samedi 6 juin 2020

ECA 1977 : barbu ou pas barbu. C’est la question

Ah ! La barbe... Dans les armées, elle a toujours fait jaser mais sans jamais raser les auditoires, tellement le sujet est fourni et parfois piquant, qu’il s’agisse des sapeurs de la Légion étrangère avec leur tradition héritée de la Grande Armée, ou bien du pilote de Jaguar à la 11 puis à la 7 dans les années 90 surnommé "Barbu",  ou alors, sur le plan réglementaire, la question sensible « des règles particulières pouvant être édictées par le ministre ou le commandement afin de tenir compte des nécessités du service » (liées aux exigences de l'hygiène, de la sécurité et du port des effets et équipements spéciaux - Article D4137-2 du code de la défense).
Pour ce qui concerne les commissaires de l'air, en 1974 et 1975, deux élèves commissaires avaient été incorporés barbus*, semble-t-il sans créer un tsunami particulier, mais en 1977, ce fut différent…

Révolution culturelle à Salon: deux élèves commissaires barbus en 1977 !
Par le commissaire général (2S) Pierre Dutac

La promo 1977 aura été celle des grands bouleversements institutionnels. Certains penseront immédiatement à la féminisation du recrutement, ouvert aux quatre premières élèves officiers dont une commissaire.


Mais l'Ecole de l'air dut faire face à un autre bouleversement durable: l'arrivée de deux barbus dans un monde glabre et où la longueur du poil importe. L'irruption de ces deux individus ne put être maîtrisée en amont, il s'agissait en effet de deux élèves commissaires**, des étudiants !, dont j'étais.
Il ne s'agissait pas pour moi de faire la nique à l'autorité mais j'étais barbu civil et je pensais pouvoir être officier et servir mon pays, même barbu. De plus, l'incorporation commençait par un passage chez le coiffeur et la question de la barbe n'avait pas été évoquée, donc c'était possible, problème réglé. Pas tout à fait...

Quelque temps plus tard, à Ancelle en "stage d'oxygénation" - lire: entraînement militaire intensif en montagne -, l'encadrement nous annonce la visite du général commandant l'école de l'air. Un frisson parcourt les élèves officiers qui avaient bien compris que, bien que ne connaissant pas cet être éthéré et un brin menaçant, c'était annonciateur d'ennuis.

Or, j'étais de garde à la soute à munitions (cheville foulée) qui se trouvait face à la zone de poser des hélicos. Celui du général est en approche et se pose. Aussitôt, je vois le général se diriger droit vers moi d'un pas rapide. Aïe ! Que se passe-t-il ? Je rectifie la position et présente les armes (enfin, mon arme). Et le général de me regarder de façon peu amène:
- je peux vous poser une question? Pourquoi portez-vous la barbe ?
- ...., parce que j'aime bien, bredouillais-je, complètement décontenancé. Mais je sentais qu'il n'y avait pas de bonne réponse.

De retour à Salon, je suis convoqué par mon brigadier (un capitaine), un peu gêné:
- je sais que je ne peux pas vous donner l'ordre de vous raser mais sachez que le commandant de l'école le souhaite. Sinon, croyez m'en, vous allez au devant d'ennuis et je sais de quoi je parle (il était lui-même moustachu). Et si vous la gardez, vous la taillez ! Effectivement, j'avais une tête de Jésus Christ de banlieue. Je la gardais donc en la disciplinant un peu et n'en entendis plus parler.

Toutefois, je ne pus participer au défilé du 14 juillet, au motif que j'étais tombé sur la tête (certains diront : on comprend tout maintenant !) et que l'on ne voulait pas courir le risque d'un évanouissement en plein défilé. Mais je pense que cela permettait aussi d'éviter de montrer l'un des deux barbus. Le second barbu avait été placé au milieu des rangs de façon à ce que la promo*** offre une image glabre et uniforme aux caméras latérales.


Je suivis donc le défilé des copains à la télé. Et arrivés à la hauteur de la tribune présidentielle, les rangs se sont scindés par le milieu en deux et je vis, comme tous les Français, un gros plan sur ...le second commissaire barbu.

Commissaires Besse (74) et Brunet (75)
** Commissaires Dutac et Reymondet
*** Rassemblant à l'époque, pour le défile, Ecole de l'air et Ecole du commissariat de l'air