jeudi 16 mars 2017

Du commissariat au monde de l’entreprise

L’envie de devenir son propre patron

Les commissaires de l’air auparavant, les commissaires des armées de milieu air aujourd’hui ont reçu une formation et exercé des responsabilités qui leur permettent de se reconvertir dans de nombreux secteurs professionnels, publics ou privés.
Nous poursuivons nos interviews des commissaires qui ont choisi de réorienter leur carrière, élargissant ainsi le réseau des commissaires hors du service mais toujours prêts à coopérer à un moment ou à un autre avec leur ancienne maison ou à conseiller des commissaires toujours en poste dans le service. Aujourd’hui, nous donnons la parole au CRP (R) Romain Petit (ECA 2006).

Interview


Vous avez mené une première partie de carrière au sein du commissariat de l’air et du SCA. Quel a été votre parcours ?

Je suis entré dans l’armée en qualité d’appelé du contingent ; j’étais titulaire d’un brevet de préparation militaire (PM) air, ce qui, à l’époque du service national (SN), offrait l’assurance de servir dans l’armée de l’air et permettait notamment de retarder l’appel sous les drapeaux. J’ai donc fait partie de la dernière génération qui a eu à payer « l’impôt du temps ». A cette époque, j’avais déjà l’intention de poursuivre mes études jusqu’au doctorat et je souhaitais devenir officier de réserve, c’est donc tout naturellement que j’ai opté pour une PM air.  Durant mon service national, j’ai postulé pour devenir officier sous contrat afin notamment de devenir enseignant-chercheur au sein de l’Ecole de l’air. C’est durant cette période que j’ai découvert le métier de commissaire de l’air, les locaux de l’Ecole des commissaires de l’air se situaient au rez-de-chaussée du BDE (bâtiment des études) dans lequel j’exerçais mes fonctions d’enseignant et d’adjoint au chef de la division d’instruction des sciences humaines.
Le métier de commissaire et les opportunités professionnelles (notamment la fonction de chef de soutien du personnel (CSP) ainsi que certaines spécialisations proposées à la sortie de l’ECA m’ont tout de suite plu. Les entretiens que j’ai pu avoir avec les directeurs de l’Ecole de l’époque (les commissaires Pierre Serra et Daniel Debrowski) m’ont convaincu de passer le concours pour devenir commissaire de carrière.

A la sortie de l’ECA, j’ai pu rejoindre Cayenne en qualité de commissaire de la toute jeune BA 367 (cette dernière fut longtemps un élément air rattaché, puis un détachement avant de devenir base aérienne à part entière). Ce fut une expérience humaine et professionnelle remarquable. Devenir chef du soutien du personnel (CSP), même d’une petite base, et avoir à gérer directement une équipe de 80 personnes, conseiller le commandement dans les domaines financiers, RH, logistiques voire opérationnels (avec l’opération Harpie et la récurrence des lancements d’Ariane, de Soyouz voire de Vega), fut un moment unique et particulièrement gratifiant de mon existence.

Cadets de la défense
Nous avons par ailleurs lancé à cette époque une expérimentation dans le cadre du plan égalité des chances dans laquelle je me suis très fortement investi à savoir : les cadets de la défense*. La mise en œuvre et l’animation de ce programme qui s’est vu remettre le prix du civisme des mains du président de l’assemblée nationale et qui a surtout permis, depuis sa création, à plus de deux cents jeunes collégiens issus de REP + de retrouver le goût de l’effort et de la réussite, est l’une de mes plus grande fierté professionnelle.

Enfin, j’ai eu l’opportunité d’être mandaté par le commandant supérieur des forces armées en Guyane pour aider à la mise en place de la base de défense de Guyane, ce qui ne se fit pas sans douleur ni sans difficultés (difficultés qui ont persisté durablement apparemment) mais qui fut aussi une expérience en milieu interarmées enrichissante.

EMAA
A l’issue de ce séjour de trois années, j’ai rejoint l’état-major de l’armée de l’air où j’ai occupé plusieurs postes au sein du bureau pilotage management de l’information. J’ai eu l’opportunité de passer une qualification d’auditeur délivrée par l’IFACI durant ces années d’administration centrale. Ce furent là aussi de belles années professionnelles marquées par des épreuves et des réussites notamment la mise en œuvre et le déploiement d’un outil de gouvernance et d’aide à la décision pour les plus hautes autorités de l’armée de l’air, outil qui m’a valu de recevoir une lettre de félicitations des mains du major général de l’armée de l’air quelques mois avant mon départ de l’armée.
Très attaché au milieu militaire, je continue de servir ce dernier en qualité de réserviste opérationnel.


En parallèle à vos activités professionnelles, vous avez conservé un lien avec l’enseignement et la formation, et vous avez beaucoup écrit, des livres et des articles. Le regret de ne pas avoir exercé un autre métier dans ce domaine ? Un complément indispensable pour vous ?

J’ai toujours adoré lire et écrire, le fameux double gérondif gracquien du « En lisant, en écrivant ». Je ne conçois pas de vie réussie sans remise en question et découverte de nouveaux horizons. Vous connaissez la formule de Kafka « le livre doit être la hache qui brise la mer gelée entre nous »… il y a là plus qu’une formule, une véritable profession de foi, je pense que chaque écrit est là pour tisser du lien…
Pour le goût de transmettre, c’est venu plus tard. Ce qui était au départ une tendance, s’est affirmé peu à peu comme une autre vocation. J’ai donc été naturellement tenté de devenir enseignant à temps plein voire proviseur notamment via le processus L 4139-2. Malheureusement, les postes de proviseur n’ont finalement été ouverts qu’en 2017 et le processus de recrutement de professeurs issus des armées a souffert de quelques ratés l’année où je me suis porté candidat. Cela reste malgré tout une expérience enrichissante et je n’ai aucun regret car j’ai aujourd’hui trouvé la formule la plus satisfaisante pour moi. Par ailleurs, et de manière plus générale, je reste convaincu de la valeur de la formule du général De Gaulle : « La culture générale ; véritable école du commandement ».


Vous venez de quitter le commissariat. Plusieurs possibilités s’offraient à vous. Comment et pourquoi avez-vous été amené à réorienter votre carrière vers le privé ?

Mon orientation vers le privé ne s’est pas faite d’emblée. Ceci à la fois pour des raisons de confort mais aussi par crainte pour ma famille… Le confort, c’est celui d’être officier de carrière en période de crise économique et la crainte n’est autre que de perturber le bien-être de sa famille en faisant de mauvais choix… Tout cela relève finalement d’une question d’envie et d’appétence au risque. J’aurai pu postuler à nouveau ou répondre favorablement à une offre dans le cadre du dispositif  L4139-2, voire décider de rester au sein du SCA et m’inscrire au concours de l’Ecole de guerre mais j’ai réalisé que ces options ne correspondaient plus à mes véritables envies. Après une forte introspection, un travail de valorisation, voire d’adaptation de mes compétences et de mes savoir-faire aux exigences et aux « codes lexicaux » en vigueur dans le monde du privé, j’ai décidé de sauter le pas.

Aujourd’hui, j’ai monté mon entreprise de formation et de conseil tout en exerçant les fonctions de responsable administratif et financier dans le milieu pharmaceutique.

Par ailleurs, j’ai gardé un lien fort avec les armées en signant un contrat pour servir en qualité de réserviste opérationnel et j’anime un blog au profit du magazine Opérationnels intitulé « L’œil de Romain Petit ».

Dans le privé, la question du cumul de fonctions et d’activités ne se pose pas de la même manière que dans le public, il y a bien évidemment beaucoup moins de restrictions même s’il existe aussi des limites juridiques. Vous avez là une des raisons qui a motivé  mon choix ; elle n’est pas exclusive.
Je crois que j’avais fondamentalement envie de devenir mon propre patron, de connaître cette expérience dans ma vie, de prendre le risque de l’entreprenariat. C’est un stress réel mais aussi une liberté et un épanouissement. J’apprends à découvrir le fonctionnement de notre société d’une autre manière et j’apprécie le fait d’exercer finalement plusieurs métiers, c’est une source de joie.


Que vous ont apporté votre formation à l'ECA et votre carrière dans le commissariat  pour l'exercice de ce nouveau métier ?

Dans la vie il y a toujours à apprendre. C’est une question de philosophie de vie et d’humilité. Durant toutes ces années je n’ai cessé de me former de manière académique finalisant mon doctorat lors de mon passage à l’ECA et allant jusqu’à repasser une nouvelle qualification en audit trois années après ma sortie d’école.  Mais j’ai surtout beaucoup appris sur moi-même au contact des autres ; il n’est de richesse que d’hommes (Jean Bodin)… Tous les postes que j’ai eu l’honneur d’occuper ont été source d’épaississement humain.

(c) L. Merlin/AA
De manière plus spécifique, mon poste de chef du soutien du personnel m’a appris à manager du personnel, à faire avec le potentiel de chacun, à s’adapter au changement et aux impondérables… Avoir en charge notamment la restauration du personnel d’un site, c’est apprendre à faire la guerre deux fois par jour (au déjeuner et au dîner) ; gérer les finances et conseiller le commandement en temps de budget restreint et de transformation de périmètres de responsabilités, c’est une école de conduite du changement et de gestion d’équipes exportable dans le privé.

Le passage en administration centrale m’a notamment conduit à développer d’autres qualités d’adaptation. Cette période a été aussi un moment fort d’acquisition de méthodes et de techniques (audit, contrôle interne, contrôle de gestion, qualité), de développement de qualités rédactionnelles et de création et développement d’outils d’aide à la décision ; autant d’éléments qui sont aussi un plus indéniable dans le cadre d’une mobilité professionnelle. Il ne faut pas perdre de vue qu’au final un poste est autant une figure imposée que ce que l’on en fait…

Quels conseils donneriez-vous à un commissaire des armées de milieu air qui souhaiterait réorienter sa carrière professionnelle ?

Il faut être conscient du fait que nous ne sommes pas attendus mais que cela ne signifie pas pour autant que nous n’avons rien à apporter à l’entreprise ou dans d’autres ministères. Les jeunes commissaires d’ancrage air que j’ai eu le plaisir de côtoyer quelques années lors de formations dispensées à l’ECA ou en stage à l’EMAA m’ont paru bien lucides tant sur leur potentiel que sur leur potentialité. Je me permettrai néanmoins de donner les conseils suivants (même si à ce stade je manque moi-même de recul) :

-une mobilité professionnelle est un projet qui se mature dans le temps long (plusieurs années), en famille pour ceux qui connaissent le bonheur d’être parent et de manière pragmatique (il ne faut pas rester buté sur certains choix et se méfier des miroirs aux alouettes).
-il est nécessaire de se faire accompagner par un conseiller et de suivre quelques formations ciblées (selon ses besoins ou ses carences).
-enfin, il faut faire appel à son réseau ou à défaut en créer un. Cela est nécessaire à maints titres (retours d’expériences, opportunités, viabilité et faisabilité du projet, ouverture d’esprit…).


Nous évoluons tous dans le temps, nos envies ne sont plus les mêmes à 20, 30 ou 40 ans et c’est heureux. En ce sens, il n’y a rien de honteux à changer de priorités avec les années. Là aussi, il faut apprendre à faire le deuil de certains espoirs ou de certaines illusions et avoir le courage et la ténacité de vivre ses envies…

*voir l’article du cre Sylvain Julian (décembre 2015)