mercredi 29 avril 2015

Du Commissariat de l’air au Commissariat Général au Développement Durable

L'expérience du commissaire de l'air au service de la réforme
par Jean-Louis Pons (ECA 73)


Ma carrière professionnelle se partage à part à peu près égales entre une activité de soutien dans l’Armée de l’Air et une activité opérationnelle dans les diverses affectations dans la mouvance de l’environnement, de l’équipement, de l’aménagement du territoire.

A priori, il n’y a pas de point commun entre ces métiers. Néanmoins un fil conducteur les unit : c’est le concept de développement durable.

La définition en a été donnée en 1987 par Mme Brundtland (ancienne Premier Ministre de Norvège),  Présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (ONU) : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».  Elle s’était peut-être inspirée de cette citation prophétique d’Antoine de Saint Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre, nous l’empruntons à nos enfants ».
Le développement durable implique une approche globale, qualitative et partenariale des problématiques au regard de trois volets : économie, social et environnement.


La démarche qualité 

Dans le cadre d’une telle approche globale, la démarche qualité engagée par le Directeur central du commissariat de l’air en 1987, avec l’accord et le soutien de l’Etat-major qui la reliait au process de la  sécurité des vols, a constitué une étape importante dans l’émergence et la mise en œuvre  du concept. Je tiens à saluer celles et ceux qui, dans les services du commissariat et sur les  bases aériennes, se sont engagés dans la démarche qualité en apportant professionnalisme, enthousiasme et en élaborant des solutions souvent novatrices aux problèmes posés.

La démarche qualité  a évolué avec la qualité totale et a pris toute son ampleur dans l’administration, avec la politique du « Renouveau du service public » lancé par le Premier Ministre en 1989. Son objectif était de faire évoluer des structures administratives (DDE, DDAF, établissements d’enseignement, centres hospitaliers…)  en centres de responsabilité.  L’exemple du fonctionnement des bases aériennes alliant souplesse et efficience, notamment dans la gestion des ressources financières, avait intéressé le Préfet et les autres acteurs  de la fonction publique du département de la Marne. Hélas, après le changement de Premier Ministre, cette démarche novatrice  fut abandonnée, un an avant le Sommet de la Terre de Rio en juin 1992 qui a porté le développement durable sur les fonts baptismaux (Déclaration de Rio du  13 juin 1992).

Au ministère de l’Environnement

J’ai rejoint le ministère de l’Environnement en octobre 1991 en qualité de chargé de la Mission internationale à la Direction de la nature et des paysages.

canal du Midi
Ma première mission fut couronnée de succès avec la reconnaissance de la notion de « paysages culturels » par le comité du Patrimoine mondial en décembre 1992. C’était la conclusion d’un travail d’équipe de plusieurs années qui avait mobilisé des spécialistes français, allemands, britanniques, italiens des patrimoines culturel et naturel et des paysagistes avec l’ICOMOS* et l’UICN* pour faire reconnaître qu’entre les sites naturels et les sites culturels, il y avait une autre catégorie  d’espaces qui étaient le témoignage du génie créateur  de générations d’hommes et de femmes : vignobles, canaux, vallées fluviales, rizières en terrasses d’Asie…

Mais une fois ces sites classés, s’est posé le problème de leur pérennité et de leur compatibilité avec les activités humaines.  La mise au point de plans de gestion, initiés au niveau du comité du patrimoine mondial, calés sur la notion de développement durable, associant bien évidemment les populations locales, ont constitué une réponse appropriée, mais pas toujours simple à mettre en œuvre du fait de pressions politiques.

Dans une Direction départementale de l’équipement (DDE)

A la DDE de l’Essonne, j’ai pu mettre à profit les expériences acquises précédemment, mais dans un contexte initial conflictuel avec les élus, pour élaborer le plan de prévention aux risques d’inondation de la Seine en Essonne. Il s’est agi de renouer le dialogue et de permettre à tous les acteurs de disposer d’un corpus de connaissances scientifiques et de terrain (pour un ancien commissaire de base aérienne, c’était une évidence !) sur le risque d’inondation et plus particulièrement dans les espaces concernés.  Au terme de la démarche, qui s’est appuyé sur un atelier partenarial sur le développement durable dans les zones soumises aux risques d’inondation, le Préfet de l’Essonne a signé l’arrêté concernant le plan de prévention des risques d’inondation de la Seine en Essonne.

L’autre expérience marquante à la DDE de l’Essonne a été réalisée dans le cadre de ma responsabilité  de chef de la Mission interservices de l’eau. A la demande des élus d’Etampes et des communes voisines, du syndicat d’assainissement de la région d’Etampes, tous les services de l’Etat chargés de l’eau ont travaillé de concert pour traiter de manière globale les dysfonctionnements en matière de traitement des eaux usées et pluviales. Ce fut une belle démarche de développement durable portée par une structure de gouvernance très solidaire. Le Président du Syndicat mixte d’assainissement et les élus avaient approuvé avec intérêt le cadre de l’appel d’offre européen sur performance, avec fixation bien évidemment du niveau de qualité de l’eau traitée rejetée dans le milieu naturel (rivière Juine), l’intégration paysagère et la qualité architecturale de la station, son accessibilité au public, la valorisation des boues après séchage en agriculture rendue possible grâce au travail amont réalisé. Par la suite, le classement de la vallée de la Juine, écosystème remarquable, a fait consensus.

Au Commissariat général au développement durable (CGDD), responsable de la Mission nationale des véloroutes et voies vertes (MN3V).

Le développement du vélo constitue l’illustration la plus pédagogique de la démarche qualitative et globale du développement durable : la réalisation d’itinéraires cyclables en utilisant à la fois des routes à faible circulation et des voies en sites propres (voies vertes) sur les chemins de service le long des cours d’eau, sur les anciennes voies ferrées désaffectées, les chemins forestiers, les chemins d’exploitation agricoles… en organisant mieux le partage de l’espace public dans les zones urbanisées.

Il s’agit de mutualiser les linéaires et permettre leur utilisation par les cyclistes et surtout de faire admettre l’utilité de cette mutualisation par les gestionnaires et propriétaires fonciers de la voirie. Là aussi, la pratique des plateformes aéronautiques (cohabitation d’aéronefs militaires et civils) a été très utile pour montrer qu’un linéaire pouvait avoir plusieurs affectations et permettre un partage des coûts d’entretien. Même s’il existe des dispositifs juridiques pour permettre à des cyclistes d’emprunter, par exemple, des chemins de service gérés par Voies navigables de France, c’est tout… sauf simple.

Pourtant, l’intérêt de réaliser le schéma national des véloroutes et voies vertes approuvé en Comité interministériel d’aménagement du territoire le 11 mai 2010 pour relier les zones urbanisées entre elles, les zones urbanisées et la campagne est fondamental pour faire progresser la part modale du vélo en France qui se situe  actuellement à 3%, à rapprocher de 10% en Allemagne, plus de 30% aux Pays-Bas et au Danemark.

Au regard des trois volets du développement durable, les voies cyclables présentent un intérêt environnemental et patrimonial car elles ne consomment pas d’espace grâce à l’utilisation du foncier disponible, ne génèrent pas de gaz à effet de serre, contribuant ainsi à l’amélioration de la qualité de l’air, à la réduction de la congestion automobile dans les villes et les espaces péri-urbains et, enfin, participent aux continuités écologiques et préservent la qualité des paysages traversés.

Les voies cyclables présentent également un intérêt social, car elles favorisent la cohésion sociale en suscitant un intérêt partagé pour la mise en valeur d’espaces urbains et ruraux, facilitent la pratique du vélo sportif que ce soit pour se rendre à son travail, à la gare ferroviaire ou routière,  pour les loisirs… et sont un facteur d’amélioration de la santé (études de l’Organisation mondiale de la santé) et, enfin, libèrent du pouvoir d’achat.

Elles présentent enfin un intérêt économique, en permettant d’une part la création d’emplois  de proximité notamment dans les domaines de la restauration, de l’hôtellerie, des services, générés par l’impact économique du vélo (75€/jour de dépense moyenne par touriste itinérant), d’autre part la valorisation économique irrigue un territoire qui s’étend sur une zone d’environ 5 km de part et d’autre de l’itinéraire cyclable, sans oublier un retour sur investissement très rapide (2 à 5 ans). On estime qu’un euro investi dans le secteur du vélo rapporte un euro de chiffre d’affaires chaque année suivante pour les territoires traversés.

Ces trois volets du développement durable ne sont véritablement efficients que s’ils sont portés par une structure de gouvernance réunissant les acteurs du vélo.

Enfin, je voudrais insister sur la complémentarité des moyens de transports qui ont chacun leur domaine de pertinence (3 à 5 km pour le vélo, plus avec un vélo à assistance électrique) dans la logique de l’intermodalité, notamment vélos et trains ou aire de covoiturage, comprenant un stationnement sécurisé pour les vélos.
Nos voisins suisses utilisent le terme de mobilité intégrée en favorisant  la fluidité entre les modes de transports.

Tour de Bourgogne, voie verte le long du canal du Centre

Malheureusement,  le développement d’un tel mode de transport, qui ne présente que des avantages, est encore très (trop) lent pour des raisons qu’il serait trop long de développer, mais que résume en partie l’expression latine : « De minimis non curat praetor ».

*
Depuis 5 mois, je n’exerce plus d’activités professionnelles, mais heureusement beaucoup d’autres activités dont certaines recroisent celles de ma dernière affectation au CGDD. Il s’agit d’assurer une sorte de « service après-vente bénévole» notamment à l’égard de membres du réseau des acteurs du développement du vélo (Etat, collectivités territoriales, Associations…).
J’apporte aussi mon  soutien à une association d’artisans spécialisés dans  la restauration du patrimoine.

En guise de conclusion, je livre à votre réflexion cette photo d’actualité de Solar impulse au décollage aidé par des cyclistes, qui illustre, mieux qu’un long discours, le concept de développement durable et constitue pour moi un trait d’union symbolique entre le début et la fin de mon parcours professionnel avions/vélos.



ICOMOS : International Council on Monuments and Sites
UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature

Jean-Louis Pons (ECA73) a été commissaire des bases du Bourget, de Taverny et de Reims, adjoint au S/D Finances de la DCCA et Directeur du Commissariat de l’opération Epervier au Tchad, avant d’être intégré comme administrateur civil en 1991.