vendredi 17 juillet 2015

Le GC 2/6 Normandie Niemen en Indochine

Vu par un officier administratif

Les unités volantes découvrirent pour la première fois, au quotidien, les commissaires de l'air à partir de 1955, avec l'arrivée de commissaires du concours direct en stage d'application comme "officiers des détails".

Le commissaire général Barbaroux a déjà décrit (novembre 2012) les missions et le quotidien de ces jeunes commissaires en unités opérationnelles.

Autre témoignage (cette fois d'un officier administratif car, à l'exception du commissaire Barbaroux, les commissaires n'ont pas écrit sur cette expérience), publié en 1977 dans Air Actualités, qui décrit le déploiement du "Normandie Niemen" en Indochine en 1949 et montre bien l'intégration de l'officier des détails - qu'il soit ou non commissaire - dans la vie de l'unité.
Nos remerciements à la rédaction d'Air Actualités



Base aérienne « Max-Guedj », Rabat- Salé. Le groupe était passé des « Yak 3 », laissés en France en 1946, aux « Mosquito» Mark VI, chasseurs bombardiers bimoteurs, à cellule en bois, avec moteurs à piston.
En juin 1949, après l'interdiction de vol des « Mosquito », les équipages avaient été dissociés : les radio-navigateurs mutés, et les pilotes transformés sur monomoteurs P 47, à Telergma. Mais, on savait, par radio « cuisine », qu'en Indochine on serait équipé de « King Cobra» P 63 C, livrés directement à Saïgon, par les Etats-Unis.

Le départ

Au mois de décembre 1948, plus de six mois à l'avance, nous avons préparé, chacun dans notre domaine, le grand départ pour l'inconnu, l'Extrême-Orient, Saïgon, et nous avons dressé nos listes, fait des inventaires, commandé des caisses, pour que tout soit embarqué au jour J.

A partir de juillet 1949, nous avons envoyé tout le personnel en permission de trente jours de départ colonial, mais, comme environ la moitié de l'effectif bénéficiait du report des congés, d'une année sur l'autre, beaucoup avaient droit à deux mois de « perm' » en France. Et, j'étais de ceux-là (!).

Mais, voilà, en qualité d'adjoint à l'officier des Détails, et chef de la comptabilité « Finances », il me fallait être présent au moment du retour du plus gros de la troupe ... et, comme j'étais parti le dernier, avec quelques autres début août, j'ai été rappelé au bout de vingt jours ! Vous pouvez imaginer ma joie ....

Le Groupe s'est mis en route le 25 septembre 1949, par voie ferrée, en unité constituée, à destination de Bizerte, en vue de son embarquement sur le S/S « Champollion », qui partait au même moment de Marseille, bateau naufragé par la suite en 1951, au large des côtes du Liban.

Et moi, me direz-vous, pauvre « pailleux » (c'est le surnom des administratifs), je suis parti, comme toujours, sur des "chapeaux de roues", avec le commandant de Groupe, le commandant en second, le chef des ops, et l'officier des Détails, chargeant sur mes épaules un sac marin réglementaire, rempli de vieux papiers, qui ont brûlé, par la suite, joyeusement, dans la rizière de la « Plaine des Tombeaux », entre Saïgon et Tan-Son- Nhut. Mais, je suis parti par avion, sur un vieux bombardier, « Halifax » du groupe de bombardement « Guyenne» de Bordeaux-Mérignac; et je suis arrivé avant tous les autres, qui avaient emprunté le train. Et puis, je notai soigneusement quatre heures de vol en plus sur mon carnet ad hoc ... pas si mal, pour un pauvre « pailleux » ...

L'embarquement à Bizerte, s'est passé comme un 14 juillet. Ce n'est pas tous les jours qu'un groupe de chasse, aussi prestigieux que le « NN » prend le bateau en unité constituée. Imaginez un départ avec fanfare du 4e Zouaves, gouverneur de Tunisie en tête, avec tout le Groupe colonne par deux, et auprès de chaque homme numéroté, tous grades confondus, par catégorie de passagers (lère et mixtes), un tirailleur qui portait les bagages de cabine. C'est incroyable. Si des anciens se souviennent, ils peuvent le confirmer. .. C'est inoubliable.

Le voyage sur le « Champollion », paquebot mixte, s'est passé dans l'allégresse, avec des civils, et des passagères bien sûr. Les escales merveilleuses de Port-Saïd, où nous avons vu la statue de Ferdinand de Lesseps, le canal de Suez, Ismaïlia, Suez, et Djibouti. Puis, pour nous faire oublier l'eau saumâtre, nous avons visité le merveilleux Eden de Ceylan à l'escale de Colombo.

Enfin, nous nous sommes arrêtés à Singapour, et c'était toujours aussi folklorique, chaleur mise à part, à un degré de l'équateur. Mais, les choses ont commencé à se gâter au cap Saint-Jacques, quand on a embarqué des « Marsouins », avec des armes automatiques sur le pont, pour remonter la rivière de Saïgon. Ensuite, le terminus. le port de Saïgon, et, sur le quai, la fanfare de la Légion. On croit rêver. ..

Je passe sur les phases critiques du débarquement, les adieux, les retrouvailles; mais, parti le dernier, j'ai dû débarquer le premier. Pourquoi ? Pour préparer des avances de soldes pour tout le monde, car la vie à bord avait quelque peu vidé les escarcelles ...

Le séjour

Débarqués le 29 octobre 1949, après vingt-trois jours de traversée, nous faisions grise mine quand on nous a annoncé que le travail « en opérations» était continu, et que nous ne pouvions prendre qu'une
demi-journée de repos, tous les dix jours. Ce n'était pas la semaine de 40 heures. Logés comme des « squatters » - car il n'y avait pas d'installations pour nous sur la base - par la Légion étrangère, et dans de beaux bâtiments neufs du camp appelé par la suite « Camp Général Chanson », dans la plaine des Tombeaux, près de la « grande patte d'oie », sur la route de Saïgon à Tan-Son-Nhut, nous avions les « popotes» dans la villa « Les Petits Poulets ». Mais le plus beau, les bureaux de l'officier des Détails, et des services administratifs, de même que le magasin d'habillement et l'armurerie, se trouvaient dans la villa « Mon Rêve» ; de quoi rêver ... , en face de « La Mauresque », qui abritait les marins « volants » de la flottille aéronavale des « Privateer » et « Catalina ».

Ceci dit, qu'avions-nous comme matériel ? Nous avons trouvé les « pièges » : des « King Cobra », French projet, type: P 65, dont on avait repeint les cocardes américaines. C'était un bon avion, mais qui comportait souvent des pannes de radiateurs, au grand désespoir des crédits d'Instruction et de la M.G.E., après épuisement des crédits « Techniques ». Eh oui, il fallait se débrouiller, sans faux-fuyants, être efficace, et satisfaire tout le monde, dans la chaleur, les moustiques, les serpents, les scorpions, les margouillats, les takos, les buffles et les crapauds-buffles; et même les pangolins ... Tout cela environné par le 2e B.E.P. (2e Bataillon étranger de parachutistes), 2e compagnie, dont le commandant était un camarade d'enfance ...

Il fallait payer, toujours payer, établir des délégations de solde, même quand le courrier se perdait à Sharjah en Arabie saoudite, payer des rappels et des primes, payer les fournisseurs, les « popotes », distribuer le tabac, les médailles, les médailles coloniales, avec la pesée mensuelle ; remettre le savon, changer les devises, rédiger des déclarations, dresser des propositions, arrêter des comptes présenter des bilans, des statistiques ... , embaucher du personnel civil, à statut' local, les remercier, reprendre les vivres en compte, surtout le « singe» laissé par la 4e Escadre de Chasse, nos prédécesseurs, etc. et j'en passe, et des meilleures.

Bearcat
Hellcat
Puis, en novembre 1950, l'aide américaine commençant à porter ses fruits, nous avons reçu les premiers « Hellcat », puis ensuite des « Bearcat » , tractés du port à la base de Tan-Son-Nhut.

*
La fin du séjour approchant, car notre tour d'opérations était prévu pour un an en renfort, on nous annonça brusquement qu'il fallait rester un an et demi. Quel désastre ! Quelle consternation ! Mais « militaires d'abord» ! personne n'a fait preuve de rébellion ... et on n'a pas appelé la Prévôté. Je commençais à me plaire dans ce pays si attachant. J'avais même envisagé d'étudier le vietnamien pour bavarder avec ma boyesse, et mon dactylo, un garçon charmant et dévoué.

Cela portait notre date de rapatriement au mois de mai 1951, sauf imprévus. Quelques patrouilles ont été détachées en zone nord, en octobre 1950, pour dégager la R.C. 4, et faciliter les évacuations, puis dans le Centre-Annam, à Tourane, et à Nha-Trang. Je ne donnerai pas le détail de toutes les opérations, car cela fera l'objet d'un autre récit.

Le retour

Les gens du Groupe arrivaient, et partaient... Fin 1950, vint la citation tant attendue, « citation à l'ordre de l'armée aérienne », avec croix de guerre avec palme, puis d'autres citations.

Notre drapeau, déjà si prestigieux, et très honoré, accrochait ainsi - auprès de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire, de la Croix de guerre 39-45, de l'ordre d'Alexandre Lewski , du Drapeau Rouge, des ordres soviétiques - le ruban bleu de la Croix de guerre des T.O.E. qui manquait encore à son tableau de chasse. Après ce tour d'opérations et une prise d'armes inoubliable, retour à ... Oran.

Pour terminer, certains ont disparu: le capitaine Bastide, d'autres comme le lieutenant Marot ont failli être faits prisonniers, d'autres encore sont restés en Indochine, et se sont mariés sur place devant monsieur le maire de Gia-Dhin, mais la plupart, nous sommes repartis en « PHAP » - (France
en V.N.) revenus en congé en France,ou en A.F.N., mais, moi, le « pailleux », je suis resté un mois de plus, du 1er au 28 mai 1951, aux bons soins du Groupe de Chasse 2/9 « Auvergne» qui venait nous relever, et qui m'a pris en subsistance pendant toute la durée de mes travaux de liquidation des
comptes de l'Unité.

Robert Lacouture