mercredi 20 janvier 2021

1991 : commissaire de la base aérienne de Saint Dizier avant Desert Storm

par Jacques Primault (ECA 75)

Nous fêtons ce mois-ci le 30ème anniversaire des premières missions des Jaguar français dans le cadre de l’opération Desert Storm menée par les avions de la coalition internationale contre les troupes de Saddam Hussein.

Cet anniversaire me ramène 30 ans en arrière, au 1er septembre 1990 au moment où, de retour d’une affectation outre-mer, je rejoins la base aérienne 113 de Saint Dizier, « Commandant Antoine de Saint Exupéry » (1), commandée alors par le colonel Bernard Guével. 

Cette base est située dans la Haute-Marne, région généralement synonyme - pour ceux qui ne la connaissent pas - de ciels bas et lourds, de pluie et de grands froids, sur fond de vents sibériens et de plaines enneigées. C’est mon second poste sur une plate-forme avec avions en FATAC-1ère RA, grand commandement réputé pour son caractère très opérationnel durant la guerre froide, avec des moyens aériens prêts à être engagés massivement sur le théâtre centre-Europe puis,  à partir des années 80, lors de détachements en opérations extérieures (OPEX).

C’est ma troisième affectation comme commissaire de base (2), ce qui me permet de prendre rapidement mes marques dans le domaine purement commissariat et de découvrir peu à peu le volet opérationnel de la base, avec son escadre de Jaguar (3), commandée par le Lcl Yvon Goutx (4).

J Primault - Y Goutx

Mais j’arrive à une période un peu particulière en cet automne 1990, car le monde entier a les yeux rivés sur le Golfe après l’invasion du Koweit le 2 août 1990 par les troupes de Saddam Hussein. Cet évènement va avoir un impact sur le fonctionnement opérationnel de la base de Saint Dizier, et donc sur le fonctionnement du service de soutien que je dirige.

Le 15 septembre 1990, le président Mitterrand décide de l'envoi dans le Golfe d'un corps expéditionnaire, la Division Daguet. Pour l’aérien, le Jaguar est l’appareil de bombardement qui convient, même s’il n’est pas tout jeune. Le top présidentiel enclenche sur la base aérienne une période de préparation intensive des pilotes et mécaniciens susceptibles de participer à l’engagement et de leur logistique, période que j’ai eu le privilège de vivre « de l’intérieur ».


Les réunions hebdomadaires des chefs de Moyens (5) ou les déjeuners dans la salle du commandant de base sont désormais centrés sur cette montée en puissance. Les pilotes ont certes l’expérience d’interventions en OPEX, depuis la toute première opération menée au Sahara Occidental en 1977 (6), et certains ont même participé à un exercice Red Flag à Nellis dans le désert d’Arizona mais chacun est conscient que cette fois « On y va pour de vrai » (sic). Les dangers de la bataille à venir sont jugés plus sérieux en raison de l’intensité probable des moyens antiaériens à affronter (petits calibres et missiles portables), des risques consécutifs à une éjection en terrain ennemi ou de la menace chimique avec les Scuds Irakiens pouvant être lancés sur l’arrière du front. Sans que cela ne remette en cause le moral des pilotes, ces interrogations sont bien sûr génératrices de tensions, en particulier dans les familles des intéressés.

Les discussions entre nous tournent également autour du choix de la base saoudienne qui doit accueillir les avions français. Plusieurs hypothèses sont envisagées et le choix se porte finalement sur Al Ahsa, un terrain civil peu équipé, ce qui ne réjouit pas les pilotes. 

Le commissaire de base que je suis participe évidemment à la préparation des personnels en liaison avec la direction régionale (7), le centre administratif (CATA) et l’établissement d’habillement (ERCA), que ce soit pour les documents administratifs et financiers nécessaires aux personnels désignés ou la mise à disposition d’effets d’habillement PN et NBC (8). Mon collègue le médecin-chef prépare également les personnels désignés, notamment au regard du risque chimique. L’aumônier de la base, outre son rôle traditionnel au service de ses ouailles, est, par ailleurs, un passionné des questions internationales et enregistre sur VHS (9) tous les reportages diffusés sur la situation dans le Golfe…  

Mi-octobre, le Lcl Goutx, désigné chef du détachement Jaguar, s’installe avec quelques pilotes à Al Ahsa, alors en plein travaux, et dirige les premiers entraînements avec les Jaguar de la 11è escadre présents sur place. Un deuxième départ de pilotes a lieu fin octobre, alors que les mécaniciens partent selon leur rythme propre.

L’ultimatum fixé à Saddam Hussein par l’ONU début décembre pour évacuer le Koweit expirant le 15 janvier 1991, la tension monte durant le mois de décembre. Un roulement de personnel (pilotes, mécaniciens) s’établit et le Lcl Goutx revient de détachement début décembre. Quelques pilotes de l’escadron 3/7 partent entre les deux fêtes.

Le 16 janvier 1991 au soir, le président Mitterrand intervient devant la nation et annonce aux français que « les armes vont parler ».

La suite appartient désormais à l’histoire, avec le 1er raid de 12 Jaguar lancé le 17 janvier au matin, sous le commandement du commandant Mansion, nouveau chef du détachement Jaguar, suivi de nombreux autres raids durant les 24 jours de l’opération Desert Storm, heureusement sans perte de pilotes.

Après avoir participé « en direct » à la montée en puissance des moyens durant quatre mois, une expérience humaine qui ne s’oublie pas, le commissaire de la base aérienne de Saint Dizier suit désormais les évènements à la télévision comme tous les français !

(1) Sur proposition du colonel Gavoille, commandant la base en 1956 et ancien chef de Saint Ex au 2/33 en 1944.

(2) Après une affectation sur la BA 178 Achern (FFA) puis sur la BA 124 Strasbourg-Entzheim

(3) 7ème escadre et ses 3 escadrons

(4) Lire : « Le ciel est mon désir » par le général Yvon Goutx (éd Lavauzelle)

(5) Commandant de l’escadre ; responsables des moyens opérationnels de la plate-forme, des moyens administratifs, des moyens généraux (protection, garage) et du service médical

(6) Voir notre article «1977 : l’opération Lamantin » Jacques Primault (ECA 75)

(7) Voir notre article : « Du CATA au Golfe en 1991 » Commissaire général (2S) Michel Vallecale 

(8) Personnel navigant ; Nucléaire, Biologique et Chimique (tenues T3P)

(9) Sigle inconnu des plus jeunes lecteurs : VHS (Video Home System : système d’enregistrement magnétique en usage à la fin du 20ème siècle)