mardi 13 septembre 2016

La 10ème brigade de la promo 56

60 ans, déjà !
Par le commissaire général de BA (2S) Jean-Louis Barbaroux

Septembre 2016, six commissaires des armées de milieu air entrent à l’école des commissaires des armées.
26 septembre 1956, il y a 60 ans, un petit groupe de 13 garçons - qui allait constituer la 10ème brigade de la promotion 1956 Le Cong de l’Ecole de l’air, celle des commissaires, puis la 4ème promotion de la (nouvelle) Ecole du commissariat de l'air créée en 1953 - franchissait lui aussi la Touloubre et tombait dans le Piège …

 Pour célébrer dignement cet anniversaire, l’un des survivants croit devoir rassembler, pour l’édification des jeunes commissaires des armées et même des moins jeunes, quelques souvenirs de cette plongée dans l’armée de l’air : toute comparaison avec leur propre séjour à Salon est à l’évidence absurde …


 Installation
Heureux d’arriver à l’Ecole de l’air, nous étions cependant inquiets, car nos petits camarades qui avaient réussi le concours du commissariat de la Marine savaient qu’ils rejoignaient à Toulon une école bien connue avec un beau galon, la solde qui allait avec, le statut d’externe, un uniforme séduisant : en somme, la prolongation, avec beaucoup d’avantages, de la vie d’étudiant.
Pour nous, Salon,  c’était l’inconnu… Les mieux informés savaient que c’était une école militaire prestigieuse, d’autres avaient vu Raimu, Fernandel et Jacques Mazel dans  « La fille du puisatier »! Quant à moi, des amis des parents, dont le général commandant la Défense aérienne, m’avaient vivement conseillé d’entrer à Salon, mais aucun ancien, et pour cause, ne nous avait affranchis clairement.

La plupart des autres passagers du car qui nous attendait à la gare de Salon pour rejoindre l’Ecole, futurs PN (c’est quoi, au juste ?), mécanos, télecs et basiers nous donnaient l’impression de jeunes potaches contents de leur sort, après avoir pour la plupart quitté les bancs du Prytanée de La Flèche ou de l’Ecole des pupilles de l’air. Ils s’exprimaient en français certes, mais avec un vocabulaire ésotérique peu intelligible  pour les « pékins » que nous étions à leurs yeux.

Un petit déjeuner vite avalé au mess, commençait alors le long cheminement des formalités d’incorporation : renseignements administratifs, visite médicale, coiffeur, prise des mensurations, perception du paquetage : deux sacs marins pleins d’objets bizarres, dont des brodequins cloutés, un «  battle dress », blouson, pantalon et calot en gros drap gris-bleu aviation qui sera notre tenue habituelle à l’Ecole.

Un aspi de la promotion 55 nous avait pris en charge et nous conduisit dans notre casernement.  Nous étions logés au bâtiment Brocard,  dans des ensembles de deux chambres de onze, de part et d’autre d’un bloc toilettes, douches et lavabos. Nous disposions chacun d’un lit en 70, sur lequel devaient être harmonieusement pliés « au gabarit » draps et couvertures, d’une chaise et d’une petite armoire, où tous nos effets devaient être impeccablement rangés dans un ordre imposé. L’ameublement de la chambre comportait en outre 2 tables et le râtelier d’armes où étaient stockés, dûment cadenassés, nos pistolets-mitrailleurs MAT 49 et nos fusils MAS 36. Il y avait aussi un placard à balais, car nous apprîmes avec surprise que nous devions assurer le ménage de nos chambres et sanitaires (sans autre produit d’entretien qu’une bouteille d’eau de javel …et du papier hygiénique, parfait pour faire briller les robinets, les vitres, etc …) sous le contrôle attentif de « l’aspi de chambre » et de notre lieutenant de brigade. Ce dernier, le lieutenant Champion, nous parut assez redoutable. Avec le temps, nous comprîmes qu’il nous maternait en fait autant qu’un brigadier pouvait décemment le faire.

Bahutages
Le programme annoncé était simple : pas de sortie avant la Toussaint, début de la formation militaire et technique, série de vaccinations le samedi, et, à titre de prime, bahutages  pour une durée indéterminée, principalement la nuit, au bon gré de la promo précédente (mais sous le contrôle discret et cependant attentif du commandement, excluant notamment toute brimade individuelle).

Le schéma le plus fréquent était le réveil en pleine nuit, pour une petite marche de 15/20 kms, (agrémentée de quelques grains de raisin grappillés dans les vignes : c’était la saison !) avec la joie de trouver au retour nos chambrées entièrement vidées de leur mobilier et de nos affaires, dispersés dans toute l’école. Une variante consistait à retrouver le paquetage complet de toute la promotion, y compris ce que nous avions sur le dos (nous étions entre hommes) mélangé en un tas monstrueux, dans le hall d’honneur… Bien entendu, il fallait que le lendemain, chacun ait retrouvé toutes ses affaires, et les ait rangées « au gabarit », bien sûr. Il est vrai que nous avions passé le premier dimanche consacré aux vaccinations à coudre, en papotant, notre matricule sur chacun des effets du paquetage, jusqu’à la dernière chaussette, grâce à la cousette (nécessaire de couture) fournie par l’Ecole dans un « sac de petite monture »,  terminologie ô combien originale  venant sans doute de la Cavalerie, via l’Intendance !

Quelques changements de tenue ultra rapides nous ont permis de nous familiariser avec le paquetage, tout en battant des records de vitesse, par la composition de tenues assez folkloriques : l’imagination des aspis bahuteurs n’avait pas de limites… « Affolez, poussins ! »
       
Tout a une fin : c’est le « baptême dans le vent des hélices » qui célébrait la fin de près de trois semaines de bahutage. La promotion, agenouillée derrière une rangée de vieux SIPA, moteurs tournant, recevait quelques gouttes de champagne soufflées par les hélices, premier contact avec l’aéronautique, et grand soupir de soulagement.

Oh, bien sûr, nous en avons bavé pendant cette période, mais on peut reconnaitre a posteriori qu’elle a transformé rapidement une bande disparate d’individus en une équipe soudée et endurcie dont la cohésion nous a  permis de survivre. A noter que la masse de la brigade a diminué d’une bonne trentaine de kilos pendant cette période…    

Et la solde, me direz-vous ? Nous apprîmes avec stupeur qu'elle se montait (?) à environ 700 francs, anciens bien entendu, soit un peu plus de …un euro par mois! Bien sûr, c’est ce que touchait l’appelé PDL (pendant la durée légale : 12 mois) ; le succès au peloton d’élève gradé (que nous avons suivi) apportait quelques francs supplémentaires. En plus, nous avions droit à 16 paquets de troupe, pour entretenir nos poumons …

Certes, nous étions logés, nourris, vêtus, blanchis, mais guère chauffés, car les évènements de Suez avaient coupé la route du pétrole, et l’hiver 56 a été l’un des pires : les oliviers ont gelé, et les piégeards aussi !

La marche à pied était notre sport favori, notamment pour aller à la gare de Salon prendre le train, abordable grâce au tarif militaire.
Quant au parc automobile des commissaires, Georges B. était le seul à posséder une voiture, que sa grasse solde et son statut d’EOA lui permettaient d’utiliser, privilège exorbitant, pour aller le samedi soir retrouver sa femme à Aix.

Les déplacements individuels dans l’école étaient proscrits : on se déplaçait en brigade, au pas gymnastique cadencé, et sans couper le parking, s’il vous plait ! Par un effet de l’immense mansuétude de la Strass (mot à prononcer à l’allemande), la 10ème brigade, celle des commissaires, nommés aspirants le 1er janvier 1957 par privilège spécial, reçut dès lors le droit de se déplacer au pas simplement cadencé, sans faire le tour du parking. De ce fait, les autres brigades, forcément plus rapides, devaient nous attendre pour rompre les rangs et entrer au mess !

Nous apprîmes vite que les week-ends à Salon étaient plutôt courts : sauf exception, ils ne commençaient que le samedi à midi et se terminaient en principe le dimanche à minuit. C’était plutôt juste pour aller à Paris, via Avignon, mais on arrivait à ne rentrer que le lundi matin, subrepticement, avant 7h 1/2, une fois même cachés dans la 2CV de l’aumônier, rencontré par chance dans le train.

De  plus, on ne pouvait sortir de l’école qu’en tenue n° 1, avec poignard et gants blancs : très commode pour aller à la plage ! Et il fallait en plus donner l’adresse où on pouvait nous joindre. Ce qui fait qu’une bonne partie de la brigade n’hésita pas à se domicilier chez ma providentielle marraine, qui habitait rue de la République à Marseille, où nous allions effectivement nous mettre en civil, sous les yeux ravis  d’une demoiselle, certes, mais du troisième âge ! Cette adresse collective intrigua le lieutenant Champion, qui se demanda qui était réellement cette hospitalière personne, et se livra à une enquête discrète, dont le résultat le surprit fort !

Les cours débutent

Finalement, les bahutages terminés, le régime de l’école se révéla plus supportable : alternance de cours, techniques et généraux, de beaucoup de sport, des tirs et des exercices de combat, que nous appréciions beaucoup, car se déroulant dans ces si belles collines provençales : au retour, nos treillis camouflaient leur forte odeur de sueur sous des senteurs plus agréables de thym et de romarin…

La 10ème brigade, forte de sa suprématie reconnue, puisque composée de « poussins intellectuels » dédaignait le plus souvent toute compétition stérile avec les autres, préférant prendre son temps, par exemple en améliorant les exercices en campagne avec quelques amuse-bouche et bonnes bouteilles rapportées d’Aix par Georges B. (voir ci-dessus), et quelques siestes réparatrices dans la garrigue.

La vie militaire comportait quelques servitudes, comme monter la garde la nuit dans un mirador, armé du MAS 36 avec une seule lame-chargeur, ou constituer un piquet d’honneur pour accueillir le matin le général commandant l’Ecole. En dehors des prises d’armes, c’était la seule occasion où on le voyait ! Par contre, l’encadrement de proximité : aspis, notre bon lieutenant Champion et le commandant Godde, remarquable officier, commandant la Division d’Instruction Militaire, étaient accessibles et sympathiques.

Quant aux cours, ils étaient pour partie spécifiques aux commissaires au sein de l'ECA et se déroulaient à Pégoud, notre salle d’études au BDE, y compris quelques cours d’initiation aéronautique : par exemple l’avion-moteur, l’avion-cellule, l’identification, les tactiques, la  navigation,  etc … par des officiers de l’Ecole de l’air, et pour le reste : instruction militaire et sportive, culture générale, avec l’ensemble de la promo.

Et les avions, dans tout ça ? Eh bien, nous les voyions… nous survoler,  mais c’était tout, à part un baptême de l’air pour tous en Dassault 315, et pour certains « crevards », dont moi, la faveur d’un tour en Fouga, avion-école tout neuf, arrivé à Salon en même temps que nous.

Quelques grands évènements ayant jalonné l’année 

La visite des cadets de l’US Air Force Academy, la Sainte Prudence, le défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées, l’apprentissage de danses bretonnes, sous la haute direction de Gustave Jourdren… la place me manque : j’en retiendrai seulement trois :

-Le stage de ski à Ancelle, la première évasion du Piège.
Logés dans un chalet des Faix, avec un encadrement décontracté, ce fut très dépaysant pour la plupart : le ski n’était pas très répandu à l’époque : nous n’étions que deux à l’avoir pratiqué : les autres en ont bavé à remonter les pistes en canard, parce qu’incapables de tenir sur le file neige, simple corde qu’il fallait  agripper ferme jusqu’en haut. Il y avait aussi un unique téléski dont j’ai beaucoup profité avec Michel V., pendant que les autres, débutants, étaient sagement cantonnés à damer les pistes… Et puis, il y a eu les soirées à l’unique bistro avec sa jolie serveuse, et les furieuses parties de poker, où nous jouions nos rations de cigarettes de  Troupe : notre pauvre lieutenant n’a plus eu de quoi fumer*6pour longtemps, nous le plumions tous les soirs !

- En juin, avant l’examen de fin d’année : une semaine de stage de sports au Fort Carré d’Antibes : guère moins de… six ou sept heures de « sport » par jour, comme : escalader le fort et redescendre en stop-chute, nager habillé avec un fusil, sauter du plongeoir de 8 mètres, etc. On nous avait aussi annoncé cette nouvelle incroyable :  quartier-libre tous les soirs !  Nous pensions pouvoir faire des ravages à Juan-les-Pins avec nos belles tenues blanches, mais hélas, à part une seule fois, nous  n’avons eu que la force de nous écrouler sur nos lits…
       
-Pour une trentaine de piégeards, le pèlerinage militaire à Lourdes : nous fîmes le déplacement, pour les plus chanceux, encore moi (!) en Morane, un avion école triplace très sympa, le plus souvent, en « radada ».
A Lourdes, en grand uniforme (« grand U ») évidemment, nous avons servi de décor à la messe à la grotte, bien alignés comme des plantes vertes, au premier rang, mais malheureusement sous une pluie lourdaise, c'est-à-dire violente et continue…Il fallait voir, dans les couloirs de l’hôtel où nous étions logés, les Piégeards en slip apporter à la chaufferie leurs tenues à faire sécher, procurant ainsi aux autres pèlerins ordinaires une attraction originale.

Finalement, cette année scolaire (ô combien !) est vite passée, et la brigade s’est préparée à une deuxième année très loin du Piège, à Aix, et idyllique, d’après la 55, et ils n’avaient pas tort ! Peut-être, vous la raconterai-je un jour ?

Le bilan
Etudiants un peu empâtés par la vie universitaire, avec cette année à l’Ecole de l’air nous avons retrouvé une excellente forme, avons échappé à l’ennui du service militaire ordinaire, appris pas mal de choses, et découvert une Armée de l’air attachante, riche de fortes personnalités ; au milieu des 263 membres de la promotion Le Cong, (oui, 263, la guerre froide et la guerre d’Algérie exigeaient de gros bataillons, et la promo a perdu 7 morts pour la France et 14 morts en  service aérien commandé-SAC) nous avons un peu vécu la fraternité des tranchées : ainsi sont nées de profondes et durables amitiés, qui nous ont accompagnés et aidés tout au long de notre carrière, et bien au-delà : l’esprit de promo, c’est irremplaçable !