samedi 16 janvier 2021

1953 : le recrutement direct des commissaires de l’air

Par le commissaire général (2S) François Aubry

Dès la création de l’Armée de l’air, en 1933, la question de « l’inter-armisation » s’est posée en filigrane des débats sur l’autonomie de cette nouvelle Armée. L’existence d’un Commissariat spécifique à l’Air, proposée par le gouvernement en 1934, n’a pas été retenue par le Parlement dont la préférence allait vers la mise en place d’un service commun à l’ensemble des armées*.

Néanmoins, pendant la deuxième guerre mondiale, une Intendance de l’air a vu le jour. Démarquée du modèle de l’armée de terre, elle est rapidement devenue ‘Commissariat de l’air’ à l’instar d’un "Commissariat de la marine" qui existait de longue date. Ce tropisme marin a produit de nombreux effets et tout particulièrement en matière de recrutement, en retenant une formule initiée par Choiseul, au XVIIIème siècle.

Les origines d’un rapprochement avec le commissariat de la marine

Le premier général responsable de l’Intendance de l’air a été un commissaire de la marine. Même si  Raymond Sourrieu (1891-1952) est resté trop peu de temps à ce poste, et surtout dans des conditions trop troublées (1943-1944) pour avoir pu imposer sa marque, il a toutefois eu le temps de faire appel à un autre commissaire de la marine, Charles Rouganiou (1896-1982). Ce dernier a terminé sa carrière comme Inspecteur général du commissariat de l’Armée de l’air et servi de puissant relais entre les deux institutions**.

L’apport principal de la Marine à l’Air, dans le domaine du commissariat, a été sans conteste un « état d’esprit » dans les relations entre ceux qui combattent (officiers des armes) et ceux qui ont pour fonction de les soutenir (officiers des services).  Ce sujet des rapports entre « la plume et l’épée », sujet ancien, récurrent et jamais durablement résolu, mériterait une étude spécifique. On se bornera à développer ici un autre emprunt à la Marine, celui du recrutement externe des élèves-commissaires, dont l’impact a été déterminant.

Un domaine emblématique : le recrutement et la formation.

Dans un premier temps (1940-1952), le commissariat de l’air a recruté, comme l’Intendance dont il était issu, sur le critère du recrutement interne, c’est-à-dire parmi des officiers ayant au préalable une bonne expérience militaire. Mais c’est le recrutement externe de civils, sur le modèle de la Marine, qui a finalement prévalu en 1953 pour le commissariat de l’air.

Trois tentatives  ont été nécessaires à la Marine avant de fixer la formule du concours externe qui est encore en vigueur de nos jours :

- A l’origine, le commissariat de la marine s’appuyait également sur un recrutement par voie interne. C’est Choiseul, le premier, qui a pensé - en 1765 - à sélectionner ses commissaires parmi les « jeunes messieurs », civils âgés de 18 à 22 ans. Ceux qui avaient subi avec succès l’examen d’entrée suivaient ensuite une formation sur le tas à Brest, Toulon ou Rochefort. Cette formule, éphémère, ne comportait ni concours ni école spécifique.

 - A la veille du premier Empire, un arrêté du 29 germinal an 12 a ouvert la possibilité de recruter 12 « élèves d’administration » pour la Marine. (Curieusement, en 1940, les premiers intendants de l’air seront aussi douze…). Les conditions d’âge sont les mêmes que sous Choiseul. Les matières de l’examen sont classiques : langue française, écriture, orthographe, arithmétique, géométrie mais une langue étrangère est maintenant obligatoire (anglais, espagnol, portugais ou hollandais). Après trois ans de formation dans un port, les élèves embarquent, comme agent comptable, pendant six mois.

 - Une ordonnance du 17 février 1824 remplace l’examen par un concours, ouvert aux licenciés en droit et, à défaut d’Ecole, un « guide pour l’instruction du service à la mer » est élaboré. Sous Louis-Phillipe, cette formule est abandonnée pour revenir au recrutement d’Ancien Régime à base de commis.

C’est un décret du 28 novembre 1863 qui fixe, cette fois définitivement, la formule du recrutement externe sur concours ouvert aux licenciés en droit. Une formation théorique est donnée à Brest et Lorient dans un « Cours d’administration des élèves-commissaires ».

L’école du commissariat de la marine ne sera créée qu’en 1910, à Brest, mais c’est bien le décret de 1863 qui s’est imposé comme référence suprême. La célébration du centenaire de cette école en 1963 le prouve avec éclat. Transférée à Toulon en 1941, l’école a servi de modèle (recrutement et formation)  à Salon-de Provence, pour la création à l’été 1953 d’une école du commissariat de l’air. Afin de s’assurer d’une duplication conforme au modèle, la direction de l’ECA est confiée à un commissaire de la marine, André Graffard (1922-1993)***, qui poursuivra ensuite toute sa carrière dans l’Armée de l’air.

Plus tard, un concours commun Air/Marine sera organisé en 1971, puis étendu à l’armée de terre en 1984 après transformation de son Intendance en Commissariat. La fusion des trois écoles en une école des commissaires des armées en 2013 parachèvera ce long processus, dernière étape après la fusion des trois services en 2009 puis celle des trois corps en 2012…. conformément aux vœux du parlement 75 ans plus tôt.

 *Voir notre article « Le faux départ du commissariat de l’air en 1934 » (septembre 2017)

** Voir biographie de Charles Rouganiou (article du 29 juillet 2017).

***Voir nos articles : « La naissance de l’école du commissariat  de l’air en 1953 » par le commissaire général de brigade aérienne GRAFFARD » (13 novembre 2012) ; « Commissaire général André Graffard, de la marine à l’armée de l’air » (21 septembre 2015) ; « Le commissaire commandant Graffard, premier directeur de l’ECA » (4 octobre 2015)