mardi 2 juin 2020

ADDIM : Un commissaire de l’air éditeur

Par le commissaire général (2S)  Jean-Louis Barbaroux

1988, 55 ans, c’est l’âge où le commissariat de l’Air, à l’époque, poussait à la retraite les commissaires des grosses promos de la guerre d’Algérie. A moi donc, après la 3ème RA, de me trouver un job civil, en regagnant la région parisienne, où mes enfants poursuivent leurs études.

Michel Erschler, mon ancien adjoint au SETAMCA, en poste au SIRPA pour encore quelques semaines, m’apprit que le patron du SIRPA, le général Pinatel, devait se séparer de la directrice de l’ADDIM, une jeune énarque sans grande expérience qui pouvait difficilement résister aux élans d’un service de communication parfois aventureux  (1)… Il ne faut pas oublier que l’affaire des malversations de l’association "Carrefour du Développement" pour le compte du ministère de la Coopération occupait les esprits : elle venait de faire les gros titres…

Les autorités du cabinet de la Défense jugèrent ma candidature tout à fait opportune : un officier général avec sa solide expérience serait à même de remettre la boutique sur les rails, en s’affranchissant de la tutelle trop étroite du SIRPA.

Le général de corps d’armée Liron, placé en deuxième section depuis peu et nommé président de l’ADDIM, me reçut et m’agréa sur le champ, tout content de prendre un peu de recul. Il acceptait de me prendre avec un temps partiel calculé sur l’année et de m’accorder un salaire qui épongerait la perte de revenus de la mise à la retraite. Que demander de mieux ? Pas de perte de temps, le 1er janvier 1989, j’étais directeur de l’ADDIM.

L’ADDIM, quèsaco ? 

L’ « Association pour le Développement et la Diffusion de l’Information Militaire » était une association de la loi de 1901 que le ministère des Armées avait créée en son temps, une trentaine d’années auparavant, pour servir de support au journal Bled, devenu ensuite TAM (Terre, Air, Mer), diffusé très largement dans les armées en pleine guerre d’Algérie, et dont la réalisation ne pouvait s’accommoder des contraintes administratives incompatibles avec le fonctionnement d’un journal de grande diffusion.

Petit à petit, l’ADDIM avait étendu son activité au support de l’hebdomadaire Cols Bleus et de quelques autres publications militaires, comme Médecine et armées, la Revue historique des armées, dont elle assurait la fabrication, la comptabilité, les abonnements et la publicité. Finalement, elle donnait satisfaction, bien qu’à certaines époques elle n’ait pas brillé par son efficacité…Mais les choses avaient été rétablies, par la jeune énarque et surtout par le commissaire Erschler, qui avait assuré l’intérim et remis de l’ordre.

Le nouveau directeur à la tâche

Quand je suis arrivé, la première tâche qui m’incomba fut de liquider la radio « Aventure FM », que le SIRPA avait lancée, en collaboration avec RTL, Bayard-presse, la Guilde du Raid et les Scouts de France : c’était la grande époque des « radios libres » : le général Pinatel avait foncé avec enthousiasme, mais la radio coûtait les yeux de la tête, en grande partie à la charge de l’ADDIM, qui assurait le support. Le Contrôle général des Armées avait mis le holà, et le commissaire Erschler avait initié la vente de la Radio à RTL, très intéressé par la fréquence, qui sera utilisée pour créer RTL2. Il me restait à obtenir, non sans peine, l’accord du CSA, et à finaliser la vente, en m’attachant à obtenir des garanties sérieuses pour le recasement des personnels. Cette opération terminée, il n’y avait plus qu’à s’occuper sérieusement de l’ADDIM-éditions.

Je m’aperçus vite que le président, le général Liron, était très heureux de me laisser tous pouvoirs. Mon vrai soutien était le vice-président, monsieur Riblier, qui devint vite président intérimaire en attendant que le ministre désignât le général Biré pour succéder au général Liron, qui quittait cette présidence sans regret. Monsieur Riblier était un conseiller-maître honoraire à la Cour des Comptes, qui avait suivi l’ADDIM depuis sa création ; c’était un vieil homme charmant, très vieille France et de bon conseil.

Quant au conseil d’administration, ses réunions étaient assez formelles. Elles permettaient surtout d’informer ses membres des évolutions en cours. Vous avouerai-je que j’ai vite apprécié d’être en fait l’unique patron?

Je commençai par rédiger et faire approuver de nouveaux statuts, donnant au directeur général des services la place qu’il méritait, restructurant la boutique pour en faire le prestataire de services aussi indiscutable qu’indispensable pour éditer les publications de la Défense, gérer au mieux leurs budgets en suivant les procédures réglementaires, que je possédais d’ailleurs mieux que mes interlocuteurs des SIRPA d’armée, développer leurs ressources publicitaires et leurs abonnements payants. Le personnel en place, une dizaine de personnes, se sentant dirigé, et dans une bonne ambiance, faisait l’affaire : j’ai eu la chance d’avoir un directeur technique de grande qualité, une jeune comptable qui en voulait, de bons chefs de Pub. Je disposais aussi de 5 appelés, « prêtés » par le SIRPA, dûment sélectionnés parmi les fils d’archevêques habituels : travailler dans la Com à Paris XVème, en rentrant tous les soirs chez papa-maman, ça ne se refuse pas !
 
Il me parut rapidement intéressant de créer, parallèlement aux revues, une structure d’édition d’ouvrages, à la disposition des armées : des albums abondamment illustrés présentant les unités, les opérations, des porte-folios reproduisant les œuvres de peintres des armées, et surtout des ouvrages de réflexion dans une nouvelle collection, Esprit de défense, permettant à des militaires qui avaient quelque chose à dire d’être publiés autrement qu’à compte d’auteur, même avec un faible succès commercial envisagé.


Pour diriger ce nouveau département, j’embauchai un colonel de gendarmerie, ancien artilleur, que j’avais connu à Djibouti. Plein d’idées, dynamique, il s’éclata dans cette fonction : il me fallait seulement réfréner son enthousiasme, parfois débridé, mais ce département édition prit avec lui une belle ampleur et publia des ouvrages de grande qualité.

Je m’attachai aussi à étendre la gamme des périodiques édités par l’ADDIM, notamment en intégrant Air Actualités, Terre magazine, et Gend’info, qui avaient longtemps prétendu pouvoir faire cavalier seul, les revues de L’Armement, celles du SGA, dont « BUS », notre record de publication, à 400.000 exemplaires trimestriels ! A la fin, nous en étions à 17 périodiques, et nous consommions annuellement …1400 tonnes de papier ! Inutile de préciser que nous obtenions des prjx intéressants.

Le Prix Maréchal Lyautey

Un peu plus tard, pour encourager les militaires à s’exprimer davantage dans nos publications, et surtout dans Armées d’aujourd’hui, ce qui répondait au désir du ministre, je proposai la création d’un Prix, baptisé Maréchal Lyautey.

Remise du Prix
Il sera attribué par un jury prestigieux : le professeur Robert, membre du Conseil Constitutionnel, le général d’armée Schmitt, ancien chef d’Etat-major des armées, Jean Guisnel, du Point, Frédéric Pons, de Valeurs Actuelles, etc. Le Prix, et ses accessits, étaient remis solennellement par le ministre de la Défense dans un des salons des Invalides. J’ai été particulièrement frappé par l’aisance et la classe de François Léotard dans son exercice d’éloquence à cette occasion.

La voie où j’ai engagé l’ADDIM me satisfait parfaitement : j’en ai fait une société de service peu onéreuse et efficace, je garde un contact étroit avec les différentes armées et je joue auprès de leurs services de communication un rôle paradoxal : c’est le fournisseur qui se préoccupe de l’orthodoxie financière, qu’il connaît mieux que ses interlocuteurs ! D’ailleurs, un contrôle de la Cour des Comptes le reconnaît et salue la bonne gestion de l’ADDIM au profit des SIRPA. Je regrette de ne pas avoir conservé ce rapport pour le faire encadrer !

Pour ne pas perdre la main de mes habitudes militaires, j’organise au profit du personnel, et de quelques correspondants, diverses sorties comme : visite du SETAMCA (vitrine incontournable du Commissariat de l’Air !), parcours sportif à l’école interarmées des sports à Fontainebleau, et, le plus beau, une sortie en mer à bord de l’Ouragan, avec héliportage en Super Frelon pour nous ramener à terre. On aurait bien continué jusqu’au Sénégal !

Belle opération aussi que le cocktail donné à Toulon à bord du Clémenceau, à l’invitation conjointe de son commandant… et du directeur de l’ADDIM pour la sortie de l’album "Le Clémenceau et le Foch".

Mission accomplie

Cette deuxième carrière, en définitive, n’est pas désagréable : la formule du travail à temps partiel est souple et me laisse beaucoup de liberté : je n’ai rien à demander à personne pour gérer mon activité, je découvre le milieu de l’édition et les joies (et parfois les angoisses) du directeur d’entreprise, tout en restant au contact permanent du ministère la Défense, ne serait-ce qu’en allant souvent déjeuner à Balard ou à l’Ecole Militaire.

Au bout de huit années bien remplies, j’éprouve toutefois une certaine lassitude : je ne suis jamais resté aussi longtemps dans un poste, j’ai le sentiment de n’avoir plus rien à découvrir, je me lasse un peu des escarmouches avec certaines autorités du ministère qui aimeraient s’approprier les activités de l’ADDIM. En un mot, il est temps d’envisager une nouvelle vie !

Doté depuis peu d’un nouveau vice-président, conseiller-maître à la Cour des Comptes lui aussi, mais à l’esprit tortueux et méfiant, qui a remplacé le délicieux M. Riblier, bien âgé, le président, jusque-là  fort effacé et pas contrariant, n’agrée pas les éventuels successeurs que je lui présente et porte son choix sur un général en deuxième section, brillant cavalier, sympathique, mais pas du tout qualifié pour ce poste : il ne leur a fallu, à eux deux, que deux ans pour aboutir à la dissolution de l’ADDIM…

Faut-t-il le regretter ? Certes, les associations ne sont pas très prisées de Bercy et la Communication-papjer a perdu beaucoup de son importance avec le développement d’internet, les réseaux sociaux, mais est-il astucieux de l’avoir confiée pour une large part à un organisme public, l’ECPAD ? L’ADDIM était, elle, un bel exemple d’externalisation de tâches non militaires.

Requiescat in pace !

(1) Le chef du SIRPA venait d'être échaudé par un rapport du Contrôle général des armées stigmatisant les rapports trop étroits du SIRPA avec une association, l'ADDIM, qu’il utilisait sans vergogne comme acteur vedette de ses « westerns administratifs et financiers » (comme les appelait le commissaire Erschler …)