dimanche 17 février 2013


Un service du commissariat des armées en 1966 ?
Mon affectation à la Direction Interarmées des Commissariats et de l’Intendance (D.I.C.I.) à Mers el Kébir
par le cre gal (2S) Jean-Louis Barbaroux (promo 56)

Fin 1965, jeune commissaire commandant, jeune marié, cinq ans dans diverses affectations parisiennes, il est temps d’envisager un changement d’air l’été prochain…Mon ancien chef du CBA 753 à Versailles va achever un séjour 18 mois célibataire à Mers el Kébir et me suggère de le remplacer …

Pourquoi pas ? La nostalgie de l’Oranie où j’ai passé deux ans au GB 2/91 en 1958/60 (cf. article précédent), l’attrait de la solde majorée de 30% en AFN (pas du luxe à l’époque!), la possibilité de se faire rejoindre par la famille (à ses frais, cependant !), quelques avantages matériels : voiture, logement facile et très bon marché, le soleil et la mer, un poste très autonome enfin ; un petit coup d’avion pour aller voir : je suis vite convaincu, il n’y a plus qu’à proposer ma candidature au Bureau Personnel de la DCCA, qui l’accepte avec enthousiasme : cela lui évitera de recourir au « tour de départ en Algérie » : on ne se bouscule pas pour y aller, quatre ans après la fin de la guerre ! Août 1966, me voilà donc affecté comme « directeur du commissariat de l’air 760, au sein de la Direction interarmées des commissariats et intendance de Mers el Kébir ».

Au même titre que l’intendant (cinq galons pleins), je suis l’adjoint d’un Commissaire général de 2e classe de la Marine, chez lui à Mers el Kébir.
Mers el Kébir, c’est une enclave d’une trentaine de kilomètres de long, à l’ouest d’Oran, comportant, outre la base navale, une base aérienne et la plaine côtière de la corniche oranaise, laissée pour quinze ans à la disposition de la France par les accords d’Evian. La motivation principale de cette présence française était d’occuper le terrain et d’empêcher ainsi les soviétiques de tenter de s’implanter dans la base, bien placée pour contrôler la Méditerranée. Quant à l’escale de Bou Sfer, elle était précieuse  pour le soutien des installations spatiales et nucléaires encore actives au Sahara (Béchar et Reggane). Faut-il ajouter que la proximité d’Oran a permis, au moment de l’indépendance, de procéder à quelques évacuations en toute discrétion ?
C’est un véritable microcosme militaire qui était implanté à Kébir : la Marine, d’abord, avec toutes les directions d’une base navale, travaux maritimes, constructions et armes navales, poste navale, infirmerie- hôpital, et bien sûr tous les services du commissariat : vivres, matériels, carburants (Les immenses réservoirs toriques souterrains constituaient un des clous des visites officielles), des mess et un organisme original : un Carré contenu dans un cercle des officiers (ou l’inverse?).

Contrairement à la légende, les installations souterraines ne pouvaient recevoir de bateaux, elles ne comprenaient, outre les locaux de commandement, que de vastes entrepôts, ateliers et les fameux réservoirs toriques.
Et les bateaux ? Non, pourquoi des bateaux ? Pas plus en surface que sous terre : à part quelques embarcations de servitude (les « burettes »), les dériveurs et le hors-bord du club nautique…
L’armée de terre alignait de gros effectifs : deux régiments de Légion (1er REC et 2ème REP), un d’artillerie de marine et un échantillonnage quasi complet de toutes les composantes militaires, comme par exemple la C.I.L.A (Compagnie d'infanterie légère d'Afrique), dernier avatar des unités disciplinaires coloniales : les Bat’d’Af, reconnaissables à leur calot violet. On croisait les uniformes les plus divers, et même les plus rares, comme ceux du tribunal militaire : le greffier en chef, modeste officier, arborait une casquette richement brodée qui permettait à son propriétaire d’être l’homme le plus salué avec les quatre généraux de la base stratégique! Il y avait même deux uniformes étrangers : ceux des attachés navals anglais (oui, à Mers el Kébir !) et italien, qui avouaient que leur principale activité était la fréquentation du club nautique, avec, mais seulement de façon saisonnière, la rédaction de nombreuses cartes de vœux !

L’armée de l’air, pour sa part, disposait à Bou-Sfer d’une base aérienne complète, n°181, construite spécialement pour servir d’escale avec une belle piste toute neuve fréquentée par les C-47 et Nord 2501 du COTAM, et par le modeste Fouga de la base.
Le commissariat de l’air, richement doté d’un directeur, commissaire commandant, de trois sous-officiers, d’une SPMFAA de 5e catégorie (ce sigle charmant dissimulant un sergent féminin) et enfin d’un homme du rang, appelé du contingent. Implanté en surface à proximité de la base navale, il disposait de confortables locaux, ainsi que d’une 403 avec une ancre et non une aile sur ses plaques !
Ces moyens non négligeables avaient été généreusement accordés, lors de la création de la D.I.C.I., sans que l’on sache exactement à quoi ils allaient servir dans cette structure inusitée. En pratique … à pas grand-chose, car le commissariat de la marine, avec ses cinq commissaires, ses organismes traditionnels largement dimensionnés à la création de la base stratégique (S.A.O, SAM, SVM, carburants…) et de gros moyens logistiques, assurait directement sans peine le soutien des unités des armées de l’air et de terre. Le CA 760 jouait modestement le rôle d’une mini- Direction régionale, relais vers la DCCA, pour les besoins spécifiques Air. Son directeur n’était même pas ordonnateur et se contentait d’établir les mandats qu’il présentait à la signature du directeur de la DICI.
On aurait pu penser que la surveillance administrative et la vérification des comptes de la  BA 181  entraient tout naturellement dans les attributions du CA 760…Pas du tout : ces fonctions étaient restées confiées au commissariat de Colomb-Béchar, héritier de la DRCA de la 5e R.A.
Le premier directeur du CA 760 se trouvant rapidement désœuvré, après avoir épuisé les riches possibilités du club nautique, à vrai dire très réduites en hiver, avait, un jour de spleen, naïvement écrit à la Direction centrale que la vingtaine de kilomètres qui le séparait de  la base de Bou Sfer et sa  propre disponibilité lui paraissaient militer en faveur du rattachement de la BA 181 au  CA 760 plutôt qu’à Béchar, éloigné de 700 km. Il s’était vu répondre sèchement que seule la Direction centrale était qualifiée pour apprécier les charges de ses services et définir leurs attributions en conséquence… Le directeur du CA 760 n’avait plus qu’à « choquer l’écoute », comme on disait au club nautique !
L’absurdité de la chose apparut cependant, et mon prédécesseur put recevoir délégation du Général ComSup pour exercer ces attributions chères à notre corps. Il en fut de même pour moi, et la BA 181, unique base de notre circonscription, put enfin bénéficier d’une surveillance particulièrement vigilante !
La fermeture des installations de Colomb Béchar donna l’occasion au commissaire Jourdren, son directeur du commissariat, de mettre au point avec moi une belle manœuvre logistique : l’évacuation vers Mers el Kébir, qui disposait de vastes locaux de stockage vides, puis la France, de nombreux matériels commissariat (habillement, matériels…) fort utiles : l’armée de l’air de métropole en était fort dépourvue!  De même, le petit détachement Air de 50  personnes qui était maintenu à Reggane pour faire fonctionner au profit des algériens les équipements techniques (centrale électrique, transmissions, contrôle local …), devaient être désormais pris en compte par Mers el Kébir : Le général Comsup me confia cette mission, qui entraîna de nombreux déplacements sur place, en avion et même une fois en jeep : 1500kms, dont la moitié de mauvaise piste, mais ceci est une autre histoire !
Une anecdote sur Reggane : Beaucoup de matériels n’avaient pas été évacués, mais laissés sur place, bien rangés à l’air libre : une bouteille de whisky judicieusement offerte au commandant algérien du site procurait « la clé du champ de tir » et permettait  la récupération discrète de matériels en parfait état, à charger dans les avions qui faisaient bêtement le retour à vide après avoir ravitaillé le détachement Air : C’est ainsi par exemple que la salle d’ops de la Fillod du GAEL à Villacoublay a été dotée d’un superbe carrelage un temps stocké au Sahara, et que l’ordinaire de la BA 181 hérita d’une belle dotation de plateaux-inox de self-service tout neufs !
 Tout a une fin : le général de Gaulle décida le 14 juillet 1967 de fermer avant terme la base de Kébir, qui n’avait plus de stratégique que le nom, ne gardant encore quelques années que l’escale de Bou Sfer : il ne me restait plus qu’à organiser le repli, notamment de tout le matériel évacué de Béchar, le rattachement de la BA 181 à la 4e RA et à dissoudre mélancoliquement le dernier élément du commissariat de l’air en Afrique du Nord, le 29 février 1968, avant de rejoindre pour quelques mois la DRCA 2e R.A., histoire de vivre mai 68 in situ, puis un vrai commissariat de l’air à part entière, celui de Djibouti.

Non, à la réflexion, on ne saurait prétendre que cette Direction interarmées des commissariats et intendance de Mers el Kébir préfigurait le Service du commissariat des armées : son organisation reposait entièrement sur les structures préexistantes du commissariat de la Marine, qui n’a eu qu’à élargir son action  au soutien pratique des unités des autres armées, ces dernières conservant l’essentiel de leur administration propre.


Cre général (2S) Jean-Louis Barbaroux