lundi 14 mai 2018

Un commissaire de l'air à Air France

Les commissaires de l’air, intéressés par le monde aérien, ont été souvent tentés par une poursuite de carrière dans l’aviation civile ou le spatial (CNES, ESA). Nous avons déjà présenté Jean-Claude Guiriec (ECA 55), dont une partie de sa carrière s’est déroulée à Air France.
Voici un second témoignage, celui de Michel Villiers (ECA 56), sur sa carrière dans la compagnie nationale.



Vous avez mené 2 carrières successives : commissaire de l'air durant 3 années et cadre chez Air France. Pourquoi avoir choisi le commissariat de l’air, encore peu connu des étudiants en 1956 ? 
Mon intention première était de faire une carrière militaire correspondant à mes études de droit (licence). J’ai donc présenté les concours du Commissariat de la Marine et de l’Air. Premier “collé” à la Marine et reçu à l’Air, je devais donc soit me représenter à la Marine avec les aléas que cela comporte soit intégrer le corps des commissaires de l’air. À l’époque, j’ai été très influencé par un oncle, chef d’Etat-major de l’armée de l’Air (général Paul Bailly). Celui-ci a attiré mon attention sur le fait que le corps du commissariat de l’Armée de l’Air venait de se créer et était donc appelé à un avenir très intéressant et très prometteur. Ma décision a donc été vite prise sans regret ni arrière-pensée.

Promo 1956


Quels ont été vos différents postes dans le commissariat de l’air ?
A ma sortie d’école, en septembre 1958, j’ai été affecté dans une unité volante, le groupe de Bombardement 1/91 Gascogne, basé à Bône en Algérie (actuellement Annaba) avec les fonctions d’« officier des détails », chargé des moyens administratifs. A l’issue de cette première affectation, j’ai été muté à Paris au service juridique du cabinet du ministre de l’air (M Jean Blancard). Ce sera mon premier - et dernier - poste en tant que commissaire, mais avec des fonctions  purement juridiques (études des lois et règlements ), ne faisant pas vraiment appel à ma formation acquise à l’ECA.

En Algérie, bien que « non volant », vous avez effectué des missions de guerre à bord de B-26 Invader et vous avez reçu la Croix de la valeur militaire-Escadre aérienne. A quel titre faisiez-vous ces missions de guerre ? 






Par pur volontariat et dans l’esprit de participer pleinement à la vie du groupe et aux missions de maintien de l’ordre de l’époque. Mes fonctions étaient celles d’observateur, occupant la bulle à l’avant du bombardier B-26. Les missions étaient très diverses : bombardements, mitraillages, tirs de roquettes ...A l’issue de mon affectation, j’ai été surpris, mais très flatté, de recevoir la Croix de la Valeur Militaire, pour les 60 missions de guerre effectuées au sein du Groupe. Pour un commissaire de l’air, appelé normalement à des tâches moins guerrières, c’était, pour le moins, assez peu banal..!


Dans quelles circonstances avez-vous été amené à réorienter votre carrière vers le privé ?
D’abord et surtout parce que j’ai pris conscience que la carrière de commissaire ne correspondait pas vraiment à mes aspirations, plus tournées vers le commercial et les contacts humains. Ma réorientation m’a aussi été inspirée, je me dois de le souligner, par un .. commissaire de réserve, cadre à Air France, qui m’a présenté la carrière au sein de notre compagnie nationale, sous son plus beau jour.
Le hasard a voulu qu’à la même époque Air France ait ouvert un concours pour le recrutement de 4 jeunes cadres, épreuve réservée aux étudiants disposant de 2 diplômes d’études supérieures. J’ai tenté ma chance sans trop y croire et j’ai eu la très grande surprise d’être reçu.

De plus, grâce à l’aide précieuse d’un commissaire en charge des questions de personnel à la DCCA, la « règle des 8 ans » dus à l’État a pu être aménagée, en me détachant en position hors cadre auprès d’Air France, compagnie nationale. A noter que cet ami commissaire a intégré également Air France quelques années plus tard. Le plus surprenant est que j’ai été recruté pour intégrer la « Direction du Commissariat » d’Air France en voie de création à l’époque, ce qui était a priori parfaitement logique puisque cette direction devait traiter des problèmes "d’intendance" à bord des avions : nourriture, boissons, articles de confort, etc....Or j’ai réussi à faire admettre que la voie commerciale me conviendrait beaucoup mieux et que j’étais prêt à m’y investir totalement, même au prix d’un avancement moins rapide (comme on me l’a laissé entendre).

Quels types de fonctions avez-vous exercés à Air France ? Majoritairement à l’étranger, c’était votre souhait ?
Après un an de stage “sur le tas”, passant d’agent de comptoir à bagagiste à Paris, j’ai été détaché à Rome pendant 8 mois pour parfaire ma formation commerciale et voir le fonctionnement des services commerciaux à l’étranger. A l’issue de ce stage, j’ai été nommé chef « Promotion des ventes » pour l’Amérique du Sud, basé à Rio de Janeiro. A noter, pour la petite histoire, que le directeur général de la zone était…un ancien commissaire de la Marine, ce qui avait fait pencher la balance de mon côté, comme il me l’a avoué plus tard. Comme on peut le voir, si j’ai quitté le commissariat, celui ci a continué à être sur ma route à des moments très importants de ma carrière..!

Vous étiez au Cambodge en avril 1975, au moment de l’arrivée des Khmers rouges ?
Après le Brésil et 2 années passées au siège à Paris au service des accords commerciaux, on m’a proposé le poste de directeur régional pour le Cambodge, poste dont personne ne voulait car le pays était en guerre et la capitale Phnom Penh encerclée par les Khmers rouges...Je ne m’étendrai pas sur les 4 années de guerre que j’ai vécues, j’aurais trop de choses à raconter, les bombardements, les angoisses de faire poser des appareils plein de passagers en transit.
Ces années furent très difficiles et angoissantes mais grisantes et enrichissantes ! Elles se sont terminées par un départ précipité en avion militaire, envoyé par Paris pour évacuer l’ambassadeur et moi-même, et ce, la veille de l’arrivée des Khmers rouges, le 17 avril 1975. Pourquoi cette évacuation de l’ambassadeur et du représentant d’Air France ? Parce que nous symbolisions la présence française et que le gouvernement, croyant à une possible conciliation avec les Khmers rouges, a voulu marquer son désaveu vis-à-vis du gouvernement alors en place. On connait la suite et le monstrueux génocide perpétré par les Khmers rouges, avec 3 millions de morts !

Au retour, vous avez été nommé coordonnateur du lancement du Concorde dans la compagnie. En quoi un ancien commissaire de l’air avait-il le profil pour un tel poste ?
Aucune compétence particulière mais mon retour du Cambodge se situait en milieu d’année, période où les changements de postes à l’étranger ne s’opèrent pas. On m’a donc demandé d’attendre quelques mois en occupant provisoirement un poste de « coordonnateur » de l’opération Concorde, qui me faisait assister à toutes les réunions traitant du supersonique. Il était bien convenu que dès qu’un poste de directeur régional se libérerait, je repartirais à l’étranger.
Le problème est que je suis devenu par la force des choses, celui qui était au courant de beaucoup d’affaires traitant du supersonique, ne décidant rien mais au courant de tout. Au bout de quelques mois on m’a fait savoir que ma fonction était devenue très utile à la bonne marche de l’opération Concorde et qu’il fallait que je remette à plus tard mon départ pour l’étranger. J’ai donc attendu 3 ans en ayant des tâches très diverses comme par exemple celles d’organiser et d’accompagner certains vols spéciaux, de tester le service en vol, de créer et éditer les publications traitant du supersonique...etc.....

Durant votre affectation au Chili, un évènement vous a fortement marqué
Oui, au Chili j’ai été invité par le gouvernement chilien à visiter une de ses bases en Antarctique. Arrivé sur place, le commandant militaire, apprenant que j’étais ancien officier, sorti de l’Ecole de l’Air, m’a proposé d’accompagner le lendemain une mission de ravitaillement d’une autre base située à 1500 km, plus au sud en direction du Pôle. Il me prévient qu’il n’a aucun moyen de nous récupérer en cas d’atterrissage forcé et me fait signer une décharge de responsabilité. Deux avions Twin-Otter, équipés de skis, effectueront la mission. Ils doivent se porter mutuellement secours en cas d'incidents ou de crash. Il me prévient également que le retour ne pourra se faire que si la météo le permet du fait de l’absence de terrain de dégagement a l’arrivée. Finalement, la mission s’est parfaitement bien déroulée à part quelques incidents mineurs. L’Antarctique nous a livré toute sa splendeur, à très basse altitude de vol.
Avec Concorde, je m’étais habitué à voir le soleil revenir en arrière sur sa courbe, rattrapé par la vitesse de l’avion ! En Antarctique, j’ai vu le soleil ne pas se coucher du tout sur un paysage indescriptible. Un grand moment !

Avec le recul, que vous ont apporté votre formation à l'ECA et votre expérience dans le Commissariat de l’air pour l'exercice de vos fonctions à Air France ?
En fait, à Air France, je n’ai pas exercé à proprement parler de fonctions de type commissariat puisque j’ai suivi une voie totalement « commerciale ». Cependant au Chili - où Air France est en bout de ligne - j’ai eu pendant 4 ans à gérer un véritable  service « Commissariat » (on dit aussi « catering ») qui avait la charge des prestations mises à bord pour les passagers. Cette activité impliquait de passer les contrats avec les fournisseurs, en particulier les traiteurs, et de contrôler en permanence la qualité du service.
Je rappelle, pour les plus jeunes, que le commissariat de l’air dans les années 50 et 60 n’était pas sur les bases aériennes et n’était pas en charge de la restauration dans l’Armée de l’air, ce qui advint ensuite dans les années 70. J’ai donc appris le volet catering à Air France et non a l ‘ECA.

A l'inverse, que vous a apporté « de plus » ou de « différent » cette seconde expérience professionnelle ?

N’ayant pas fait d’école de commerce, j’ai du faire mon apprentissage commercial « sur le tas », principalement dans le domaine de la publicité. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure méthode mais elle m’a réussi parce que le commercial correspondait bien à mes aspirations et à ma personnalité. Air France m’a ouvert les yeux sur le monde à travers mes différentes affectations et les innombrables voyages que mes fonctions m’ont amené à faire. J’ai beaucoup apprécié de changer de poste et de pays tous les 3 ou 4 ans et de découvrir à chaque changement une nouvelle culture, une nouvelle équipe, des clientèles et des marchés très différents, souvent une nouvelle langue à apprendre (le portugais) ou à perfectionner (italien puis l’espagnol dans mon cas). Si j’ai réussi à progresser dans ma reconversion commerciale, c’est uniquement parce que j’ai beaucoup aimé le travail que j’accomplissais dans les différents postes qui m’ont été confiés.

Quels conseils donneriez-vous à un commissaire des armées de milieu air qui souhaiterait réorienter sa carrière professionnelle ? 

Partant du principe qu’il est primordial d’aimer ce que l’on fait pour le faire bien, je dirais à un commissaire envisageant de réorienter sa carrière qu’il doit faire avant tout un examen approfondi du type d’activités dont il se sent le plus proche et le plus en adéquation avec ses goûts. Mais attention, parfois en début de carrière, on a l’impression que les fonctions que l’on découvre ne sont pas celles que l’on attendait. D’où une certaine frustration qu’il faut bien analyser pour savoir s’il s’agit d’une véritable erreur d’orientation ou d’un simple malaise face à des activités nouvelles.
Dans le premier cas, je crois qu’il faut avoir le courage de réorienter sa carrière. C’est plus facile à dire qu’à faire, me direz-vous, mais il faut y songer. Par ailleurs, il ne faut pas considérer un changement de cap comme une phase négative de sa carrière mais comme une première étape qui permet souvent de mieux rebondir en profitant de l’expérience acquise. Que je sache, les Américains considèrent depuis longtemps que les expériences s’additionnent et qu’un candidat peut se valoriser en faisant état d’un CV aux activités multiples.
Il m’est donc difficile de répondre à la question posée car si j’ai pu changer complètement d’orientation dans ma carrière, je n’oublie pas que les circonstances m’ont beaucoup facilité la tâche. En conclusion, je ne dis pas qu’une réorientation de carrière est toujours souhaitable mais que, dans notre monde actuel, elle peut être envisageable et s’avérer bénéfique à la condition d’être sûr que la nouvelle orientation est bien conforme à ses aspirations et ne laissera pas de regrets derrière elle.

Carrière professionnelle

Études de droit  à Nice et Aix en Provence
ECA 1956-1958
1958 Affectation comme « officier des détails » au groupe de Bombardement 1/91 Gascogne en Algérie,
1960, affectation au cabinet du Ministre de l’air
1961 Détaché en position hors cadre auprès d’Air France après concours d’entrée « jeune cadre »
Formation interne
1962 Affecté 8 mois en stage au bureau de Rome
1962 Premier poste à Rio de Janeiro comme chef « Promotion des ventes » Amérique du sud (Poste occupé pendant 9 ans)
1971 Retour à Paris au siège (alors à Montparnasse) au service des contrats publicitaires
1971 Nommé directeur régional à Phnom Penh (4 ans).
1975 Retour au siège à Paris, nommé coordinateur du lancement du Concorde au sein d’Air France
1978 Affectation comme directeur au Portugal   (4 ans)
1982 Affectation comme directeur régional au Chili (4 ans)
1987 Dernière affectation au siège à Paris comme directeur des régions Bretagne Normandie Centre France ; départ d’Air France en 1992