samedi 20 mars 2021

Gaston Bardet, Poilu, pilote et commissaire de l’air

En s’engageant dans l’infanterie à moins de vingt ans, Gaston Bardet ne pouvait pas imaginer ce que lui réserverait l’avenir. Né le 28 novembre 1892 à Bazoche-Gouet  (Eure-et-Loire), il a cependant une certitude : il sera Saint-Cyrien.

Un Poilu exemplaire

Avec les 461 élèves-officiers de la promotion 1912-1914 « de Montmirail », il effectue la traditionnelle première année en corps de troupe comme simple deuxième-classe. L’approche de la guerre entraîne la compression sur un an des deux années suivantes. Il est nommé sous-lieutenant le 5 août 1914, au lendemain de la déclaration de guerre à l’Allemagne. La cérémonie du Triomphe a été annulée quelques jours avant pour lui permettre de rejoindre le front au plus vite (1). On l’imagine plein de fougue et de mépris du danger. Sa promotion n’a-t-elle par fait serment de porter, pour son premier assaut, Casoar et gants blancs ?

Ayant effectué la totalité de la Grande Guerre en échappant au pire, il participe au combat sur tous les théâtres d’opérations : 

- dans la Marne et la Meuse, avec le 165e RI (2). Il connaît son baptême du feu à Warcq (Ardennes), une des rares offensives victorieuses côté français. En décembre 1914, il est cité à l’ordre du corps d’armée : « Grièvement blessé en entraînant ses hommes à l’assaut avec une vigueur remarquable ». Son coude droit a reçu un éclat de schrapnell ;

- en Champagne, où il rejoint le 9e RI et fait une mauvaise chute de cheval qui l’éloigne un moment des tranchées ;

- dans l’Aisne, en 1917, avec le 269e RI (2) et le tristement célèbre Chemin des Dames 

- dans la Somme, l’année de la victoire, avec le 132e RI.

Vers la fin de la guerre, un romantisme chassant l’autre, le capitaine Bardet décide de devenir pilote. Est-il inspiré en cela par l’exemple glorieux de son camarade  Alfred Heurtaux, as de guerre aux 21 victoires en 57 combats aériens ? Avant même la signature de l’armistice, il est versé dans l’aéronautique militaire.

Un pilote à contre-emploi

Le Bourget
S’engager fin 1918 comme élève-pilote, au moment où la paix rend obsolètes les avions militaires et leurs pilotes, est un acte de foi. Il doit tout reprendre à zéro après 5 ans dans les tranchées. Deux mois de formation élémentaire à Châteauroux-la-Martinerie, puis autant à Istres-le-Tubé, lui permettent d’obtenir, le 17 février 1919, le brevet de pilote militaire n° 17876. Mais il n’y a pas de place pour lui en escadrille. Après deux mois à la 12e Direction - au 4e bureau, en charge des effectifs et de l’organisation - il est envoyé en Allemagne. Détaché de l’Infanterie à l’Aéronautique militaire, celle-ci le détache à son tour à la CMIC (commission militaire interalliée de contrôle), chargée de vérifier sur place la bonne application du traité de Versailles. Il est affecté à la sous-commission responsable du suivi du recrutement et de l’instruction dans l’aviation allemande. Au bout de seize mois passés dans cet organisme, il revient en France et passe un trimestre comme pilote en escadrille au 34e Régiment d’aviation de Dugny/Le Bourget (3).

Le 7 janvier 1922, il repart pour l’étranger et embarque à Marseille à destination du Levant où les traités de paix n’ont pas mis fin aux hostilités. Lorsqu’il arrive à Beyrouth, un accord avec les Kémalistes vient d’être négocié en Cilicie et l’Émir Fayçal vient d’être expulsé de Damas mais la révolte des Druzes contre la tutelle française reste vivace.

Pour appuyer les opérations de « pacification », le commandant Victor Denain dispose de l’«Aéronautique de l’Armée du Levant », composée de huit escadrilles, qui se transformera en 39e Régiment d’aviation le 1er octobre 1923. Chargées de l’observation et du renseignement, ces escadrilles sont dotées de Breguet XIV A2 équipés d’appareils photographiques et de postes de TSF. Elles emportent également des lance-bombes efficaces. Le capitaine Bardet prend le commandement de la 53e escadrille

En Syrie, il aurait pu avoir sous ses ordres le caporal Jean Mermoz (4), qui  défrayait déjà la chronique locale à la 53ème escadrille. La gestion des matériels prenant de plus en plus d’importance dans la logistique de l’aviation, Victor Denain prend le capitaine Bardet comme adjoint technique et il doit quitter son escadrille au bout d’un an. N’ayant pu voler que cinq heures par mois pendant son séjour, son action au Moyen-Orient reste cependant significative. En attestent une lettre de félicitations du général Gouraud, commandant en chef de l’armée du Levant, ainsi qu’une seconde citation à l’ordre du Corps d’armée soulignant « sa méthode, son courage et son efficacité dans des missions éloignées de ses bases de plus de 250 kilomètres ». En décembre, il est promu chevalier de la Légion d’honneur et reçoit la médaille commémorative de Syrie-Cilicie.

Chartres
Gaston Bardet doit rentrer en France et embarque à Beyrouth le 14 juillet 1923 (5). Après son congé de fin de campagne, il est affecté à Chartres, au 22e régiment aérien de bombardement de nuit (6), dans la perspective de repartir pour une troisième affectation à l’étranger, cette fois-ci en Pologne. Il effectue au préalable, à Bordeaux, un « stage de perfectionnement technique » de deux mois. Mais la mission polonaise ayant été annulée, il achève son affectation à Chartres au poste d’adjoint du commandant du Parc, éloigné une fois encore des opérations.

A partir de 1924, sa vie prend également une autre dimension avec son mariage en février et son affectation, en avril, à l’Inspection technique de l’aéronautique, créée par Clemenceau, où il a la responsabilité des bâtiments et des terrains de l’aéronautique militaire en France. Ce sera sa plus longue affectation, dans un service qui change trois fois de nom en cinq ans, signe des difficultés de la jeune aéronautique militaire à trouver sa place dans l’organisation de l’Armée française. Lui-même hésite sur ses choix de carrière et complète sa qualification de pilote par un brevet d’observateur en avion obtenu le 6 mai 1925.

Le service du matériel poursuivant son développement, le capitaine Bardet débute l’année 1930 au SGRMA (service général de ravitaillement en matériel d’aviation) dont la compétence s’exerce en France et outre-mer. L’année suivante, en fin d’année, il passe au grade de chef de bataillon (commandant). Mais l’Armée de l’air voit enfin le jour en avril 1933 et, à partir de cette date, il devient un véritable aviateur, même s’il reste dans la mouvance technique avec deux affectations dans des entrepôts, d’abord au Bourget, ensuite à Romorantin.     

Un Commissaire isolé   

Avec la défaite de 1940, Gaston Bardet se replie brièvement sur la « base aérienne de stockage » de Limoges où il est promu lieutenant-colonel, avant d’être nommé, le 6 décembre à Paris, chef du CLEA « Centre liquidateur des établissements de l’Armée de l’air ». Le général Jean-Charles Romatet, as de la première guerre et chef d’Etat-major depuis le 2 septembre, sait qu’il peut faire confiance à son camarade de la « Montmirail » pour tenir ce poste délicat. L’estime dont il jouit est confirmée en décembre 1940 où il devient officier de la Légion d’honneur.

L’espoir du gouvernement de Vichy de revenir s’installer à Paris ayant rapidement été déçu, le Secrétariat d’État à l’air décide de constituer à Paris, sous une forme déguisée, un embryon de troisième région aérienne (7). Des « Services de l’air en zone Nord » sont progressivement constitués et confiés à un « administrateur général de 2e classe », le général Lucien Kraemer. Le CLEA en est une pièce maîtresse. Gaston Bardet, responsable des marchés et disposant de la qualité d’ordonnateur, se familiarise rapidement avec l’administration de haut niveau. Il passe naturellement avec succès le premier concours pour devenir Intendant de l’air et devient commissaire-ordonnateur de l’air de 2e classe (Lt-colonel) le 7 septembre 1942.

Lorsque le 1er janvier 1943, une direction de l’Intendance de l’air est rattachée au général Kraemer, elle est bien sûr confiée à Gaston Bardet. Il dispose comme adjoint d’un spécialiste de l’administration en la personne du capitaine Albert Roynette (8). Ces nominations concrétisent un projet mûri de longue date, les attributions de cette direction  en zone nord ayant été énoncées dès le mois d’octobre 1941 (9) :

- Mandater et liquider les dépenses du CLEA 

- Effectuer la rémunération du personnel civil 

- Assurer les liaisons avec l’Intendance de l’Armée de Terre (Section air et Directions régionales).

L’Armée de l’air cherche à maîtriser son administration. En effet, après la débâcle de mai 1940, le service de la solde au profit des aviateurs en zone occupée (ou de leur famille) est confié à l’Intendance coloniale. C’est donc elle qui soldait le commissaire Bardet !

En mars 1944, les Allemands exigent la dissolution de l’Intendance de l’air à Paris. Elle poursuit cependant ses activités dans la clandestinité pendant quelques mois, ce qui permettra d’assurer une continuité de la vie administrative, en particulier au plan financier, lorsque l’Armée de l’air reprendra possession de la BA 117 en septembre 1944.

Mais à la Libération, comme tous ceux qui sont demeurés en métropole pendant la guerre, le commissaire-ordonnateur de 1ère classe (colonel) Bardet doit rendre des comptes. Nommé officiellement le 1er octobre 1944 au poste qu’il occupe en fait depuis plus de deux ans… il redevient CO2 (lieutenant-colonel) le même jour. Il faudra attendre janvier 1946 pour qu’il retrouve ses galons de colonel, mais seulement à compter du 15 décembre 1945, c’est-à-dire en perdant plus de 18 mois d’ancienneté. A la suite de son recours administratif, la commission de reclassement estime que « malgré des titres de résistance modestes, il a subi une pénalisation excessive ».  Au JO du 1er juin 1946, il est définitivement inscrit à l’annuaire comme commissaire ordonnateur de 1re classe à la date du 25 juin 1945.

Cependant, un ressort a été brisé et une amertume certaine assombrit sa fin de carrière. Après une brève année en poste à la direction régionale de la 4e région aérienne à Aix-en-Provence, il dirige le Magasin central d’habillement (MCH) de Ris-Orangis (10), ce qui ne peut pas être considéré comme une mesure de faveur. Il patiente trois ans dans cette affectation avant de prendre sa retraite à la limite d’âge en 1949.

Résidant à Chatou (78) jusqu’en 1968, il se retire ensuite à Bazoche-Gouet, son village natal, où il décède le 7 juillet 1976.

Commissaire général (2S) François Aubry  

Source :

Dossier individuel détenu au SHD sous la cote AI 1 P 290 89 2

Notes :

1/ Le Triomphe est une cérémonie annuelle qui marque, depuis 1934, le départ et l’arrivée des élèves à Saint-Cyr. La « Montmirail » sera très vite aux avant-postes : les sous-lieutenants Jean Francon et Jean Cholley tombent dès le 8 août 1914 puis vingt-quatre sous-lieutenants perdront la vie le même jour (22 août). Plus de la moitié de la promotion ne verra pas la fin de la guerre. La promotion suivante, « La Croix du drapeau », subira encore davantage de pertes.

La « Montmirail » est aussi appelée parfois « La promotion du serment ». En sont issus : le sous-lieutenant Magrin-Vernery qui s’illustrera pendant la deuxième guerre mondiale sous le nom de Monclar et, dans l’Armée de l’air, les généraux Romatet (1893-1975), Hertaux (1893-1985) et de Geffrier (1893-1985). 

2/ voir sur Internet les historiques numérisés des 165e et 269e RI.

3/ Il ne croisera pas Saint Exupéry qui volera un peu après lui dans cette unité, d’octobre 1922 au printemps 1923

4/Jean Mermoz (1901-1936) a signé en 1920 un contrat de quatre ans dans l’aéronautique militaire. Passé par Istres un an après Gaston Bardet, il est breveté le 9 février 1921 et nommé caporal le même jour. Il arrive à Beyrouth le 17 septembre 1921, affecté à la 54e escadrille, et en repart le 24 avril 1922.

5/ Le séjour de Gaston Bardet au Levant a été « encadré » par celui de deux autres futurs commissaires de l’air : Charles Rouganiou qui sert comme artilleur de 1918 à 1920 (cf article du 19 juillet 2017) et Pierre de Broca, pilote d’observation de 1923 à 1925 (cf article du 6 juin 2017).

6/ Le 22e RABN, spécialisé dans le bombardement de nuit, est installé dans le quartier d’Aboville (ancienne caserne de Cavalerie) et sur le terrain de Chartres-Champhol de 1924 à 1932. La BA 122 qui lui succède est créée administrativement en 1922 et dissoute en 1997.

7/ Il est rappelé que, en zone libre, la 1ère RA est à Aix et la 2è RA à Toulouse

8/ Lieutenant-colonel Albert Roynette (1907-1995). Engagé en 1927. EMA 1933. Rédacteur de l’instruction 6300 du 3 novembre 1940 sur la comptabilité (premier texte administratif propre à l’Armée de l’air) et inventeur des « fonds d’avance ».

9/ Note n°11 721 du SAAA à l’EMAA en date du 16 octobre 1941. Voir aussi « Le projet d’extension en zone occupée » dans notre article du 20 avril 2018.

8/ Le MCH 798 a été créé le 1er mars 1945 à partir du regroupement d’une unité de stockage située à Paris, rue Faidherbe, et d’un Service de production installé rue Saint Didier. Il dispose d’une antenne à Lille de 1946 à 1951.