vendredi 10 mars 2017

Libre-propos sur la réforme du SCA

Pourquoi cette réforme va réussir ? 
Commissaire en chef de 2ème classe Antoine De Coster 

Cet article d'un commissaire des armées (milieu Marine), actuellement stagiaire à l'école de guerre, va assurément alimenter les discussions, toujours passionnées, sur ce sujet.
(transmettez vos commentaires à : amicaa@sfr.fr)

"Les lecteurs des commentaires des blogs spécialisés « Défense» peuvent trouver de nombreuses critiques, plus ou moins fondées, dans un langage plus ou moins fleuri, qui dénoncent les dysfonctionnements du soutien opéré par les Groupements de soutien de base de défense (GSBdD). De manière plus sérieuse, le Haut comité pour l'évaluation de la condition des militaires (HCECM) a pu juger en 2014 que l'administration des militaires, autrefois performante, n'était plus aussi efficace.


Parfois contestée, cette réforme de l'administration militaire est assurément d'une ampleur exceptionnelle. Certes, les missions sont, aujourd'hui comme hier, peu ou prou les mêmes et qualifiées désormais de missions d'administration générale et des soutiens communs (AGSC) : une fonction juridique (conseil juridique, traitement de litiges ou participation à la rédaction de la réglementation), une fonction financière (gestion de trésoreries, gestion budgétaire et des comptabilités associées) et une fonction d'approvisionnement (approvisionnements généraux et
distributions hors matériels d'armements, de maintien en condition opérationnelle et des services spécialisés).
Mais, alors que pendant plus d'un siècle, l'organisation et le fonctionnement de l'administration militaire avaient très peu évolué (1) tout a été bouleversé en quelques années (2). En 2010, il a été décidé de créer un Service interarmées du Commissariat et les GSBdD puis, en 2014, de rattacher ces derniers au service nouvellement créé. Dans le même temps, entre 2009 et 2016, 10 000 postes ont été supprimés sur le périmètre de l'AGSC (3). Enfin, en 2013, dans le cadre d'une réforme globale des corps d'officiers chargés de l'AGSC, les trois corps de commissaires des armées ont fusionné pour constituer le corps des commissaires des armées, corps qui a intégré, entre 2014 et 2016, une partie des officiers des corps technique et administratif des armées, directions et services. Que penser de ces bouleversements? Au-delà des craintes qui accompagnent généralement le changement, il convient de chercher à savoir si cette réforme de grande ampleur peut réussir.

Pour répondre à cette question, il faut comprendre l'intérêt d'une telle évolution pour le commandement. La pression sur les budgets et les effectifs rendait impossible le statu quo. En effet, le maintien d'une administration militaire est une singularité discutée lorsque l'État cherche à développer un soutien interministériel et que les spécificités de l'administration des forces armées se réduisent. Les enjeux pour le commandement sont alors clairs : maintenir un service d'administration
militaire pour être plus efficace dans le soutien aux opérations et donner à ce service les moyens d'optimiser le soutien courant en dehors des opérations. Cela explique le choix de donner au Service du Commissariat des Armées (SCA), à compter de 2014, tous les moyens AGSC (4). En contrepartie, le commandement doit être en mesure de fixer et de contrôler les objectifs du Service. Dans la mesure où ces principes d'organisation ont été respectés, cette réforme peut réussir.

Le maintien de la subordination du Service au commandement 

La création simultanée du SCA et des GSBdD s'est traduite, au niveau central, par la fin de la subordination des anciens services du Commissariat à leur état-major d'armée respectif et, au niveau local, par la création des GSBdD à partir des services administratifs et financiers des unités élémentaires des armées. Cette évolution a pu faire penser aux militaires sur le terrain que la réforme avait conduit à la fin de la subordination de l'administration militaire au commandement.

En réalité, il n'en est rien puisque le Service du Commissariat relève du chef d'état-major des armées (5). Concrètement, cette relation se traduit par la mise en place d'un dialogue de commandement (ou de gestion) qui vise, sous l'autorité de la sous-chefferie «Performance» de l'état-major des armées (EMA), à déterminer et contrôler les objectifs fixés au Service. Ces objectifs sont inscrits dans le contrat opérationnel validé par la sous-chefferie « Opérations » de l'EMA et les contrats de service (courants) signés par les majors généraux des trois armées et encadrés par un contrat d'objectifs et de performance pluriannuel validé par l'EMA. Le dialogue de commandement est, toutefois, plus difficile à mettre en œuvre dans un cadre interarmées. Avant 2010, il résultait de l'échange entre deux acteurs: les membres de l'état-major d'une armée et ceux du Commissariat rattaché à cette armée.

Désormais, il fait intervenir les représentants de la sous-chefferie « Performance » de l'EMA (qui arbitrent les besoins), ceux des armées, directions et services (qui expriment les besoins) et ceux du Commissariat (qui répondent aux besoins). Ainsi, durant la transition actuelle, les objectifs du SCA sont incomplets ou non pertinents. Dans la filière « Habillement », le Service doit pourvoir à 80 % des demandes de renouvellement des effets dans les magasins des GSBdD (et donc potentiellement ne pas répondre à une demande sur cinq ... ). Cet objectif est atteint mais ne satisfait pas les militaires soutenus (6).

De même, dans le domaine budgétaire, le décideur reste bien le commandement puisqu'un simple transfert a été réalisé, entre 2013 et 2015, des budgets opérationnels de programme (BOP) des armées vers le BOP « Soutien» qui relève de l'EMA. L'enjeu est, en réalité, de faire coïncider les besoins exprimés dans les contrats de service avec les crédits alloués sur les unités opérationnelles du SCA. Tant que cela n'est pas réalisé, la soutenabilité financière des contrats n'est pas garantie, ce qui se traduit par un report des problèmes budgétaires structurels en gestion.

Pour autant, ces difficultés ne sont pas un obstacle au succès final de la réforme. Si le dialogue de commandement entre l'EMA, les armées et le SCA est perfectible, la subordination du Service au commandement est préservée. Le Service doit alors et avant tout démontrer sa capacité à soutenir les opérations.

La capacité du Service à soutenir les opérations

Le Service est un service de soutien des armées. Sa vocation première est d'être efficace lorsqu'il s'agit de soutenir les opérations des armées proprement dites.

Dans ce but, en 2014, un état-major opérationnel (EMO) a été créé au sein de la direction centrale pour intégrer tous les besoins demandés aux différents organismes du SCA par la chaîne de conduite des opérations. Dès 2015, l'opération Sentinelle a montré la capacité du service à apporter un soutien efficace à partir des GSBdD sous la conduite de cet EMO. Le soutien de cette mission intérieure ne s'est pas fait au détriment du soutien aux opérations extérieures. Au contraire, le SCA a proposé de constituer des détachements chargés de la fonction « Soutien de l'Homme» au profit des groupements tactiques interarmes (GTIA). Cette évolution a été expérimentée en 2016 sur l'opération Barkhane et validée par l'EMA.
Elle permet d'uniformiser le soutien « Commissariat» au niveau tactique au profit de l'armée de terre à l'image de ce qui était déjà fait par le service « Personnel » d'une base aérienne projetable ou le service « Commissariat» d'un bâtiment de la Marine nationale. Enfin, au niveau opératif, il faut souligner l'intérêt pour le commandement de disposer d'une direction du Commissariat en opérations extérieures capable d'administrer, de contractualiser et de gérer les flux financiers. C'est assurément un gage d'efficacité lorsque les armées ont pour objectifs de « préparer la guerre; conduire les opérations; gagner la paix ».

La réorganisation du Service pour tendre vers la performance dans le soutien courant 

Concernant le soutien courant, la principale innovation est la création de filières qui visent à mettre à disposition des militaires ou des civils soutenus (7) des prestations ou des articles par grandes «familles » (habillement, restauration-hôtellerie-loisirs, gestion de base-vie ... ) de manière plus efficiente.
Le Service s'est réorganisé à partir de ces filières avec la mise en œuvre en 2014 du plan de transformation SCA 21. Au niveau de la direction centrale, la sous-direction « Filières» anime le dialogue avec les états-majors (préparation et suivi d'exécution des contrats de service) et donne les directives d'application à chaque centre expert. Sa mission est relayée par la division « Exploitation» qui est chargée du pilotage des GSBdD et de leur évaluation globale au regard de la prestation rendue aux unités embasées. Les centres experts sont chargés de la conduite d'une filière donnée et s'assurent, dans une logique de « bout-en-bout », du niveau de performance de tous les organismes qui concourent à la satisfaction des soutenus dans cette filière. Par exemple, le centre d'expertise Restauration-Hébergement interarmées est chargé de donner les directives et suivre la performance des centres de production alimentaire, des services soutien-vie des GSBdD et des cercles-mess.

Tout en procurant les services prévus avec les états-majors, ce regroupement par filières permet donc de spécialiser les acteurs, de réduire la taille ou de regrouper les organismes et in fine de réduire les coûts.
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« Dans un contexte de ressource contrainte et de transformation ambitieuse, le Service du Commissariat est parvenu à concilier avec succès la dialectique de l'efficacité et de l'efficience au profit de nos forces» (8).

Au bilan, cette réforme de grande ampleur est positive et répond aux enjeux du point de vue du commandement. Le SCA est bien un service de soutien subordonné au commandement qui dispose d'une autonomie réelle pour s'organiser et répondre aux besoins des forces armées. Sous réserve de renforcer le dialogue de commandement et d'achever la transformation interne du Service, le SCA apparaît alors, en témoignent les récents propos du major général des armées, comme la solution pour concentrer les compétences et les méthodes afin d'optimiser le soutien lorsque cela est possible, et être efficace lorsque les opérations le requièrent.

Dans ces conditions, la réforme de l'administration militaire peut réussir et transformer véritablement le soutien au profit des forces.

Il convient désormais de gommer les différends et les malentendus qui ont pu résulter de ces bouleversements. Car le SCA comme les armées doivent être convaincus de leur dépendance réciproque: un service de soutien sans armées à soutenir n'est rien, les armées sans service de soutien se verraient probablement imposer un soutien interministériel coupé des opérations."

(1) Comme le montre finalement l'organisation très similaire découlant de la Loi sur l'Administration militaire du 16 mars 1882 relative à la réforme de l'Intendance, du décret du 22 avril 1927 relatif à l'organisation de la Marine militaire et du décret n° 91-669 du 14 juillet 1991 portant organisation générale des services de soutien et de l'administration au sein des armées et de la gendarmerie. 
(2) Selon une approche malheureusement habituelle dans toute organisation où les partisans du statu quo s'agitent pour ne rien changer le plus longtemps possible puis les partisans de la réforme obtiennent gain de cause sur tout en peu de temps, ce qui conduit à des phases de transition brutales et mal préparées. La fusion des commissariats était régulièrement évoquée par quelques personnalités clairvoyantes. Jean-Michel Mantin : « Plaidoyer pour un commissariat interarmées », Revue Défense Nationale, n° 668, octobre 2004, p. 162 et ss. 
(3) En 2009, les services du Commissariat employaient environ 11 000 personnes pour un périmètre AGSC à 35 000 ; désormais, périmètres SCA et AGSC coïncident pour un service de 25 000 personnes. 
(4) Lettre n" 6991 DEF/CAB du 1" juillet 2013 détaillant les décisions prises lors des comités exécutifs des 30 mai et 12 juin 2013 présidés par le ministre de la Défense, qui décide, entre autres, le rattachement des GSBdD au SCA dans une logique de « bout-en-bout ». 
(5) Article R 3232-1 du Code de la Défense. 
(6) Avis du Conseil supérieur de la fonction militaire, 95e session, 14 au 18 mars 2016. « En matière de condition du travail, l'habillement pose toujours des problèmes de mise à disposition des effets ... ».
(7) C'est dans cette logique que l'on considère que ces soutenus sont des « clients» c'est-à-dire les bénéficiaires finaux d'un processus porté par une filière (habiller les militaires, nourrir les militaires, etc.), Cette notion de « client » doit être entendue dans ce sens lié au monde de la qualité - bénéficiaire final d'un service - afin d'éviter toutes les crispations que l'on peut entendre à ce sujet dans les armées. 
(8) Ordre du jour n" 39/2016 du 22 septembre 2016 du major général des armées. 

Remerciements à l'auteur et à la rédaction de la Revue Défense Nationale n° 798 - mars 2017