mardi 17 octobre 2017

Une aventure humaine et une cohésion inégalables

Témoignage d’une jeune « ancienne »

Suite de notre série commémorant les 40 ans du premier recrutement d’une femme commissaire de l’air. Ce mois-ci, article n°5, la tribune est ouverte au commissaire général Patricia Costa (ECA 80)*.


Parler de soi est une épreuve difficile. Mais dans le cadre de la démarche historique de l’AMICAA, témoigner de sa carrière de commissaire de l’air prend tout son sens notamment vis-à-vis des plus jeunes.
Marquer les 40 ans de féminisation du premier des commissariats d’armée à avoir permis aux femmes de rejoindre ses rangs est un autre symbole, et je remercie vivement mes camarades « pionnières » de s’être bien volontiers prêtées au jeu de l’écriture dans le même esprit de transmission.



C’est sans doute en référence à la phrase de Christine de Suède dans « Maximes et pensées » en 1682, « La science de ton passé est ton passeport pour l'avenir », que l’AMICAA s’est donné pour mission d’écrire l’histoire du commissariat de l’air et de son administration militaire adaptée à l’armée de l’air afin que, ancrée dans les mémoires, elle contribue à construire un avenir pour les commissaires des armées qui sont nos descendants.

Atterrissage à Salon

Préparation para
Salon de Provence, 1er septembre 1980, il fait chaud, très chaud. Je suis accueillie très amicalement par un « ancien » de la promo des commissaires 79 et confiée très vite à une « poussine » de l’École de l’air (EA) qui semble désapprouver ma tenue civile et va se charger de me transformer en militaire en me faisant revêtir la tenue de combat.

Consignes strictes de lit en batterie données dans la chambre commune des filles, rangement et programme accéléré, accueil à l’Ecole des commissaires, puis intégration dans 3ème brigade de la promo 80 de l’École de l’air.

Tout cela se passe très vite, comme dans un rêve, si bien qu’au bout de quelques jours on se sent déjà intégré dans cette vie si nouvelle, la vie d’avant semblant bien lointaine.

La 80 avec ses cadres
Une surprise à l’arrivée, pourquoi si peu de filles ? Les quotas bien sûr ! À cette époque, nous ne sommes que 10% maximum, cela fait donc 1 seule fille dans la promo des commissaires, et 3 dans la promotion de l’École de l’air à laquelle nous appartenons et à laquelle nous nous sentirons bientôt très attachés.

Comme cette année 2017 marque le quarantième anniversaire de l’arrivée des premières filles de statut « direct » à Salon, il faut rappeler qu’à cette époque seules quelques spécialités étaient ouvertes aux femmes (basier, sauf commandos, mécaniciens, commissaires) et bien entendu pas le corps du personnel navigant dont l’accès fut interdit aux femmes jusqu’en 1984, année d’ouverture pour les contractuels de carrière courte de sous-spécialité transport et hélicoptère, puis ouvert à l’accès direct et étendu à la chasse en 1998 (j’ai ici une pensée pour Caroline Aigle).

Comme un coup de foudre, le vol et l’aéronautique s’avèrent très vite une véritable passion, le milieu et les valeurs militaires s’imposent naturellement, comme si je les portais en moi sans le savoir. Mon goût pour la rigueur, l’organisation et le travail en équipe m’est révélé par mon passage à l’Ecole de l’air. Servir devient une évidence, comme le soutien inconditionnel à la réalisation de la mission aérienne ainsi que le fait de garantir la sécurité des personnes et des engagements par les conseils des juristes que nous sommes.

Un autre sujet d’étonnement pour ma génération qui n’a connu que la mixité depuis le primaire : mon arrivée dans un milieu militaire pourtant aussi évolué que celui de l’armée de l’air suscite de surprenantes réactions de la part de certains militaires, cadres ou élèves. Un florilège des petites phrases que je m’amuse quelques fois à lister serait ennuyeux, mais on peut noter que certains ne sont pas tendres envers la jeune fille fraîchement militaire à qui on demande si elle vient chercher un mari, et à qui on prédit son départ rapide….

Devant le BDE
Mon sens de l’humour me permet de relativiser tout en notant le paradoxe qui consiste à nous traiter à l’identique des garçons, à faire de nous des « hommes » comme j’ai pu l’entendre en fin de période de formation militaire à Salon, mais aussi à nous interdire certaines missions quelques temps plus tard : « pas de femme commissaire de base en FATAC-1ère RA », « une femme en Afrique, vous n’y pensez pas » ; « non, vous n’allez pas passer le permis poids lourd, ce n’est pas féminin » ou encore « pas de femme en Arabie saoudite, les saoudiens le prendraient pour un affront ». Sans évoquer les remarques de certains supérieurs qui ne comprenaient pas que je dirige l’équipe de tir de ma base, un peu plus tard.

Temps de terrain

Ces propos d’un autre âge, et ces interdictions « momentanées » ne m’ont toutefois pas empêchée de vivre des moments forts sur le terrain, sur base ou en OPEX, faits de grandes douleurs et de grandes joies en fonction des évènements, mais toujours au sein d’équipes formidables pour qui la mission restait prioritaire. J’y ai connu des personnes exceptionnelles, officiers, civils, sous-officiers, militaires du rang, femmes et hommes. Cette aventure humaine et cette cohésion restent inégalables.

Puis, après des années « opérationnelles, sur base ou en OPEX, la préparation de l’école de guerre constitue, pour un officier, un moment difficile car de sa réussite dépend la poursuite de sa carrière. Reprendre les études après 35 ans et avec une famille et des enfants en bas âge est une véritable remise en cause. Mais une année d’étude dans la vie de l’officier, c’est une chance absolue.
Là encore, nouvelle surprise, s’entendre dire par les camarades des autres armées que vous devriez être auprès de vos enfants au lieu d’être sur les bancs de l’école. Après avoir fait ses preuves dans l’armée de l’air pendant plus de dix années, on se frotte à l’interarmées et au machisme des militaires des autres armées. Avec doigté et patience, j’ai pu amadouer les plus durs souvent d’ailleurs par des biais surprenants comme par exemple, ma participation active au club des vins de la promotion, par mon aide aux moins habiles en anglais ou lors de séances de sport…

Temps d’état-major et d’interministériel

À l’issue de cette formation diplômante, les officiers partent majoritairement en état-major où les guerres se mènent avec des dossiers, dans les salles de réunions ou dans les couloirs et où, pour être crédible, vous devez maîtriser à fond vos sujets et aussi être capable de motiver vos équipes qui réalisent un travail de conception et de réflexion à des heures souvent tardives. Cette période de travail intense et de niveau plus politique m’a permis d’évoluer afin de concevoir, de rédiger, de programmer, mais surtout de créer un climat de confiance avec les équipes pour que chacun donne le meilleur de lui-même. Les travaux demandés durant toutes ces années de réformes permanentes ont exigé, de la part des personnels, disponibilité et abnégation pour déployer des trésors d’ingéniosité afin d’imaginer des modèles d’armées plus performants et plus efficients.

J’ai ainsi bénéficié d’une carrière équilibrée entre un temps de terrain avec de l’administration active, des opérations extérieures et des missions passionnantes, et un temps de réflexion et de conception. J’ai ensuite eu la chance d’être choisie pour faire une année d’étude supplémentaire, au centre des hautes études militaires (CHEM), ce qui m’a permis d’accéder à une meilleure compréhension des questions de stratégie et du niveau « politico-militaire ». J’y ai retrouvé avec bonheur mes camarades des autres spécialités, armées et services, mais aussi des civils venant d’horizons très divers qui avaient choisi de consacrer du temps aux questions de défense en faisant l’IHEDN. Ils sont tous restés des amis proches.

avec le gal Creux GMG (à g)
Devenir officier général en 2010 n’a pas été une consécration, mais la clé pour accéder à des postes passionnants et à responsabilité dont celui de sous-chef d’état-major à l’état-major de l’armée de l’air en 2012, au moment où s’écrivait le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. J’ai pu participer à la rédaction d’une Loi de programmation militaire (LPM) et à la mise en place d’une nouvelle réforme des armées.

Puis, en 2014, j’ai vécu une nouvelle expérience, celle de l’interministériel au sein d’une structure peu connue, le Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), dépendant du Premier ministre et située aux Invalides. Ce fut à nouveau une remise en question de mes compétences au regard de la diversité des statuts de ses personnels afin de remplir la mission d’administration qui m’avait été confiée. Ce milieu complexe, plus politique, fait d’une mosaïque de cultures, a été pour moi une découverte surprenante mais riche en enseignements.

Enfin, un changement d’horizon complet me permet depuis presque une année de pénétrer dans le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche au sein de l’École polytechnique. Un nouveau monde, tellement éloigné des méthodes que je pratiquais jusque-là mais, encore une fois, intellectuellement stimulant.

Au final, je porte un regard positif sur ces 37 années, et je peux dire que j’ai eu la chance de côtoyer des chefs militaires remarquables, de toutes les armées et de toutes les spécialités, qui m’ont fait confiance, m’ont donné des tâches difficiles à accomplir mais qui m’ont permis de progresser et de faire travailler mon imagination. Une vie professionnelle bien remplie, conjuguée à une vie de famille riche et préservée.

Avec Jack Krine,
ancien leader solo de la PAF
Après toutes ces expériences, l’armée de l’air demeure ma véritable famille professionnelle. Une armée jeune et dynamique, moins conservatrice que les autres sans doute par son coté moins traditionnel, pragmatique, où les décisions se prennent vite, un mélange subtil de rigueur et de décontraction, comme il faut et quand il faut, une capacité à être solennel qui vous prend les tripes…Il est clair que l’armée de l’air a donné un sens à ma vie. C’est cet attachement que je souhaite léguer à nos jeunes commissaires, femmes et hommes qui, reconnus pour leur excellente formation d’officier d’abord, d’administrateurs et de gestionnaires ensuite, doivent œuvrer pour le succès des armées.
CRG1 Patricia Costa 
ECA80-Promotion 1980 EA Guy Saint Hillier   

*Également présidente de l’Amicale des commissaires de l’air et commissaires des armées-air (AMICAA)