samedi 19 mai 2018

Les premiers commissaires ordonnateurs de l’air (épisode 3 : 1942)

par le commissaire général (2S) François Aubry

L’année 1942 est une année faste pour le service de l’intendance de l’air, en pleine phase de développement alors que la tendance générale depuis l’armistice est à la dissolution des unités. Les affectations sont pratiquement réalisées en totalité et une réglementation adaptée aux besoins de l’armée de l’air est progressivement élaborée par le SAAA. Les deux faits marquants de cette année 1942 restent la publication du nouveau statut et le débarquement des Alliés en Afrique du nord.

Une Intendance de l’air sans intendants.

Impatiemment attendus, les textes créant un nouveau corps doté d’un statut particulier paraissent avec la loi n°286 du 17 février 1942 et le décret n°456 du même jour. Curieusement, les visas de la loi ne font pas référence à celle du 16 mars 1882 qui définit les principes de base de l’administration militaire. De même, le décret ne vise pas la loi du 9 avril 1935 fixant le statut des cadres actifs de l’armée de l’air.



Mais, plus surprenant encore, alors que tout a été préparé depuis des mois pour accueillir des « intendants de l’air », la loi n°286 se contente de préciser que «  l’appellation « Intendants de l’air » prévue par les lois de finances est remplacée par celle de « Commissaires ordonnateurs de l’air ». Une situation paradoxale et durable va résulter de ce changement en apparence anodin : des « commissaires ordonnateurs », n’exerçant pas toujours la fonction d’ordonnateur, seront affectés dans les organismes de « l’intendance de l’air ». Ceux-ci ne seront transformés en organismes du « commissariat de l’air » qu’en juin 1947.

Le décret n°456 détaille les attributions des commissaires ordonnateurs (CO) : grades - de CO de l’air adjoint (capitaine) à CO général de l’air de 1ère section (GDA) ;  limites d’âge (62 ans au maximum) ; conditions de recrutement, en particulier dans la phase initiale.

Ce même 17 février, les trois premiers commissaires ordonnateurs adjoints (CO a) sont nommés : Jean Tanguy (36 ans), Adrien Basset (40 ans) et Godfroy,  ce dernier ayant probablement suivi l’ESI l’année précédente en même temps que les deux premiers.

CO Tardy
Le 7 septembre, deux chefs de service qui faisaient fonction d’intendants, André Bertouin (35 ans) à Toulouse et Maurice Tardy (35 ans) à Limoges passent également CO adjoints.
COa Bertouin
COa Talidec
A la même date, deux noms nouveaux apparaissent en devenant commissaires ordonnateurs : celui de l’agent de 3ème classe Joseph Talidec (COa) et celui de l’agent principal de 2ème classe Gaston Bardet (CO2  donc lieutenant-colonel). Le premier, 35 ans, est en poste aux services généraux de l’administration centrale (SGAC) organisme support de tous les éléments Air installés à Vichy. Le second, pilote de 50 ans, est affecté au centre administratif parisien dont la mission est de prendre en charge les aviateurs (ou leur famille) qui habitent en zone occupée (cf. épisode 2 : 1941). Au mois de novembre, il effectue un stage à la direction d’Aix puis à l’intendance d’Orange pour compléter sa formation administrative.

Au total, onze commissaires ordonnateurs seront nommés en 1942, les quatre dernières nominations  intervenant le 15 novembre :
COa Dionnet
-  deux COa : Jean Dionnet, 42 ans, simple chef de bureau à Châteauroux et Xavier Leca 38 ans, officier d’administration issu du premier concours prévu par le décret 456 ;
- deux CO 2 : Serge Habert (1), 43 ans, « faisant fonction d’intendant » à Rabat et Raymond Caillat (2), 46 ans, nouvel adjoint de l’Intendant militaire de 2e classe Joseph Perret.
CO2 Habert
On remarque que le grade maximum des premiers commissaires (CO 2) est équivalent à lieutenant-colonel. En effet, seuls les intendants de l’armée de terre occupant un poste de directeur régional ont un grade équivalent à colonel, le « directeur central », André Dufait, étant seulement intendant de 2e classe (Lt-col). Cet autre paradoxe s’explique par le fait que la notion d’un service global du commissariat ne s’est pas encore développée : les directeurs régionaux et leurs IBA dépendent pour l’heure exclusivement de leur commandant de région, leur rattachement au SAAA se limitant au plan  technique.

L’ESI (école supérieure d’intendance) reçoit à Marseille le 1er mars 1942 deux officiers d’administration Air et forme donc désormais aussi des commissaires, ce qu’elle fera régulièrement jusqu’en 1959 : Daniel Cognault (3), ancien chef des services administratifs du Parc régional d’Istres, Auguste Brin qui vient du SPAA de Chamalières. Un troisième, Maurice Bitouzet, également capitaine administratif, arrivera le 23 octobre… du commissariat de police de Revel (31) où il était en poste depuis deux ans après un congé d’armistice.
CO Cognault

Deux nouvelles IBA sont ouvertes en 1942 : Istres où le tout nouveau COa Adrien Basset est nommé chef de service (le premier aviateur qui ne fait pas « fonction d’intendant ») et  Bamako que le lieutenant Daume rejoindra en octobre. En revanche, moins de deux ans après sa création, l’IBA de Clermont-Ferrand est dissoute et ses compétences transférées à l’IBA de Lyon, dirigée par un officier administratif, le commandant de Broca (4)(avec un changement de tutelle régionale, passant de la 2ème à la 1ère RA).
Cdt de Broca

Les conséquences du débarquement en Afrique

Tout l’édifice vigoureusement construit par le général Bergeret se trouve menacé à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du nord le 8 novembre 1942. L’invasion de la zone libre par les Allemands a pour conséquence, outre la quasi disparition de l’Armée de l’air en métropole, de déplacer au niveau de la Méditerranée la coupure principale qui, auparavant, suivait la ligne de démarcation. En Afrique du nord, l’évolution des dernières semaines de 1942 est très incertaine.
Le conflit en Tunisie oblige l’IBA de Tunis à se replier dès le 13 novembre sur Sétif puis sur Laghouat et  Biskra. Le commissaire Salaüe ne reviendra à Tunis que le 11 juin 1943.


En France métropolitaine, comme après l’armistice de juin 40, une vague massive de dissolutions d’unités est entreprise, accompagnée d’un camouflage des militaires sous des apparences civiles. Les deux commandants de région aérienne deviennent « directeurs généraux des services de l’air » et certains commandants de base « majors de l’air » dans la ville la plus proche. Le surcroît de travail administratif induit par les dissolutions n’est pas facilité par cet affaiblissement des circuits hiérarchiques. Dans un témoignage oral recueilli au service historique de l’armée de l’air en avril 1994, le Lcl Roynette évoque son état d’esprit de l’époque : le débarquement a été ressenti par lui comme une « catastrophe » et a été suivi d’une grande période de confusion.

Toujours au plan administratif, le résultat de la nouvelle donne est une rupture immédiate de l’unité de direction. On en voit un exemple précis dans le domaine des nominations : celles du 15 novembre (évoquées ci-dessus) ne sont pas émises comme auparavant depuis Chamalières sous le timbre du SPAA  mais depuis Alger, sous celui du général Mendigal, commandant supérieur de l’air en Afrique du nord.

A peine mise en place, l’intendance de l’air voit son avenir brutalement compromis.

 (à suivre)

(1) Article d’octobre 2017
(2) Article d’octobre 2013
(3) Article de janvier 2017
(4)  Article de juin 2017

Sources : dossiers individuels SHD et AI 3 D 282  et 138 ;Témoignage oral du Lcl Roynette AI 8Z 731