dimanche 26 janvier 2020

Le billet d'humeur d'Hadrienne

Petit précis de savoir (sur)vivre 

EA et ECA 1977
En 1999, 22 ans après le recrutement de la première commissaire féminin, un commissaire de l'air* prend son stylo et publie dans le bulletin de liaison du commissariat de l’air, sous son nom de plume, un (tonique) petit précis « à l’usage des jeunes commissaires féminins ».

Vingt années ont passé mais cet article est-il dé-passé, les non-dits sur la féminisation ont-ils disparu au fil du temps, les conseils donnés sont-ils encore nécessaires ?

Les lectrices(eurs) sont invité(e)s à s’exprimer sur : amicaa.air@gmail.com


« Comment peut-on être un commissaire féminin dans l'armée de l'air ? D'aucuns suggéreront qu'il suffit de posséder la quantité nécessaire et suffisante de chromosomes X, d'avoir satisfait aux (derniers) quotas contraignants des concours d'entrée et, dans un premier temps, de parvenir à assurer son ravitaillement en lingerie avec 18,30 francs par mois, pour se voir reconnu un statut identique à celui de nos confrères.

Cette vision superficielle de la place de l'élément féminin dans le commissariat de l'air ne peut relever que de la candeur, dans le cas de jeunes commissaires féminins qui ont gardé de leurs années de Fac une conception idéalisée de l'égalité des sexes. Mais de la part de nos camarades masculins. qui s'imaginent confrontés aux mêmes problèmes que leurs consoeurs, cela relève d'une incompréhension si aveugle qu'elle mérite une petite mise au point.

De l'influence de la bonne chère et de l'oisiveté sur l'extériorisation des non-dits

Nous passerons sur les banalités du sexisme ordinaire (paternalisme, exclusion…) qui accablent certaines de nos consoeurs de certaines armes (cf. la réunion annuelle des officiers féminins des armées !), mais que nous épargnent généralement les positions sociales relativement avancées de l'armée de l'air, la bonne éducation du milieu commissaire, et, dans les services, un certain respect lié à notre statut.

Mais qui n'a jamais assisté à un de ces longs repas de corps où la question de la féminisation de l'armée apparaît seule revêtue du pouvoir infaillible de relancer toute conversation un tant soit peu languissante, ne pourra soupçonner la croix que porte au quotidien le commissaire féminin, tant est grande l'influence de la bonne chère et de l'oisiveté sur l'extériorisation des non-dits.

L'attaque est généralement sournoise, la question anodine, traduisant tout au plus un intérêt discret de votre interlocuteur : " Pourquoi vous êtes-vous engagée dans l'armée de l'air ? ". Il est curieux et révélateur de constater que l'on ne demandera jamais à un homme, une fois passé le concours d'entrée, la raison de son engagement, qu'il soit un moine-soldat issu d'une longue lignée d'officiers ou un quidam qui recherche dans la fonction publique la sécurité de l'emploi, 45 jours de vacances par an et la retraite à 45 ans. Mais tout engagement féminin est a priori suspect : comment peut-on être oublieuse de son sexe au point d'empiéter sur cette chasse gardée manifeste du genre masculin ?
L'usage nous prouve que cette inoffensive question n'est qu'un simple prélude au traditionnel débat sur la place des femmes dans l'armée ...

Les arguments avancés pour justifier votre orientation professionnelle vous seront dictés par vos expériences, vos choix de vie et vos idéaux. Mais je conseille à toute jeune commissaire de travailler dès à présent sur un projet standardisé de réponse, dont le canevas original sera progressivement agrémenté des divers arguments et réfutations qui s'offriront à elle à l'occasion de ses rencontres avec cette poignée d'irréductibles misogynes, adeptes du "Kinder, Kirche, Küche", qui sévissent encore dans notre société. Qu'elle se prépare à contrer des remarques sur, au choix, la disponibilité des femmes (" Deux femmes dans un service, c'est un homme en moins ''), leur aptitude à vivre en communauté (" Sans se crêper le chignon ? "), ou tout autre poncif de ce genre. Eu égard
à la fréquence d'utilisation de ce travail, ce sera de loin son pensum le plus utile depuis ses années d'ECA. ..

Quelle attitude, quelle tactique ?

La tactique Votre attitude, quant à elle, sera tout aussi sévèrement analysée et critiquée. Gardez-vous seulement de toute juste colère, même devant certains raisonnements trop manifestement spécieux: elle serait taxée d'hystérie ...

Mais que vous vous montriez rationnelle ou exaltée, conciliante ou agressive, sérieuse ou ironique, ne vous leurrez pas: on ne convainc vraiment que par des actes, et vous disposerez pour cela du reste de votre carrière. Dès lors, laissez-moi vous donner un bien mauvais conseil : si l'idée d'un énième affrontement vous déprime d'avance, si vous êtes fatiguée d'entendre et d'avancer les mêmes arguments maintes fois rabâchés, si vous rêvez de finir enfin un repas sans avoir eu à vous justifier de votre uniforme, rappelez-vous vos cours d'histoire militaire et pratiquez la tactique de la terre brûlée ! Cette attitude qui se trouve être, je l'avoue, une de mes positions occasionnelles, lorsque me gagne une certaine lassitude pour ce genre de joutes oratoires, se résume en deux mots: acquiescement plat à tout commentaire désobligeant et repli stratégique en son for intérieur.

Cette attitude présente de multiples avantages:
- elle fait très vite retomber ce genre de conversation, vos interlocuteurs ignorant à quel degré ils doivent prendre vos commentaires mais suspectant le full play, surtout si vous prenez soin d'outrer le trait et de déformer jusqu'à l'absurde les positions des Ultras ;
- elle fait apparaître systématiquement un chevalier blanc, preux volontaire qui, en vrai militaire, s'assure de la défense d'une position si mal défendue, et cite exemples sur exemples de militaires féminins de sa connaissance ayant tenu leur rôle " mieux que des hommes" ;
- enfin, elle seule autorise cette agréable paresse intellectuelle qui permet, dans une conversation aussi mal engagée, de s'évader, au choix, vers ses dernières vacances ou son prochain week-end ...

Et que le commissaire féminin qui n'ait jamais eu à défendre ses choix de vie me jette le premier escarpin!
HADRIENNE

*La(e) rédactrice(eur) ou le collectif ne sont pas connus
(les inter-titres sont de la rédaction)