vendredi 14 août 2020

D’anciens commissaires de l’air à la Cour nationale du droit d’asile

Un arrive, un autre s’en va…

L’actualité

Emmanuelle Topin (ECA 94), première conseillère au tribunal administratif de Montreuil, est nommée présidente du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans les fonctions de présidente de chambre à la Cour nationale du droit d'asile à compter du 1er septembre 2020. 

(Décret du 30 juillet 2020 portant nomination de présidents - tribunaux administratifs et cours administratives d'appel)

Organisation et fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile

Par Michel Braud (ECA 68), président honoraire du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, président de formation de jugement à la Cour nationale du droit d'asile

"Au début du mois de septembre 2003, alors que je venais de prendre mes fonctions de président de section du tribunal administratif de Paris, en relevant mon courrier à ma boîte aux lettres du tribunal, j’y trouvai une enveloppe cachetée à mon nom. Le président du tribunal me demandait si j’acceptais de présider des audiences à la commission des recours des réfugiés (CRR). Après plus de vingt ans de fonction de magistrat administratif, je découvrais cette juridiction dont je n’avais pratiquement pas entendu parler (1).

De la CRR…

Elle siégeait alors à Fontenay-sous-Bois dans les mêmes locaux que l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), mais pas aux mêmes étages. L’office en assurait le support bien qu’il fût son unique défendeur puisque la CRR en contrôlait les décisions refusant l’asile ou la protection subsidiaire (2). Puis la CRR déménagea, en 2004, à Montreuil où elle siège toujours.

L’environnement de la CRR était alors assez spartiate. Pour l’encadrement juridique, de personnel permanent, il n’y avait que le président et trois ou quatre vice-présidents. De petites salles d’audience où la formation de jugement et les parties étaient installées derrière de simples tables d’écoliers. J’ai été alors quelque peu surpris de consulter les dossiers avant l’audience dans une pièce qui servait de dépôt de matériel, avant de me rendre compte que je partageais ce local avec d’autres présidents vacataires dont certains étaient conseillers d’Etat et n’étaient donc pas mieux traités que moi (cet état de fait devait cesser avec le déménagement de la CRR dans des locaux neufs, à Montreuil toujours, dès l’automne 2014).

…à la CNDA

La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 changea l’appellation de la juridiction en cour nationale du droit d’asile (CNDA), appellation plus juridictionnelle. Puis, à la fin de la première décennie de ce siècle, le Conseil d’Etat prit en charge la gestion de la cour. A côté des présidents vacataires, sont désormais nommés des présidents de chambre permanents. Les 22 salles d’audience sont réaménagées de manière plus solennelle avec notamment un drapeau français et un drapeau européen (dans une telle juridiction qui s’adresse à des étrangers, la symbolique a sa place).

La cour est actuellement composée de six sections de trois à quatre chambres chacune. Elle dispose d’un centre de documentation juridique et géopolitique et de son propre bureau d’aide juridictionnelle. 

A la différence des juridictions administratives de droit commun, l’oralité tient une place très importante, voire primordiale, les demandeurs d’asile n’étant bien évidemment pas toujours en mesure de prouver les persécutions dont ils sont victimes. Les officiers de protection de l’OFPRA qui les entendent en entretien leur rappellent fréquemment que ce sont leurs déclarations qui priment sur le récit écrit qui est joint au formulaire de demande d’asile et qui, le plus souvent, est rédigé par un tiers qui en assure la traduction pas toujours fidèle.

Il en va de même pour la formation de jugement qui, elle-même, a une composition originale.

Si elle est présidée par un membre du Conseil d’Etat ou des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, un magistrat de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes ou un magistrat judiciaire, en activité ou honoraire, les deux assesseurs ne sont pas des magistrats professionnels : l’un est nommé par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, l’autre par le vice-président du Conseil d’Etat (3).

Cette composition fait tout l’intérêt de la juridiction : les membres nommés par le vice-président du Conseil d’Etat sont en général des hauts fonctionnaires honoraires dont beaucoup sont issus du corps diplomatique et consulaire, et ont une connaissance approfondie des pays dans lesquels ils ont été nommés au cours de leur carrière. Quant aux assesseurs nommés par le haut-commissaire des Nations unies, si un certain nombre l’est parmi des universitaires, d’autres le sont parmi des personnes ayant œuvré dans des pays pourvoyeurs de demandeurs d’asile (4).

A l’audience, après avoir entendu le rapport du rapporteur qui ne fait pas partie de la formation de jugement et résume l’historique de la demande d’asile, puis en fait une analyse, le président puis chacun des assesseurs posent des questions au demandeur d’asile, souvent par l’intermédiaire d’un interprète agréé (5), afin d’obtenir des précisions ou des éclaircissements. Puis la parole est donnée à l’avocat du requérant, s’il en a un, ce qui est le plus souvent le cas, l’aide juridictionnelle étant accordée la plupart du temps, et, le cas échéant, au représentant de l’OFPRA qui n’en envoie que rarement et pour des dossiers délicats (tels que ceux d’exclusion du statut de réfugié).

Un certain nombre d’avocats connaissent une ou plusieurs langues étrangères, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes originaires d’un pays étranger. C’est ainsi qu’au cours d’une audience, constatant les réactions de l’avocat pendant les questions posées à son client, je lui dis : « Maître, vous paraissez comprendre le Peul » et lui de me répondre : « Mais je suis Peul ». C’est là un plus pour la défense des intérêts du demandeur d’asile.

Les assesseurs, aussi, connaissent parfois des langues étrangères et je me suis une fois trouvé en présence de deux assesseurs russophones qui, comprenant directement le requérant, s’impatientaient pendant les traductions des réponses de celui-ci.

La dimension humaine est si forte qu’il peut arriver des incidents d’audience : plusieurs fois, des requérant(e)s se sont évanoui(e)s au cours des échanges ; une autre fois, ce fut une personne de l’assistance. C’est alors la suspension de l’audience, le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure et l’appel des pompiers par le service de la sécurité de la cour (6).

Il y a encore une dizaine d’années, la cour tenait des audiences foraines dans les départements d’outre-mer. J’ai eu la chance de faire partie d’une des dernières missions foraines à Mayotte : trois semaines d’audience toute la journée du lundi au vendredi pour trois formations de jugement, soit en tout une vingtaine de personnes. Les audiences se tenaient au tribunal administratif de Mamoudzou, à la chambre déléguée de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion et dans une salle de réunion que la préfecture avait mis à notre disposition (7). C’était intense (8) avec des audiences durant toute la journée, mais il y avait une très bonne ambiance entre les magistrats, les assesseurs, les rapporteurs et les agents de greffe car nous nous retrouvions aux repas pris ensemble ou à l’hôtel après les audiences ou encore lors des visites de l’île pendant les week-ends. 

Ces audiences foraines sont maintenant remplacées par une singularité de la cour : les vidéo-audiences avec l’outre-mer : des salles d’audience (9) sont équipées pour l’enregistrement et la réception des débats : outre-mer, le greffe est assuré par le tribunal administratif. Un écran filme le requérant, son avocat et l’interprète tandis qu’un autre donne une vision d’ensemble de la salle d’audience outre-mer. Un autre écran filme la personne qui prend la parole à Montreuil (10).

A l’issue du délibéré (11), une minute du rôle mentionnant le sens de la décision rendue par la formation de jugement pour chaque affaire est signée par le président et les assesseurs. Puis le rapporteur rédige les projets de décision conformément au délibéré. Enfin, les décisions, après avoir été révisées par le président, sont signées par lui et le chef de chambre.

Bientôt arrivé à la fin de mes fonctions (12), quel bilan en tirer ? 

Si l’aspect juridique est moins prononcé que dans les tribunaux administratifs, la présidence à la cour est une expérience très enrichissante par sa dimension humaine, non seulement de par le contenu des dossiers, mais aussi par son environnement : les assesseurs comme je l’ai déjà indiqué, mais aussi les rapporteurs souvent très jeunes (bon nombre n’a pas la trentaine) souvent très motivés, et les agents du secrétariat toujours dévoués pour courir après les requérants, les interprètes et les avocats à la fin de leurs observations dans une autre salle d’audience (13)."

Notes

(1) Créée en 1952 (article 5 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952).

(2) Le tribunal administratif est compétent pour connaître des recours dirigés contre les décisions de l’OFPRA refusant le statut d’apatride.

(3) Ils sont de nationalité française (article L 732-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

(4) Dans certaines hypothèses, le président statue seul, mais il a toujours la faculté de renvoyer l’examen de l’affaire à une formation collégiale (article L 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

(5) Une fois, j’interroge un jeune afghan, tout juste majeur, par l’intermédiaire d’un interprète, quand, après deux ou trois questions, il lève la main et me demande s’il peut s’exprimer en français : bien qu’arrivé en France depuis peu de temps, il parlait très bien le français et tout l’entretien s’est poursuivi dans cette langue. Mais même quand les requérants s’expriment en français, la présence de l’interprète peut ne pas être inutile, le français étant quand même une langue étrangère. Il peut arriver que, pour des langues rares, on ne dispose pas d’un interprète et c’est ainsi qu’à une audience que je présidais, deux interprètes sont intervenus, l’un dans la langue du requérant et en arabe, l’autre en arabe et en français. Par ailleurs, la cour peut faire appel à des interprètes dans le langage des signes pour les requérants sourds.

(6) A l’examen de certains dossiers, on peut se rendre compte que le demandeur d’asile a l’esprit plus ou moins perturbé (ce qui peut se comprendre compte tenu de son parcours d’exil). J’ai souvenir qu’une fois, à l’appel d’une affaire de ce type, la sécurité, avisée, avait délégué trois ou quatre agents en fond de salle, quand le requérant demanda alors le huis clos, qui est de droit. Les agents se retirèrent donc. Heureusement, tout s’est bien passé. En tout état de cause, un bouton permet au président d’alerter la sécurité en cas de besoin.

(7) Je ne sais pourquoi une seule audience - que j’ai présidée - s’est tenue au tribunal de grande instance de Mamoudzou.

(8) Sans compter le travail de révision de près de deux cents projets de décisions au retour en métropole, en une quinzaine de jours.

(9) Il existe 22 salles d’audience à Montreuil et 5 salles d’audience au palais de justice de l’île de la Cité, derrière la Sainte Chapelle.

(10) Ce qui permet de constater les tics qu’inconsciemment on peut avoir !

(11) Quand le président juge seul, s’il n’y a pas de délibéré, il y a cependant un échange avec le rapporteur, mais la minute du rôle n’est signée que par le président.

(12) Les membres des formations de jugement sont nommés pour trois ans renouvelables (article R 732-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) et les présidents de formation de jugement ne peuvent exercer leurs fonctions au-delà de 75 ans (article L 732-1 du même code) ; atteignant bientôt cet âge, je ne serai pas renouvelé dans mes fonctions à la fin de l’année.

(13) En temps normal (avant la pandémie), avec ses 22 salles d’audience, la cour grouillait de monde : requérants attendant l’appel de leur affaire, parfois accompagnés de très jeunes enfants qu’ils n’ont pu faire garder (il y avait des jouets pour les plus petits dans les salles d’attente et le secrétariat ou les avocats fournissent papier et feutres pour distraire les plus jeunes enfants dans les bras de leur mère lors de l’audience), futurs requérants qui assistent aux audiences de leurs compatriotes pour voir comment se déroulent les débats, etc…