une vie antérieure de marin, il a été commissaire sur un bateau, avec de larges attributions, il me recommande cependant une certaine prudence ; Noël, quant à lui, a de vastes ambitions, il voudrait tout faire sur la base … 

Je rédige donc cette fameuse note - que je n’ai malheureusement pas conservée - et qui va à l’essentiel : elle sera signée les yeux fermés par le colonel : j’assure la direction des services administratifs, la surveillance intérieure de la base, et en particulier de la gestion des Masses (dépenses de fonctionnement), en attendant la mise en place annoncée du "budget de fonctionnement" qui sera de ma responsabilité. Le service de l'alimentation (on ne disait pas encore restauration-hôtellerie) reste aux Moyens généraux, mais sous ma tutelle : j’y interviens largement au titre de la surveillance. 

Je n’entre pas trop dans les détails, qui vivra, verra !

Arrivé commandant, je suis nommé lieutenant-colonel le 1er août. A 38 ans, je suis plus jeune que tous les chefs de Moyens et commandants de grandes Unités. Bien que d’une espèce inconnue pour la plupart, qui n’ont pas connu les élèves commissaires à Salon, je serai cependant bien accueilli (merci les deux ans au GB 2/91 en Algérie !).

Je vais disposer de 6 officiers, d’une bonne cinquantaine de sous-officiers, hommes du rang et personnels civils, répartis dans divers locaux mais principalement dans la baraque des M.A., où je m’installe pour le moment.

Je fais engager comme SPMFAA (personnel féminin de l'Armée de l'air) la veuve d’un capitaine de la 92ème EB, la veille de ses 35 ans, la limite d’âge ! Elle sera ma secrétaire, ainsi que celle de mes successeurs : efficace, solide ; quand elle disait en mon absence : « Je pense que le commissaire vous dirait : il faut faire ceci, ou cela… » elle ne se trompait jamais :  précieux !  C’est aussi à Mérignac que je découvris l’importance sur une base de la secrétaire du colonel : gardienne du temple voire de la pensée du chef, il y avait intérêt à être dans ses petits papiers !

Une de mes premières tâches sera malheureusement de « gérer » l’accident qui vient de coûter la vie à six sergents qui ont planté leur Citroën DS en revenant des fêtes de la Madeleine, la Feria de Mont de Marsan : des actions tous azimuts où il faut s’impliquer à fond.

Après l’été, le colonel et moi ayant une meilleure appréciation de mon rôle sur la base, je peux m’installer à côté de lui au PC de la Base, avec mon secrétariat et ma dernière création : un « Bureau Vérification », armé à sa tête d’un adjudant-chef moustachu. Mon adjoint, capitaine du corps de bases chevronné, prend en pratique ma place dans le bâtiment des MA.

Inutile de vous décrire plus avant la vie d’un commissaire de base, que mes camarades du Commissariat de l’Air ont bien connue, au moins les plus anciens, avec les grandes évolutions liées aux circonstances, à la mise en place des budgets de fonctionnement et d’équipement, à la prise en charge de la fonction restauration-hôtellerie, etc.

Faire face 

Je m’attacherai plutôt à vous raconter l’une des expériences insolites que j’ai vécues sur cette bonne base de Mérignac, mais oui, il y a déjà un demi-siècle!

Michel Debré, ministre de la Défense Nationale, décide de créer un service national ouvert aux jeunes filles et jeunes femmes de 18 à 27 ans volontaires pour un engagement d’un an dans les armées.

La 3ème RA va donc en accueillir une vingtaine en mai 1972 et désigne la BA 106 pour les incorporer.

Le colonel Brousseau, qui commande désormais la base, ne voit guère à qui confier ce cadeau encombrant, sinon au commissaire de base, son homme à tout faire : ce dernier, passé par l’Ecole de l’air, n’a pas d’autre choix que … de faire face !

Débarque donc bientôt sur la base le contingent annoncé de « volontaires féminines » (VF) provenant de toute la métropole, des Antilles, et même de …Wallis et Futuna ! Je les place sous la tutelle de mon nouvel adjoint, le capitaine Labachotte, qui a fort opportunément une solide expérience d’encadrement de recrues en école. 

Il a fallu régler au fur et à mesure pas mal de problèmes :

- trouver d’abord un hébergement adapté : 20 filles à loger : chambrées, sanitaires… Un petit bâtiment indépendant est choisi ; un règlement est adopté : pas de visites dans le bâtiment protégé par autodiscipline, ce que feront respecter les filles !

- les habiller ensuite : tenue des sous-officiers féminins, confectionnées par notre maître-tailleur, survêtement de sport et treillis masculins retouchés si nécessaire. Le reste du paquetage est fourni par le magasin (MGV,), mais les sous-vêtements ? Un charter vers le Carrefour voisin permettra à nos VF d’aller s’équiper, avec un crédit ouvert sur le budget de fonctionnement. (Commode, le BF ! allez donc chercher : "achat de sous-vêtements féminins" dans l’ancienne nomenclature des Masses…);

- et la pilule ? Une précaution sans doute utile sur une base de 2000 hommes ! La loi demandait alors aux mineures de 21 ans de fournir l’autorisation écrite des parents …  Question posée à mon correspondant au cabinet du Ministre, réponse laconique mais claire : Dém…-vous ! Eh bien, on s’est dém… : L’assistante sociale de la base s’est trouvé de gros besoins personnels, qu’elle a satisfaits en visitant toutes les officines locales…;

- la formation ? On a copié tout simplement sur le programme des appelés, adapté aux futurs emplois des VF, prévus sur la base et aussi à l’état-major régional : secrétariats surtout, mais aussi monitrices d’auto-école, comptables, serveuses. Et, contrairement à ce qu’avait pensé le ministère, les VF tenaient beaucoup  à des activités spécifiquement militaires : elles ne s’étaient pas engagées pour faire du tricot : Nous les avons fait marcher au pas, tirer, faire des raids en forêt, et, plus tard, participer aux exercices de défense de la base : Certains se souviennent encore de notre impressionnante VF Wallisienne, à son poste de garde, faisant tournoyer son pistolet-mitrailleur MAT49 en le tenant par le canon, et criant : "Les cocoïs*, y passeront pas !";

- et les loisirs ? Toutes étaient loin de leur domicile, les VF d’outre-mer découvraient la métropole, leur solde était dérisoire ; l’aumônier de la base nous donna un sérieux coup de main en organisant des activités et des visites le dimanche; quant à moi, j’emmenai un jour dans les Pyrénées, lors d’un week-end de ski familial, des VF surprises de découvrir la montagne, et pour certaines … la neige.

Les VF ont dans leur ensemble, donné toute satisfaction dans leur emploi : elles étaient évidemment plus motivées que les appelés, d’autant plus que beaucoup étaient désireuses de « rempiler ». Malheureusement, ce n’était pas prévu, il a fallu faire beaucoup de forcing auprès de la Direction du Personnel pour entr’ouvrir à certaines la porte de l’active. 

Mais aussi, quel plaisir un jour, près de douze ans plus tard, de se faire interpeller sur la BA 117 par un commandant féminin : "Mon colonel, vous ne me reconnaissez pas ? votre ancienne VF de Mérignac !"

L’expérience des VF n’a pas été poursuivie très longtemps. Elle a pris fin avec l’extinction du service national, mais cette initiative, voulue par le ministre, a contribué à faire prendre conscience que les femmes avaient toute leur place dans les armées : n’est-ce pas, mesdames les commissaires, et en premier lieu notre chère présidente de l’AMICAA ?

* Commandos de l'air






















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