samedi 8 janvier 2022

Colloque : l’éthique dans la guerre aérienne

Le 19 octobre 2021, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) a organisé un colloque consacré aux questions éthiques soulevées par les activités militaires dans les domaines aérien et spatial. 

La CRP (ancrage Air) Aurélie L. (ECA 2010), chef du bureau « conseil juridique et prospective » au Centre interarmées du soutien juridique (CIJ) et membre du comité d’éthique de la défense est intervenue sur le thème : « La guerre à distance : le droit et l’éthique à l’épreuve des progrès technologiques ».

« Il ne fait aucun doute que, depuis l’invention de la première arme de jet, l’homme n’a eu de cesse d’allonger la distance avec l’ennemi pour mieux se prémunir de sa riposte tout en conservant, voire en améliorant sa supériorité opérationnelle sur le champ de bataille. A la distance que constitue la portée (distance de l’arme à sa cible), s’ajoute désormais la distance entre l’opérateur et son arme, entre l’opérateur et sa chaine de commandement et de contrôle. A la faveur de ces développements technologiques, dont la puissance aérienne est l’un des exemples les plus caractéristiques de par son arsenal de pointe jusqu’à l’émergence actuelle des systèmes d’armes intégrant de l’autonomie, certaines armées occidentales ont ainsi adopté la stratégie du “no boots on the ground”. Mais pour quelles raisons la distance pourrait être problématique et pour qui ? Est-ce du point de vue juridique ? de l’éthique militaire?

Le respect du droit international humanitaire

Ces dernières années, l'opérateur de drone, assis en toute sécurité dans une cabine située à des milliers de kilomètres d'un théâtre d’opération, est devenu un symbole durable de la distance dans la guerre. Si le risque a changé de nature avec la robotisation du champ de bataille, il serait toutefois faux d’affirmer que celui-ci a disparu, la distance physique ayant paradoxalement laissé place à une forme d’ultra proximité entre les belligérants. On aurait à ce titre quelques raisons de penser qu’un combattant distant, moins exposé au risque et connaissant mieux sa cible, a tendance à mieux respecter le droit international humanitaire (DIH). 

Du point de vue juridique, ce qui importe c'est que, durant un conflit armé, la distance ne compromette pas le respect et la conformité aux principes cardinaux du DIH que sont la distinction entre un objectif militaire et un objectif civil, la nécessité militaire, la proportionnalité, l’humanité et les précautions dans l’attaque. Si ces critères sont remplis, le fait qu'un opérateur de drone se trouve à des milliers de kilomètres de sa cible n'est en soi d'aucune pertinence pour le droit international, ce dernier constituant par ailleurs la première règle de l’éthique de la guerre aérienne. C’est en effet du fait de leur nature, c’est-à-dire de leurs caractéristiques, et non de leur utilisation même à distance, qu’une arme ou un système d’arme sont illégaux.

La place de l’humain dans la prise de décision

Ces interrogations relatives au respect du DIH nous amènent également à réfléchir à la responsabilité du chef et à celle, individuelle, du combattant. Dans le contexte actuel et notamment au regard de l’émergence des systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie, le maintien de la place centrale de l’humain dans la boucle de décision quelle que soit la distance physique qui le sépare de sa cible doit demeurer la clé de voute de cette approche des nouvelles technologies capacitaires, permettant par là même d’éluder un certain nombre de questions, notamment celles liées à la responsabilité qui constitue l’un des fondements de l’éthique militaire pleinement consacré par le droit positif.

Sur le plan éthique cette fois, certains font de la déportation du télépilote un problème, invoquant sa distanciation émotionnelle. L’éloignement physique impliquerait une difficulté à distinguer le réel du virtuel, une déresponsabilisation morale conduisant à un risque de déshumanisation de l’adversaire. Cette conviction s’appuie sur différentes théories selon lesquelles la propension à tuer serait proportionnelle à la distance : le fait de voir la réalité par la médiation d’une machine constituant une sorte de « tampon moral ». Si le risque a changé de nature avec la robotisation du champ de bataille, il serait toutefois faux d’affirmer que celui-ci a disparu, la distance physique ayant paradoxalement laissé place à une forme d’ultra proximité entre les belligérants. En réalité, si le drone armé a fait tant polémique et peut apparaitre pour certains comme une arme à l’éthique discutable c’est que cette technologie se heurte de plein fouet aux valeurs traditionnelles de la guerre, que sont le courage et le don de soi. II apparait évident que les critiques dont le drone fait l’objet, sont intimement liées à son utilisation abusive par la CIA au Yémen, au Pakistan et non à sa nature parfaitement conforme au droit des conflits armés et à l’éthique du militaire puisqu’il n’est pas fondamentalement différent de l’avion de chasse.

Des valeurs inchangées dans un monde évolutif

Au fond, il semblerait qu’il n’y ait jamais eu de véritable révolution, mais une simple série d’évolutions, plus ou moins importantes, des technologies d’armement. La guerre évolue ainsi au fil des transformations technologiques déployées sur le champ de bataille, des transformations de la société et de la sphère politique, ainsi que de la relation avec le combattant. Il s’agit tout simplement de s’adapter en permanence à son temps et aux manières de penser, pour faire la guerre autrement tout en veillant au strict respect du droit international humanitaire, comme au respect du système de valeurs immuable et intrinsèque aux armées françaises et plus particulièrement à l’éthique de l’aviateur. »

Copier-coller le lien : https://www.youtube.com/watch?v=7ibgCvcbXg8

Voir aussi nos articles : « Ethique et Puissance aérienne » (notes de lecture du CRC1 Pascal Dupont- mars 2021) ; «  Formation des LEGAD à l’ECA » (mai 2021) ; « Commissaire à l'IIDH San Remo » par le CRC1 Xavier Périllat Piratoine  (juillet 2016)