jeudi 12 octobre 2017

Le commissaire général Serge Habert

Suite de nos recherches biographiques sur les grands anciens du corps du commissariat de l’air, cette fois le commissaire général Habert (1897-1982), à partir des archives du SHD et avec l’aide de sa famille*, que nous remercions vivement.

Rescapé de l’enfer de Verdun, puis successivement officier des compagnies sahariennes, pilote de bombardier et enfin intendant de l’air, le commissaire Habert a incarné les vertus ancestrales prêtées aux Lorrains : fidélité aux racines et ténacité discrète.



Huilliécourt
Né le 30 mars 1897 à Bourmont, son point d’attache restera toute sa vie à Huilliécourt, village d’une centaine d’habitants aujourd’hui. Enfant, il suit son père, capitaine d’infanterie coloniale, à Rochefort et à Toulon mais le perd à l’âge de 13 ans des suites d’une maladie contractée en Cochinchine. Mis en pension à Dijon, il assiste en 1911 à l’atterrissage du premier avion dans cette ville où il passe le premier bac (latin sciences) à 16 ans. Après le deuxième bac (mathématiques) et se croyant inapte pour l’école navale, il prépare Saint-Cyr mais le déclenchement de la Grande guerre l’empêche de concourir.

La Grande Guerre, St Cyr et le désert

Il souscrit sans hésiter un engagement volontaire pour la durée de la guerre en mars 1915 et découvre la ligne de front début 1916 au 27ème régiment d’infanterie, effectuant près de Domrémy sa première garde à six mètres d’un poste allemand. Trois mois plus tard, il découvre « le charnier de Verdun » (1) où son unité, comme tant d’autres, perdra les deux tiers de son effectif. Sa conduite au front lui vaut une citation et lui permet de suivre le cours d’aspirant à Saint-Cyr. Remontant en ligne en avril 1917, il passe dans les environs de Chalons-sur-Marne, « les huit mois les plus désespérants de [sa] vie » mais obtient une deuxième citation et touche, avec sa première solde et sa prime de lieutenant, le premier billet de mille francs de son existence.

En 1919, un concours spécial d’entrée à Saint Cyr est organisé pour ceux qui, comme lui, ont été empêchés de se présenter en raison de la guerre. Cas unique dans l’histoire de cette école, la 104ème promotion est constituée d’élèves sortis du rang mais titulaires de la Croix de guerre(2).

Passant rapidement « du Casoar à la Chéchia », il arrive le 20 septembre 1920 au 12ème RTT (régiment de tirailleurs tunisiens) installé près de Tunis. Hormis un mois passé au groupe d’aviation de Tunisie à Kassar Saïd, où il découvre « un état d’esprit jeune et enthousiaste », le séjour tunisien le déçoit. Il saisit une opportunité en octobre 1922 pour suivre, à Alger, le cours des affaires indigènes (AI). Les officiers AI, mis à la disposition du gouvernement général de l’Algérie par l’armée, y ont pour mission d’administrer les « annexes », c’est-à-dire les communes des Territoires militaires du sud algérien. Leur autorité sur les Agas et sur les Caïds locaux, avaient pour corollaire de devoir maîtriser la langue arabe et le droit coranique.














Les cinq années passées par le lieutenant Serge Habert dans le grand erg oriental et dans le Hoggar, de 1923 à 1927, laisseront sur lui une trace indélébile. Plusieurs années avant que Joseph Peyré la transforme en mythe littéraire, il vit intensément l’épopée méhariste, doté d’un indéniable sens du contact avec ses hommes et les populations locales. Il parcourt à dos de chameau des milliers de kilomètres d’El Oued , à la frontière tunisienne, à Tamanrasset en passant par  Ghadamès, en Tripolitaine, El Goléa et surtout Djanet situé près du Niger. Se nourrissant peu, il pèse 66kgs pour 1m77, parfois gravement malade, il est pourtant fasciné par « ces contrées déshéritées remplies d’âpreté » et « trouve une sérénité que le siècle est en train de perdre ». Il résume l’essentiel : « Au Sahara, on est toujours à l’heure car le temps ne compte pas ». Véritable traité de «touaregologie», il consacre la moitié de ses Mémoires à cette brève période où les premières voitures traversent poussivement le désert, apportant à leur suite le confort et la richesse mais détruisant en même temps le charme d’une vieille civilisation. Responsable avec 10 sous-officiers et 200 hommes d’une région grande comme la France, c’est cette image de lui à cette époque qu’il veut léguer à la postérité, en se faisant figurer en couverture de son livre dans la tenue d’apparat des Spahis.

Pilote

au centre,  le cne Habert, pilote
Poussé par le général Mangin à ne pas « s’ensauvager », il change brutalement de cap à l’occasion d’une permission après avoir lu, dans une petite annonce militaire, que l’aéronautique recrutait des pilotes parmi les officiers de l’armée de terre acceptant de perdre deux ans d’ancienneté de grade.
Il intègre alors, le 5 octobre 1927, le cours d’application aéronautique de Versailles. Dans cette ville, il fait la connaissance d’une angoumoise, fille d’un colonel à la retraite. 1928 sera une année mémorable où, après son mariage en juin, il obtient son brevet d’observateur en juillet et celui de pilote en octobre (brevet n° 22 266). Ne se sentant pas d’attirance particulière pour la chasse, il hésite entre la reconnaissance et le bombardement pour finalement choisir le 11ème régiment d’aviation de bombardement, sur Bréguet 19, situé à Metz-Frescaty, ce qui le rapproche de l’Est qui lui est cher.

sur Bréguet 19
Il y arrive le 25 avril 1928, quelques jours avant la naissance de sa fille Marie-Christiane qui verra le jour le 5 mai à Angoulême. Désigné pour servir à la 7ème escadrille, il est nommé « capitaine dans l’arme de l’aéronautique » en juin et prend le commandement de cette escadrille en décembre (3). Rapidement, il constate que dans cette Arme, qui ne constituera « une armée à part » qu’en 1934, « l’administration relève de l’armée de terre et absorbe une grande part de l’activité des commandants d’escadrille au détriment de l’instruction en vol ». Cette dépendance se trouve aggravée par l’instabilité de l’organisation générale, le 11ème RA devenant la 11ème escadre de bombardement en 1932 puis, l’année suivante, la 11ème escadre d’aviation lourde de défense. Un fils prénommé Philippe naît à Metz le 28 mai 1932.

1930 Metz
Il perçoit très tôt la montée des périls qui s’annoncent outre-Rhin. Début 1936, il est nommé au 3ème bureau de l’état-major régional. Pour prendre du recul par rapport à la menace qui se dessine, ledit état-major déménage de Metz à … Dijon le 1er janvier 1937. Personnellement, il se trouve avantagé avec ce rapprochement familial dans une ville qu’il connait bien,  même s’il peine toujours autant pour arriver à faire ses 120 heures de vol annuelles. En 1938, il est nommé commandant et passe du 3ème au 1er bureau. Bien placé pour préparer les mesures de mobilisation qui s’annoncent, il déplore que l’ardeur militaire de la nouvelle génération ne soit pas à la hauteur de celle de la guerre précédente.

Pris dans les remous de l’écrasante défaite de mai 1940, l’état-major de la première région aérienne se replie par petits bonds vers le sud et finit par disparaître. Le commandant Habert se retrouve alors affecté à Vichy comme officier régulateur au cabinet du chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Romatet. L’hôtel du Portugal lui sert de résidence ainsi qu’à sa famille qui a enfin pu le rejoindre, l’hôtel de Brest servant de mess des officiers. La vie matérielle est médiocre du fait de la défaillance du ravitaillement et le moral s’en ressent. De plus, sur le plan professionnel, pour cet homme d’action c’est le marasme. « La vie s’écoulait, stupide, à Vichy où l’on faisait semblant de faire quelque chose » écrit-il.

Commissaire

Rabat
Pour sortir de cette double impasse, il saisit une proposition faite par un ami colonel lui faisant miroiter une place intéressante à Rabat dans l’intendance de l’air que l’on venait de créer (4). Le 12 février 1941, il présente une demande pour intégrer ce service. Du 24 février au 8 mars, il suit un stage éclair de formation en zone non occupée dans les toutes nouvelles structures de l’intendance de l’air. Le 20 mars, il est en place à Rabat, comme chef de l'intendance de l'air. Toujours loyal et lucide, il notera, bien qu'il réussisse à ce poste : «Le nouveau métier que je venais de choisir ne me convenait aucunement ». Un concours pour devenir commissaire ordonnateur étant organisé, il postule aussitôt. En appuyant sa demande, l’intendant de 2ème classe Perret, responsable du service en Afrique du Nord, le décrit : « Esprit droit, parfois même strict ». Il est intégré dans ce nouveau corps.

Le débarquement des alliés en Algérie change à peine sa situation : un peu plus de travail et le grade de commissaire ordonnateur de 2ème classe (Lcl) attribué par le général commandant en chef en AFN. En août 1944, il est envoyé en Angleterre « auprès des éléments d’administration des délégués de la zone d’opération nord ». Ne parlant pas un mot d’anglais, il attend à Londres sous les V2, des papiers qui n’arriveront jamais et revient finalement à Paris le 24 septembre. Dans l’intervalle, l’armée de l’air a repris son organisation d’avant-guerre. La 1ère région aérienne est revenue à Dijon le 1er octobre et, deux jours plus tard, le commissaire Habert prend la direction régionale de l’intendance de l’air.  Si les choses se mettent en place rapidement au plan du travail, il en va différemment au plan familial, son épouse et ses deux enfants ne pouvant revenir du Maroc qu’en juin 1945. Un an plus tard, il est nommé commissaire ordonnateur de 1ère classe (colonel).

En mai 1950, il retourne à Alger pour remplacer le commissaire général Caillat - devenu directeur central le 17 mars - au poste de directeur du commissariat de la 5ème RA qui couvre encore à cette époque l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. En septembre, il accède aux étoiles.

Atteint par la limite d’âge de son grade, il est placé en deuxième section le 1er avril 1955 après avoir reçu l’assurance d’une troisième étoile, dont il se voit privé, dira-t-il plus tard, par suite d’un changement de gouvernement et de chef d'état-major. Il reste cependant à Alger où, pendant trois ans, il se consacre aux anciens combattants musulmans en tant qu’inspecteur des amitiés africaines. Ayant compris qu’il n’y avait plus d’avenir pour lui en Afrique, il rentre à Dijon en 1958 et se consacre à sa famille.

Il voit s’effondrer la « civilisation constantinienne » qu’il avait défendue toute sa vie et observe le phénomène « sans enthousiasme mais avec le plus grand intérêt ». En 1968, il rédige ses mémoires, « livre de souvenirs que j’ai plaisir à écrire mais qui n’intéresse personne », jugera-t-il. Enfermé peu à peu dans la surdité, il décède à Dijon le 23 mai 1982 à l’âge de 85 ans.

Grand officier de la Légion d’honneur, titulaire de la Croix de guerre14/18 et de médailles coloniales, il avait effectué plus de 2000 heures de vol.
Homme d’action peu fait pour l’administration, il concédait qu’en définitive, il avait appris à apprécier le métier de commissaire.

Commissaire général (2S) François Aubry
Sources :
*Mme Jacqueline Habert, belle-fille du commissaire général
Le dossier individuel du commissaire général Habert est détenu au Service Historique de la Défense sous la cote AI 1 P 315 24 1

Notes :
1/  Les passages en italiques sont extraits des mémoires écrites par Serge Habert en 1968 et imprimées à compte d’auteur. 347 pages. Conception et réalisation Bleu T.
2/ Cette promotion, outre le général Paul Ely (1897-1975), donnera quatre intendants généraux et un commissaire général ; cf. historique de la 104ème promotion de saint-Cyr. (Général Jean Boy. 2010).
3/ C’est dans cette escadrille que, huit ans plus tôt, le caporal Mermoz (né en 1901) avait également commencé sa carrière d’aviateur.
4/ Pour rappel, le commissariat de l’air n’a été créé, stricto sensu, qu’en 1947. Douze postes d’intendants de l’air ont été créés par la loi de finances en décembre 1940.