samedi 7 mars 2020

Haute couture et habillement des aviateurs

En 1982, un jeune commissaire de l’air spécialiste de l’habillement au service d’études et de réalisation des matériels du commissariat de l’air (SETAMCA) publie un article sur les croisements entre deux mondes jugés bien différents, la haute couture et l’habillement des militaires de l’Armée de l’air.

« La haute couture parisienne et les tissus français ne cessent de donner au monde de la mode ses lettres de noblesse. De cette entente est née une perfection enviée du monde entier. 
Créativité et technique sont les deux points forts de cette rencontre. […] La France, terre d'élection des grands couturiers et des fabricants de tissus, reste le centre mondial de la haute couture et de la mode. »


Ces quelques lignes dithyrambiques, extraites de « l'Officiel de la couture et de la mode de Paris », ne doivent pas nous faire oublier que l'habillement est une préoccupation quasi universelle et concerne, à ce titre, le Commissariat de l'air.
Avant de chercher s'il existe un quelconque rapport entre haute couture et habillement militaire nous allons essayer de mieux cerner le concept de mode.
Jadis haute couture et mode étaient pratiquement synonymes. Les « petites mains» et les couturières familiales copiaient les modèles illustres.
La société de consommation a fait évoluer, là aussi, ce domaine. Maintenant la mode est  descendue dans la rue grâce au prêt-à-porter. Si les noms de quelques couturiers prestigieux continuent d'être symbole d'élégance, une nouvelle catégorie socio-professionnelle est née de cette vulgarisation de la mode, il s'agit des stylistes industriels.

La haute couture, stricto sensu, ne vit que par et pour une clientèle élitiste. L'unicité du modèle, ou tout au moins sa faible diffusion, fait à la fois sa force et son prix. C'est ainsi qu'un modèle créé spécialement pour une cliente atteindra facilement plusieurs dizaines de milliers de francs.
Or il ne faut pas oublier que si dans un pays comme la France le vêtement a une fonction première de protection il vient s'ajouter de plus en plus des critères esthétiques souvent liés au désir de distinction sociale.
La mode fait varier étoffes, formes et couleurs selon les saisons.
On comprend aisément que l'industrie du prêt-à-porter, en rendant la mode accessible à une large clientèle, devra réussir un savant dosage de qualités artistiques, mais aussi techniques compte tenu de la grande diversité des morphologies humaines.

Un article paru dans le Figaro définit ainsi l'homme idoine:
« Le styliste est une personne qu'une entreprise s'adjoint pour l'orientation, l'élaboration et la création d'un produit dans tous les secteurs de l'industrie et du commerce dont les articles sont liés à la mode (tissus, vêtements, accessoires, linge de maison. »

Le « stvle » est à l'habillement ce que le design est à la maison. Si nous avons usé au début de ce paragraphe du terme « styliste industriel » c'est pour mieux distinguer cette catégorie mi-artiste mi-technicienne des grands couturiers. Ceux-ci ont d'ailleurs parfaitement su s'adapter à l'évolution des mœurs en diffusant, sous leur griffe, des vêtements de prêt-à-porter.
Le grand couturier est un artiste qui sait à l'occasion être un homme d'affaires avisé.
Le styliste industriel est un travailleur indépendant ou un salarié, plus ou moins inspiré, qui a de plus en plus une solide connaissance des milieux du vêtement et de la technique de l'habillement.

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Ces éléments, évidemment très schématiques, étant posés, nous examinerons quels enseignements peuvent en être tirés pour l'habillement du personnel de l'armée de l'air.
A priori, il semble qu'un tel examen n'aboutisse à rien de probant. Les modèles des maisons de haute couture et même le « prêt-à-porter boutique » n'ont pas vocation à habiller toute la population civile.
De plus, sachant que certaines tailles évoquent dans' l'esprit du consommateur une silhouette jeune et svelte, ces commerçants n'hésitent pas à décaler leurs tailles. Par exemple, une taille 46 censée représenter un tour de poitrine masculine de 92 cm conviendra parfois à des individus ayant le mètre pour tour de poitrine.
Les « boutiques » font en fait peu de cas des normes et veillent surtout à satisfaire la clientèle qu'elles se sont choisie.

Il va sans dire que de telles pratiques sont difficilement concevables dans le domaine de l'habillement militaire. De même, à la variété quasi infinie des tissus et des coloris utilisés pour faire la mode s'oppose l'uniformité et la standardisation des effets militaires. Le nombre des tissus couramment utilisés par lé Commissariat de l'air est passé de 39 à 15 durant ces dix dernières années (Nota : 1972-1982).
L'évolution actuelle des uniformes se situe donc plus, comme l'exprime si bien la publicité de la Lainière de Picardie, dans « la face cachée du vêtement » que dans son aspect visuel.

La récente étude (en 1982) par le SETAMCA du nouveau blouson de battledress a mis en lumière la faible image laissée à l'innovation stylistique. Par souci de la tradition, les instances suprêmes de l'armée de l'air ont opté simplement pour un nouveau tissu « toutes saisons » (croisé laine polyester 300gr), sans changement majeur de la forme.
La bonne gestion d'un stock de tissus standardisés et le respect de la tradition doivent-ils nous obliger à conclure qu'il n'existe aucun terrain de rencontre entre haute couture et vêtements d'uniforme? Assurément non ! La politique menée ces dernières années (Nota : début des années 80) est là pour en témoigner.

L'habillement du personnel féminin de l’Armée de l’air. sur lequel l'hypothèque du passé était plus légère, a pu bénéficier depuis près de 10 ans d’une collaboration fructueuse entre la haute couture et le Commissariat de l'air.
1974 : le nouveau manteau de pluie est issu d'une silhouette de Nina Ricci ;
1975 et 1978 : la tenue de soirée et la tenue de sortie avec jupe à pli creux sont signées Pierre Balmain; quant au nouveau pantalon cadre - hommes et femmes - en C.L.P. 300 il a été défini après une série d'études menées par des créateurs de renom.
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L'influence de la haute couture sur l'habillement de l'armée de l'air n'est pas un phénomène à sens unique. Ces derniers temps (début des années 80) la mode civile s'inspire souvent du vêtement militaire.
Le style "Armée de l'air" est particulièrement prisé. Nous en voyons pour exemple frappant les innombrables copies du blouson de cuir du personnel navigant, hommage embarrassant mais hommage tout de même. »
Olivier Bekaert (ECA 75)

Plutôt qu'un long discours, une illustration avec quelques modèles déposés auprès du service des fabrications du commissariat de l’air par la maison Pierre Balmain en 1975, versions alternatives de la tenue de soirée finalement sélectionnée par l’Armée de l’air (ci-dessus). En regrettant que la cape ou le jabot plissé n’aient pas été retenus ! Le choix du commandement fut certainement très difficile.

Remerciements à Isabelle Delarbre (ECA 79) pour sa contribution iconographique