Vous avez mené 2 carrières successives : commissaire de l'air durant 10 années puis cadre de direction dans le privé durant 24 ans. Dans quelles circonstances avez-vous été amené à réorienter votre carrière vers le privé ?
I.Delarbre :
Oui, 10 ans dans le Commissariat, 21 ans chez Renault/Nissan et bientôt 3 ans chez Total, soit 34 ans d’activité professionnelle dont 24 dans les achats. La problématique des mobilités dans le monde militaire et le goût pour l’industrie, que j’avais côtoyée au Setamca, ont été à l’origine de mon départ de l’armée de l’air. Le métier achat a été le moteur de mes recherches dans un contexte « marché » où cette expérience était recherchée, et l’est encore.
Quelles fonctions avez vous exercées dans ces deux sociétés?
ID : pour résumer, arrivée chez Renault en 1990 à la Direction des achats industriels, nouvellement créée, où je suis responsable de l’organisation et en charge de la mise en place des tableaux de bords et des indicateurs. Puis chargée de créer la Division des achats de fournitures / composants industriels et moyens généraux, en regroupant 3 sections d’achats sur un périmètre géographique européen. Un an plus tard, je reprends tous les achats de prestations des bureaux d’études ; à partir de 1992, c’est l’aventure de l’alliance avec Volvo qui nous fait travailler sur les synergies plus d'un an mais n’aboutira pas.
En 1994, j’élargis encore mon périmètre avec la division des achats de gros œuvres et second œuvre pour tous les sites industriels de Renault monde. Fin 1997, je quitte la Direction des achats industriels, le domaine des achats indirects, pour aller dans les achats directs : les matières (matières plastiques et toutes les peintures pour les véhicules ainsi que les produits d’étanchéité et d’acoustique, toujours sur un périmètre monde). En 1999, c’est l’alliance avec Nissan, qui met les achats en première ligne. Avril 2001 je suis nommée Directeur achats Renault Nissan, avec en complément des achats matières, l’énergie, l’informatique et le voyage aérien. Il y a 5 directeurs, je suis la seule femme !
En effet, étant Renault, basé à Paris, mes équipes hiérarchiques étaient éclatées, 50% en France, 30% à Tokyo et 20% à Los Angeles, beaucoup de voyages et de décalages horaires, mais cela fonctionne ....et c’est là ou mon passé dans le commissariat de l’air m’a aidé et apporté un plus par rapport à mes collègues.
Fin 2007 je crée la direction des Douanes et du Commerce international à la Direction financière, de nouveau sur le périmètre Renault / Nissan.
En 2010, je rejoins le groupe Total, comme cadre dirigeant, Directeur des achats du Raffinage Marketing ; en janvier 2012, suite aux réorganisations du Groupe, je deviens directeur des achats Marketing et Services (toute la distribution aval du Groupe), un périmètre monde sur 105 filiales, 350 acheteurs et 6 milliards d’achats.
Que vous ont apporté votre formation à l'ECA et votre expérience dans vos premiers postes pour l'exercice de vos nouvelles fonctions dans le privé ?
En synthèse, je dirai : « être professionnel », c’est une évidence mais .... ce n'est pas aussi courant que l’on pourrait le croire.
Derrière de mot " professionnel" je mets les valeurs, la rigueur, la droiture, la transparence, l’organisation, l’exemplarité du manager, l’excellence, l’exigence pour soi.
Au fil des années, avec l’expérience au Setamca (chef de section puis adjointe au chef de la division réalisation avant de rejoindre la Direction centrale à Balard , chef de la Division Matériel), j’ai bien sûr complété ce panel par la souplesse, la flexibilité, l’intelligence des situations, l’ouverture, l’empathie.
Ce métier appris au Setamca m’a passionné et je rends ici hommage au général de Broca et au général Barbaroux, pour leur approche « business », poussant à l’optimisation des coûts, à l’innovation, au changement et à la transformation.
L’ECA, le Commissariat, l’année de stage à Cazaux et les 5 années au Setamca venant après une formation juridique ont été des bases très solides qui m’ont permis de réussir chez Renault, puis après 10 ans de travail avec les japonais, de réussir chez Total.
C’est comme cela que, dans n’importe quel contexte, n’importe quel pays, j’ai pu gérer les situations avec des chinois, japonais, indiens, américains, russes, iraniens, brésiliens, turques, marocains, africains… et les français qui ne sont pas les plus simples à manager !
A l'inverse, que vous a apporté votre expérience dans le privé ?
ID : Savoir naviguer dans des environnements incertains où les règles ne sont pas forcément écrites, les objectifs flous : il faut obtenir les résultats, prendre des initiatives, avoir de l’audace quel que soit le contexte et sans attendre que l’on vous donne un cadre ou que l’on vous apporte une aide.
Il faut savoir être très autonome tout en sachant bien utiliser la transversalité et le support des autres et surtout savoir trouver la solution dans n’importe quelle situation.
Chacune de vos 3 activités a eu ses propres contingences, pour vous-même et vos proches, mais peut-on établir une typologie de ces contingences et difficultés propres à chacune ?
ID : Les points communs sont nombreux : le commandement ou le management, créer l’adhésion, convaincre et embarquer une équipe. Pour cela, l’ECA a été très formatrice. J’ai même entendu un PDG de Renault dire que les meilleures écoles de management étaient les écoles d’officiers. Effectivement, le privé est perfectible en management, il est sans cesse en train de s’interroger sur le « manager » et fait de nombreux séminaires sur le sujet
Il y a aussi la disponibilité, partir en mission à gauche et à droite, certes la trêve des confiseurs existe dans le privé et moins dans l’armée.
Le pouvoir et l’ambition se retrouvent aussi de part et d’autre.
Certaines différences sont assez accusées : dans le privé, on trouve une grande diversité de profils et de comportements, même s’il y a une culture d’entreprise, elle n’est pas aussi forte que le ciment apporté par une école militaire, où le temps passé à l’entrée en formation est très riche pour la cohésion.
L’armée est très égalitaire et les règles sont connues, beaucoup moins dans le privé.
Et la suite demain ? ….après demain, d’autres aventures sans doute. Quand vous êtes en mouvement, que vous apportez les résultats, on vous donne d’autres sujets à traiter, d’autres challenges. Que l’on soit cadre dans le commissariat ou dans le privé !