dimanche 19 mars 2017

Le service du commissariat de l’air en 1956

par le commissaire général (2S) François Aubry

L’AMICAA poursuit la diffusion d’articles généraux sur l’organisation et le fonctionnement du service du commissariat de l’air, de 1942 à 2009. Cette fois, le commissaire général (2S) François Aubry, membre du nouveau comité d’histoire de l’Amicale, nous présente le fruit de ses recherches sur le service du commissariat de l’air en 1956, année qui vit la première OPEX avec l’opération 700 à Suez et Chypre.

Cet article est diffusé en 2 volets.


Volet 1 L’échelon central du service

L’Armée de l’air en 1956
 Avant d’évoquer le service du commissariat de l’air en 1956, il est nécessaire de faire un bref rappel sur le format de l’Armée de l’air de cette époque. Reprenant après la Seconde guerre mondiale sa configuration d’origine, avec une organisation territoriale en cinq régions aériennes (Dijon, Paris, Bordeaux, Aix-en-Provence et Alger) et autant de commandements outre-mer, l’armée de l’air entretient 65 bases aériennes, dont la moitié à peine se trouve en métropole.

Noratlas
A l’aune des critères contemporains, les données chiffrées semblent impressionnantes : environ 130.000 hommes et un millier d’avions dont 650 avions de combat. Un budget avoisinant 25% du budget de la Défense qui représente lui-même le tiers du budget de l’Etat. En soulignant ce budget insuffisant (« conséquence de la loi de 1882 » !), la Revue de Défense Nationale regrette que ce soit « toujours, en définitive, l’impératif budgétaire qui prime sur le souci tactique »(1). Malgré les difficultés financières, la modernisation de la flotte est en cours, avec l’arrivée de matériels américains comme les chasseurs à réaction F-84F et de productions françaises, par exemple les Nord 2501 (produits par Nord Aviation) pour l’aviation de transport.

Les canadiens à Grostenquin
Un double défi se présente au général Paul Bailly, chef d’état-major de l’armée de l’air : d’une part, mener en Algérie des opérations de soutien à l’armée de terre qui mobilisent le tiers de ses moyens et, d’autre part, préparer en Europe un éventuel affrontement avec le bloc de l’Est. Pour ce faire, une intégration progressive à l’OTAN est en cours, qui se manifeste de deux manières :
Chaumont AB
 - avec la création en 1954, au moment de la perte de l’Indochine, du 1er CATAC (corps aérien tactique), installé au sein de la IVe ATAF à Lahr en Allemagne sous commandement américain ;
- par la présence en France de 13 bases aériennes américaines (64 000 hommes) et de deux bases
canadiennes (1500 hommes), soit un effectif supérieur à celui de l'armée de l’air française en 2017.

Outre les opérations en Algérie et la modernisation de ses structures en Europe, l’Armée de l’air doit assurer la sécurité dans l’Union Française et, bien sûr, ses missions ordinaires de service public.
Enfin, l'année 1956 est marquée par « l’expédition de Suez » qui permet une prise de conscience de l’importance de la logistique lors d'une projection de force.



Au total, l’Armée de l’air présente à cette époque un visage composite où la technologie de pointe coexiste avec le maintien de structures archaïques tel le centre opérationnel de la défense aérienne hébergé à Paris, place de la République, dans les sous-sols d’une caserne de gendarmerie. C'est aussi l’année de la création des commandos de l’air et celle où, au concours pour le recrutement des futurs officiers pilotes, les candidats faisant plus de 1m83 sont enfin admis à se présenter (2).

Qu’en est-il du commissariat de l’air ?

Le commissariat de l’air existe depuis bientôt dix ans (avec le décret du 23 juin 1947, même si le corps a été créé en 1942) et met les bouchées doubles pour rattraper le retard dû à une constitution tardive. Le nouveau directeur central, le commissaire général Louis Bilbault (3), ancien pilote, est nommé à ce poste le 28 janvier 1956, où il doit faire la synthèse entre les besoins opérationnels, les contraintes budgétaires et le cadre contraignant de la loi du 16 mars 1882 (4). Son objectif est de forger, au moindre coût, un service réactif au plan logistique et rigoureux au plan administratif. Il veut faire des commissaires de l’air des aviateurs à part entière. Déjà, à la création du service, le terme d’«ordonnateur » avait disparu des appellations de grade, contribuant, de ce fait, à mettre l’accent sur l’aspect militaire de leurs fonctions.

Empruntant une classification appliquée à l’origine au suivi des matériels techniques, tous les services de l’Armée de l’air s’articulent à cette époque en quatre échelons : deux échelons locaux (premier échelon à l'unité, deuxième au niveau base aérienne), un échelon régional et un échelon central. Si le commissariat de l’air est totalement absent des deux premiers échelons (bases aériennes), il est solidement implanté au niveau régional (3e échelon) et au niveau central (4e échelon).

 1-L’échelon central
M. Bourgès-Maunoury 
M. Laforest 
Conformément aux principes généraux du droit public français, le chef de l’administration est, pour l’Armée de l’air en 1956, le « secrétaire d’Etat aux forces armées-air » Henri Laforest, sous la responsabilité politique du « Ministre de la défense nationale et des forces armées », Maurice  Bourgès-Maunoury, membre du tout récent gouvernement Guy Mollet.  Dans la constitution de la IVème République, le président de la République, René Coty est déjà le chef suprême des armées.




Le président Coty visite un stand de l’armée de l’air lors d’un Salon

11-L’inspection générale du commissariat de l’armée de l’air (IGCAA)

Contrairement à l’inspection technique du commissariat qui l’a précédée et qui faisait partie de la direction centrale, l’IGCAA est une inspection « générale », cet adjectif impliquant un rattachement direct au ministre, en l’occurrence le secrétaire d’État-air.

L’inspecteur est désigné par décret, ses effectifs et ses dotations étant définis par le ministre. L’IGCAA est un organe d’étude, de consultation et d’enquête portant sur des questions administratives et surtout techniques (héritage de l’inspection précédente) qui sont du ressort du service du commissariat. Son pouvoir, qui n’est pas décisionnaire, relève uniquement de la recommandation. Il joue cependant un rôle actif dans le domaine de l’instruction. Par contre, il ne peut intervenir dans celui de la surveillance administrative qui reste une prérogative de commandement, exercée par les commissaires par délégation nominative.
A ce poste, le commissaire colonel Coste est remplacé en février par le commissaire général Xavier Leca. (5)

12-La direction centrale du commissariat de l’air (DCCA).

Outre l’inspection, le secrétaire d’Etat aux forces « air » a également directement sous son autorité, pour le sujet qui nous intéresse, le chef d’état-major de l’armée de l’air (assisté du major général Edmond Jouhaud), et le directeur central du commissariat de l’air (Louis Bilbault),son adjoint étant le commissaire général Robert Sampont .


La direction centrale (DCCA), installée à Paris, boulevard Victor, comprend, outre le directeur et son cabinet, quatre sous-directions qui détaillent les attributions du service :
- solde, fonds, transports et déplacements ;
- habillement et matériels du commissariat ;
- organisation et administration générale ; Cette sous-direction traite également de l'alimentation, du chauffage, de l'éclairage, de la mobilisation et des réquisitions ;
- pensions et état-civil.

Un important « service technique  du commissariat de l'air », installé également boulevard Victor,  est subordonné au directeur central pour la définition des matériels et la surveillance de la qualité des réalisations effectuées par le service. Il est chargé de la formation  des experts du commissariat.

Il semble que les effectifs du service se situent à l'époque autour de 3000 personnes pour l'Europe et l'outre-mer.

13-Les établissements centraux du commissariat de l’air (ECCA)

Pour le stockage des approvisionnements ministériels, la direction centrale dispose de magasins centraux d’habillement (MCH), récemment requalifiés en « établissements centraux du commissariat de l’air » (ECCA), dont la compétence s’exerce non seulement dans le domaine de l’habillement mais aussi dans ceux de l’ameublement, des rations de combat et des matériels de campagne.
La base juridique des ECCA repose sur l’article 7 de la loi de 1882 qui précise que « les établissements spéciaux sont destinés à assurer la défense générale du pays ou à pourvoir aux besoins généraux des armées et qu’ils sont placés sous l’autorité immédiate et exclusive du ministre ».

Chamalières
En 1956, les établissements centraux sont au nombre de quatre :
- ECCA 797 de Chamalières (Puy de Dôme). C’est le plus ancien et le seul à avoir un statut de base aérienne, BA 291, depuis 1951 ;
- ECCA 798 de Ris Orangis (Seine et Oise) créé le 1er janvier 1948 sur le site d’une ancienne usine de levure et dirigé par le commissaire Bistaudeau ;
- ECCA 799 à Toulouse Balma (Haute Garonne) créé en 1952 et dirigé par le commissaire Bitouzet.

En Algérie, un dispositif particulier a été instauré en 1949, couvrant l’ensemble de l’Afrique du nord, avec un magasin général d’habillement à Hussein Dey devenu établissement général du commissariat de l’air (EGCA 00/785) puis ECCA 785 à double vocation ministérielle et régionale. On note que cette formule constituait une innovation par rapport à la loi de 1882 évoquée précédemment, qui distinguait nettement les stocks ministériels des stocks régionaux.

L’accession du Maroc et de la Tunisie à l’indépendance en mars 1956 a entraîné une restructuration importante du service du commissariat en Afrique du nord, sans toutefois que soit dépassé le niveau d’établissement régional « annexe » pour les magasins implantés dans ces deux pays (6).

L’organisation et le fonctionnement des établissements centraux découlaient de l’instruction 43/DN/A/DCCA du 11 janvier 1956 (donc établie par le commissaire général Caillat, prédécesseur du commissaire Bilbault). La plupart disposent d’ateliers de réparation (bois, cuir, textile). A l'exception de Toulouse, ils sont dotés d’une « section de production » chargée de la réalisation des matériels avec des capacités d’ordonnancement et de passation de marchés.
Les ECCA étaient tous des unités à administration distincte, l'UAD relevant soit du gestionnaire, soit du directeur.

14-L’école du commissariat (ECA)

promotion 1953 en grand blanc
L’ECA ne fait pas partie du service mais elle est rattachée à la direction centrale pour ce qui concerne la formation des élèves commissaires et à la direction régionale de la 4ème région aérienne pour celle des commissaires de réserve.
L'école est positionnée à Salon-de-Provence, « au sein » ou « auprès » de l’école de l’air suivant les textes. Depuis 1953, elle forme, en suivant une démarche empruntée au commissariat de la marine, les jeunes commissaires issus de l’université qui vont intégrer un « corps mal connu, même parfois un peu redouté » (7).
La deuxième année de scolarité est effectuée à Aix-en-Provence à la caserne Forbin (8) et permet de suivre des cours à la faculté de droit, à l’Institut d'études politiques et surtout à l’Ecole nationale des arts et métiers. La promotion 1954 compte quatorze élèves et la promotion 1955 dix-neuf.

Un recrutement parallèle, en voie d’extinction, maintient encore au compte-gouttes la formation traditionnelle par l’école supérieure d’intendance (ESI) de l’armée de terre, installée à l’Ecole Militaire à Paris. Les commissaires stagiaires en 1956 sont les capitaines Raymond Huguet (futur DCCA) et Roger Joureau.

15-Des incertitudes juridiques majeures
Un souci durable pour le commissaire général Bilbault est le contentieux en cours, devant le Conseil d’Etat, à la suite d’un recours pour excès de pouvoir déposé par un officier d’administration (9), le lieutenant-colonel Roynette, à propos du décret statutaire organisant le corps des commissaires de l’air en 1953. L’enjeu n’est pas anodin : il porte sur la validité des actes administratifs passés par les commissaires depuis cette date (procès-verbaux, contrats d’engagement en particulier) et sur la légalité des actes individuels concernant leur carrière.
Il faudra attendre 1960 pour que le Conseil d’Etat annule le décret 53-367, obligeant le gouvernement à passer par la procédure tout à fait exceptionnelle d’une loi de régularisation rétroactive pour normaliser la situation.

(à suivre)

NOTES
1/ Revue de Défense Nationale janvier 1956, chronique aéronautique du colonel Jean Bloch.
2/ Une grande taille rendant l'éjection dangereuse sur les premiers jets français à cockpits étroits
3/ AMICAA 24 octobre 2013- biographie du commissaire général Louis Bilbault
4/ AMICAA 4 octobre 2016 général Warmé (favorable à la loi de 1882) et 27 octobre 2016 Olivier Kempf (défavorable à la loi de 1882). Ce débat n'est plus d'actualité, la loi ayant été abrogée.
5/ AMICAA 11 avril 2015 sur les inspections du commissariat de l'air et particulièrement l'IGCAA.
6/ Malgré les indépendances, l'armée  de l'air conserve des unités au Maroc (école de chasse à Meknès) et en Tunisie (base de Bizerte partagée avec l'aéronavale). Les éléments du commissariat sont retirés du Maroc et de la Tunisie fin 1961.
7/ AMICAA novembre 2012 (commissaire Graffard) ; 4 octobre 2015 et 13 septembre 2016 (Commissaire Barbaroux)
8/jusqu’en 1972
9/Le corps des « officiers d'administration » sera supprimé en 1964 pour être remplacé par celui des « officiers des bases » avec deux sous spécialités : « administratifs » et « encadrement ».