En avant-propos, je précise que je c’est la première fois que j’écris un article sur le recours et l’arrêt qui s’ensuivit et qui porte mon nom. De nature discrète, mais ayant conscience d’une injustice flagrante, j’ai bénéficié à l’époque et durant quelques années d’une publicité sur ce sujet que je n’ai pas recherchée. Cet arrêt m’a valu des inimitiés de personnes souvent haut placées dans la hiérarchie ministérielle, qui m’ont jugée alors qu’ils ne me connaissaient pas. Mais j’ai pu avoir des soutiens inattendus aussi. Bien des années après, il y a prescription, et je rédige cet article non par souci personnel de rétablir la vérité, mais sur sollicitation de mes pairs à des fins historiques.
En 1985, mariée depuis deux ans, je m’apprête à quitter la base aérienne 217 de Brétigny et le SETAMCA (1) ou je suis affectée pour rejoindre "l’Est" et la base 128 de Metz-Frescaty au poste d’adjoint du chef de la division restauration de la direction du commissariat de la FATAC-1er RA (2).
Mon dossier de changement de résidence est en bonne voie jusqu’au jour où, convoquée par les services administratifs de la base 217, on me notifie une reprise sur solde, ayant été indûment bénéficiaire, au taux chef de famille, de la fameuse « prime rideau » (aide aux frais d’installation) dont le nom administratif est « complément forfaitaire de l’indemnité pour charges militaires ».
Stupéfaite par cette nouvelle, je cherche des explications de ce qui m’apparaît comme une erreur.
Les experts me confirment que cette interprétation est juste, textes à l’appui (3).
Or, il se trouve que j’ai en mémoire les termes de mon mariage civil énoncés par le maire de Nancy et, en particulier, "que les époux assurent conjointement la conduite des affaires du couple et l’éducation des enfants". Alors, quand on me parle, en 1985, du « chef de famille », je suis assez sceptique quant à la légalité des textes poussiéreux qui motivent cette décision à mon encontre.
Je me renseigne à nouveau et on me dit, sur le ton de celui qui ne croit pas vraiment ce qu’il dit, : « vous pouvez toujours faire un recours hiérarchique…Mais, bon, vous n’avez aucune chance que cela aboutisse… ».
Le recours hiérarchique
Avec la fougue de la jeunesse et croyant que de jeunes officiers de l’armée de l’air peuvent changer le monde, sans toutefois paraître irrévérencieuse, je m’attelle à la rédaction du recours hiérarchique à l’aide du recueil sur la correspondance militaire. J’explique assez sobrement que je suis mariée et que, pour une durée indéterminée, notre couple est séparé et que chacun doit se loger dans son affectation, ce qui entraîne une charge financière importante, sachant d’autre part que la notion de rapprochement de couples n’est pas vraiment entrée dans les mœurs et encore moins dans les textes. A cette époque, les officiers femmes sont peu nombreuses et la question n’est pas prise en considération par les gestionnaires de personnel.
Ma demande part finalement le 26 août 1985 depuis la direction du commissariat de la FATAC-1er RA où je viens d’arriver, assortie de nombreux avis hiérarchiques qui ne font que confirmer ma situation familiale et citer les textes, en espérant qu’un beau jour ils s’adapteront…
La réponse de la Direction centrale du commissariat de l’air arrive le 14 mars 1986 et m’est notifiée le 20 mars suivant. Cette décision n°11235/DEF/DCCA/FIN/R.1 signée du directeur central de l’époque, le commissaire général de division aérienne Guy Burdin, souligne les textes en vigueur (3) et signale que le complément forfaitaire de l’indemnité pour charges militaires est versé aux militaires percevant cette indemnité au taux « chef de famille », et que, comme je suis un militaire féminin, marié à un militaire masculin qui, lui-même, perçoit déjà cette indemnité au taux chef de famille, par construction, je dois la percevoir au « taux célibataire », par construction.
Donc, les dires des experts de Brétigny sont confirmés, on ne peut rien changer…Sauf qu’une ligne en bas de page attire mon attention : on me signale qu’en vertu des dispositions légales sur l’information des administrés, il m’est possible de formuler un recours devant le conseil d’Etat dans un délai de deux mois courant de la date de notification de la présente décision.
N’étant pas très sûre de moi, je demande conseil à mon directeur régional de l’époque, le commissaire général de brigade aérienne Gustave Jourdren. C’est un homme sensible à la justice administrative et très proche de ses jeunes commissaires. Il est aussi étonné que moi de voir cette réglementation devenue obsolète depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’autorité parentale et me conseille de faire ce recours, me donnant même un modèle !
Après quelques recherches, je réalise que je peux faire un recours pour excès de pouvoir, ce qui me dispense de recourir à un avocat. Je constitue mon dossier qui est assez complexe à monter.
Le recours pour excès de pouvoir
Le mémoire doit répondre à un formalisme juridique très précis, il est assorti de nombreuses pièces jointes, il doit être tapé à la machine et le dossier doit être transmis sous deux mois.
Sans accès facile à l’information et sans les moyens bureautiques actuels, établir ce dossier dans les délais est un véritable challenge. Je parviens à faire enregistrer ma demande par lettre recommandée le 3 mai 1986, sous le numéro 78208/05 COSTA c/ DEFENSE, information qui m’est communiquée le 27 mai 1986. Le dossier complet part le 3 juin 1986.
Une fois l’intérêt pour agir (préjudice financier de 5619,64 francs) et la recevabilité par le Conseil d’Etat établis, ma demande est rédigée en ces termes sur le fond :
« L’acte attaqué est entaché d’excès de pouvoir en ce sens qu’il comporte une violation de la Loi au fond. En effet, la décision attaquée méconnait totalement deux principes d’ordre public : l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes et l’égalité entre les époux.
A l’honneur de conclure à ce qu’il plaise au juge de l’excès de pouvoir du Conseil d’Etat de prononcer la nullité de l’acte administratif attaqué.
Sous réserve de tout autre élément de droit ou de fait à produire ultérieurement si cela est demandé et sous réserve de tout autre recours.
En outre, la requérante prie le Conseil d’Etat de lui communiquer toutes pièces et documents qui viendraient à être produits au cours de la procédure. »
Entre-temps, les délais étant extrêmement longs, je suis mutée sur la base aérienne de Nancy ce qui entraîne de ma part une nouvelle demande d’indemnité, du même type, et un refus identique par décision du 24 octobre 1990.
Il faudra attendre le 15 novembre 1991 pour que l’arrêt qui porte mon nom soit mis en lecture d’une séance de la « section contentieux » du Conseil d’Etat et que les conclusions de madame Martine Denis-Linton, commissaire du gouvernement, donnent raison à mon argumentaire. Avant cela, j’ai répondu régulièrement et avec soin (et sans doute humour) aux mémoires en réponse du ministère de la Défense demandés par le Conseil d’Etat et qui m’étaient légalement communiqués.
Un arrêt favorable
Les considérants de l’arrêt (4) sont limpides et mes deux recours (celui de la mutation de Brétigny à Metz, puis celui de ma mutation de Metz à Nancy) sont jugés conjointement.
- Il est fait mention de ma situation familiale de couple d’officiers ;
- Les dispositions de la loi du 4 juin 1970 sur l’autorité parentale ont rendu caduque la notion de chef de famille, à laquelle se réfère le décret du 13 octobre 1959.
Il est dit que :
- le ministre de la défense ne tient d’aucun texte législatif ou réglementaire le pouvoir de considérer Mme Costa comme célibataire pour lui refuser l’indemnité demandée ;
- Mme Costa est fondée à soutenir que c’est à tort que, par les décisions attaquées, le ministre de la défense lui a refusé le complément forfaitaire de l’indemnité pour charges militaires.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions en date du 14 mars 1986 et du 24 octobre 1990 du ministre de la défense sont annulées ;
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Costa et au ministre de la défense.
Les conséquences de l’arrêt
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cet arrêt aura un fort retentissement dans l’armée de l’air grâce à la décision de la DCCA, diffusée par message, de régulariser toutes les femmes militaires qui, dans cette situation, en feraient la demande.
Puis les textes sont mis à jour : le décret 93-256 du 24 février 1993 modifiant le décret du 13 octobre 1959 institue deux taux pour les couples de militaires. C’est une véritable révolution que ce droit d’option qui rétablit plus d’équité au sein du couple, sans toutefois entraîner un double paiement. Ce droit d’option peut être revu chaque année.
Une loi de validation 94-1163 du 29 décembre 1994 viendra cependant circonscrire les possibilités de remboursement en fixant des délais de recevabilité des demandes.
Par-delà les nombreux désagréments que j’ai pu causer à mon institution et le travail donné à mes camarades, je pense avoir fait avancer le droit des couples de militaires et, par la suite, des couples de l’ensemble de la fonction publique puisque, comme je l’ai appris par la suite, ma jurisprudence a été appliquée dans l’ensemble des ministères.
Foncièrement respectueuse de la hiérarchie et militaire dans l’âme, je n’ai fait que suivre ma conscience et le désir de ne pas voir des situations iniques se reproduire. Je suis fermement persuadée que j’ai ainsi servi la cause de notre commissariat de l’air qui a, une fois de plus, fait figure de précurseur dans ce domaine comme en témoignent ses décisions courageuses dès la sortie de l’arrêt.
(1) SETAMCA : service d’études et d’approvisionnement en matériels du commissariat de l’air
(2) FATAC-1er RA : force aérienne tactique et 1ère région aérienne.
(3) Décret 59.1193 du 13 octobre 1959 modifié fixant le régime de l’indemnité pour charges militaires ; instruction 11010/MA/DAAJC/AA/4 du 13 mars 1974 ; instruction ministérielle 6000/A/DCCA/1/2 du 7 novembre 1968 modifiée notamment son article 43.2
(4) MME COSTA épouse STRASSER, 78208 122171, 15 novembre 1991.