jeudi 11 juin 2020

Le général de Gaulle à Salon en février 1960

Du 25 au 28 février 1960, à la fin d'un déplacement officiel dans dans le Tarn, l’Aude, le Gard et l’Hérault, le général de Gaulle prononce une allocution à l'école de l'air à Salon-de-Provence*.

Deux membres de l’amicale nous rappellent cet évènement historique vécu par les élèves commissaires des promotions 58 et 59 de l’ECA**, avec leurs camarades de l’école de l’air, souvenir certainement marquant pour de jeunes officiers à l’aube de leur carrière militaire.

Les photos de la cérémonie

Quand on avance en âge, on a une tendance à ranger les tiroirs …C’est ainsi que j’ai trouvé quelques photos, dont j’aimerais vous faire profiter, relatives à la visite du général de Gaulle à Salon le 28 février 1960.


Elles m’ont été données par le général commandant l’école de l’air, féru d’Histoire, lorsque j’ai quitté l’ECA en 1985 après 4 années passées comme cadre (dont 2 comme adjoint au directeur).

On y voit le général de Gaulle remettant les insignes de la Croix de guerre au drapeau de l’école, et Pierre Messmer, ministre des armées.

Le commandant l’école de l’air est, en février 1960 et pour une courte période, le général Aubinière (1912-2001), ancien résistant et déporté, qui a dirigé le CNES de 1962 à 1971. Il avait succédé à Salon au général Delfino (ancien commandant du Normandie Niemen) devenu commandant de la 4° RA.
Commissaire général (2S) Michel Barbaux

NB : Comme les élèves des promos 58 et 59, j’ai pu voir le général « en vrai » dans ma jeunesse quand il est venu à Valenciennes (où j’habitais alors) en novembre 1960. J’avais attendu au premier rang de la foule pendant plus de 3 heures pour le voir et... j’ai réussi à lui serrer la main !

Le discours du général



En complément, voici le discours prononcé par le général de Gaulle le 28 février à Salon.  Le texte figure dans le n°7 de la revue Le Piège avec une photo de la décoration du drapeau.
Il est curieux que le général parle de "cruelle victoire en 1945" et révélateur que son discours repose sur la "psychologie" et sur les "engins" à venir.

On ne rendra jamais assez hommage au général Aubinière, injustement oublié. Il a non seulement dirigé le CNES mais il l'a créé. Sans lui aurions-nous eu Kourou et Ariane ? L'armée de l'air lui a rendu un hommage tardif mais mérité avec la promotion 2017.
Commissaire général (2S) François Aubry

"C'est sans apprêt que je vous parle, mon premier mot est pour vous dire que je ressens profondément l'honneur d'être ici et la satisfaction; il suffit de pénétrer sur vos terrains, de vous voir et en particulier quand vous êtes ensemble, pour s'apercevoir que votre Ecole est une très grande chose, et mon premier mot est pour la saluer et lui rendre hommage.

Que de choses vous représentez et surtout que de choses vous représenterez, à quelle grande action vous êtes voués! L'Armée de l'Air que j'ai vu naître, l'Armée de l'Air a eu successivement sa grandeur et puis à un certain moment sa peine, et puis elle est de nouveau en plein essor.

Sa grandeur elle l'a prouvée dans beaucoup de sacrifices pendant la Première Guerre mondiale où pour la première fois elle a paru dans les batailles; sa peine, elle l'a éprouvée lors de la Seconde Guerre mondiale où, assez injustement en ce qui la concernait, elle s'est trouvée trop longtemps et dans de tristes conditions, presque, pas tout à fait, mais presque hors de combat. Elle a d'ailleurs su au moment voulu reprendre sa part de la victoire, la cruelle victoire de 1945, et depuis j'ai assisté et je constate son effort, non seulement pour renaître, car elle n'était pas morte, mais pour se développer et redevenir, ou plus exactement devenir ce qu'elle doit être, c'est-à-dire l'élément essentiel de notre force.

A cet égard, l'avenir est devant vous, et il se trouve que vous voilà juste à un moment où la technique nous dominant tous, la science nous entraînant et la concurrence internationale nous dictant sa loi, l'Armée de l'Air commence à devenir non pas autre chose que ce qu'elle fut, mais à devenir quelque chose qui se présente et qui se présentera sous des formes fort différentes, et cependant c'est toujours et ce sera toujours l'Armée de l'Air, c'est-à-dire un ensemble d'hommes avec des matériels qui conquièrent, qui dominent, qui commandent le ciel.

C'est votre élément, ce le fut, ce I'est, ce le restera par excellence et plus que jamais.

La psychologie qu'est la vôtre par vocation d'abord et ensuite par formation, notamment celle que vous acquérez ici et puis celle que vous développerez après dans les unités en servant, cette psychologie est à la base de tout, lors même, et c'est le cas, qu'on en vient au grand tournant des engins.
Je le répète : l'âme qui se forme ici, le goût de l'air, la connaissance de l'air, la vocation de l'air qu'on développe ici, sont plus que jamais aujourd'hui et seront plus que jamais demain nécessaires.
A cet égard, nous partons, nous la France, nous partons assez en retard. Ce retard nous le subissons pour les mêmes raisons que nous en subissons d'autres et qui ont tenu à nos avatars, et quand je parle d'avatars je ne parle 'pas seulement des plus récents, je parle de ceux qui ont graduellement restreint notre puissance relative depuis quelque cent cinquante ans.

Cependant il se trouve que le moment où nous sommes, et où ce tournant se prend, coïncide avec celui où la France sort de ce progressif abaissement et au contraire entre dans une voie d'ascension: on le constate en toute matière, on le constate avant tout dans l'ordre· scientifique, dans l'ordre technique, par conséquent dans l'ordre industriel. C'est la base de notre puissance, c'est la base de la vôtre, et vous sentez tous que cela est en progression, c'est pourquoi je ne suis pas inquiet sur votre avenir. Beaucoup de vos anciens sont tombés pour le service du pays, soit dans le combat, soit dans un service commandé - et pour un homme de l'Air le service commandé est toujours un combat -, et beaucoup des hommes de l'Air de demain mourront aussi pour le service et en service; c'est d'ailleurs votre honneur particulier, ce qui vous distingue de toutes sortes d'autres catégories et peut-être aussi, en conjonction avec les marins, qui vous distingue des autres catégories militaires. Vous êtes toujours exposés, vous êtes toujours en danger, et, à ce titre-là, vous méritez l'honneur qui vous entoure; demain, qui sait dans quelles conditions vous aurez à servir au fur et à mesure que se développeront les engins qui ne font que prolonger vos avions - qui d'ailleurs, à mon sens, ne les supprimeront pas de sitôt. II en sera de ces engins comme de tout : au fur et à mesure qu'ils se développeront, ils prendront naturellement la première place, la place capitale; mais, cependant, il demeurera longtemps des appareils, si j'ose dire, plus modestes mais certainement non moins méritoires, et qui les compléteront dans tous les ordres d'idées.

Qu'il s'agisse de ces appareils ou qu'il s'agisse de ces engins, ce sera votre domaine, il vous est attribué, vous serez ceux - demain encore plus qu'aujourd'hui ou qu'hier - qui auront à faire valoir à des distances croissantes, au point de devenir immenses, l'honneur des armes de la France. Je le répète, vous entrez dans cette carrière au moment même où cette transformation commence ; le retard que nous avons subi nous le rattraperons, nous le réparerons, et je ne doute pas que ceux d'entre vous à qui le service voudra qu'ils vivent, ceux-là verront sans aucun doute la puissance de la France, la puissance aérienne de la France, monter au premier rang et je vous le souhaite, Messieurs, de toute mon âme, non seulement pour vous, mais pour notre Patrie ; il y a parmi vous, tels que vous êtes, tout ce qu'il faut pour faire que la France soit bien servie. Et je suis ému, je ne vous le cache pas, et impressionné de vous le dire, car, après tant et tant d'épreuves que notre pays a traversées et notamment dans ses combats, je ne puis manquer d'être saisi par l'aspect que vous m'offrez, vous qui êtes tout prêts à soutenir de nouveau les querelles nationales ; ces querelles ne sont pas d'ailleurs des basses querelles, ce sont, ce furent toujours et ce sera demain, de grandes causes que nous servons et que nous faisons valoir, ce sont des causes humaines en même temps que des causes nationales.
Voilà pourquoi, Messieurs, je suis heureux d’avoir I'occasion de vous dire ma confiance et celle que la France vous porte.

Vive l'Ecole de l'Air !
Vive la République !
Vive la France !"

* Le capitaine Philippe Archambeaud (EA 1946-48 ) était alors aide de camp du général (janvier 1959 à septembre 1960)
**1958 : les commissaires Andrieux, Bonfils, Bonnet, d'Antin, Cote, Guillerm, Henry, Lavabre, Macquignon, Monjoin, Vaissade ; 1959 : les commissaires Albert, Auzal, Castaignet, Clerc, Meyer, Miglianico, Pellan, Vachot