Souvenirs d’OPEX en Italie

Par le commissaire colonel (ER) Yves Ferrié

M-2000 à Istrana

Les OPEX des commissaires de l’air, qui ont débuté en 1986 avec l’opération Épervier*, ont suivi le cours des opérations militaires de la France hors du territoire national, sur le continent africain dans le cadre d’accords bilatéraux mais aussi en coopération internationale, en Arabie Saoudite avec l’opération Daguet en 1990-91 et les années suivantes, en Turquie (surveillance nord de l’Irak), en ex-Yougoslavie et en Italie à partir de 1993, et enfin au Kirghizistan et en Afghanistan à compter de 2002.

Les séjours des commissaires de l’air en Italie dans les années 1990-2000 se déroulaient à Vicense (commandement tactique des forces aériennes de l'OTAN en Italie du Nord). Le commissaire général Françoise Latour a effectué un séjour à Naples (EM OTAN Europe du sud) en 2011-12**.

« Après l’effondrement du bloc soviétique, la Yougoslavie implose à son  tour au début des années 90, ravagée par une guerre civile entre les communautés croate, bosniaque et serbe. Pour mettre un terme à ce conflit fratricide au cœur de l’Europe, l’OTAN décide d’intervenir et de maintenir ensuite une force de stabilisation (SFOR). C’est dans ce cadre que j’ai été désigné en 1998 comme chef du détachement administratif et financier à Vicense (1), pour soutenir le personnel militaire français déployé en Italie pour les opérations aériennes, selon le dispositif suivant : 

Base de Vicenza

- A Naples, Le général adjoint France auprès du commandant des forces aériennes du sud de l’OTAN.

- En Vénétie, à Vicence (Vicenza), sur la base aérienne Dal Molin (2), un colonel PN adjoint du général, dont relevaient les officiers français intégrés dans le  Centre des Opérations Aériennes Combinées (CAOC) et le personnel de soutien dont le commissaire (50 personnes).  

- Enfin, à  Istrana près de Trévise, un détachement de 4 avions de chasse, Jaguar ou Mirage 2000 avec 35 officiers navigants et mécaniciens.

La fonction du commissaire était comparable à celle exercée sur une base aérienne, à l’exception de la restauration. En effet, le personnel prenait ses repas de service dans les mess italiens et dans les restaurants locaux le soir et les jours chômés.

L’hébergement était, au début, prévu dans des hôtels (Da Porto, Europa, qui existent encore). Mais l’addition étant relativement salée, l’état-major de l’armée de l’air souhaitait qu’une partie du  personnel soit transférée dans des appartements. Un de mes prédécesseurs avait déniché un immeuble entier avec une douzaine de logements (3) et une de mes tâches avait consisté à exécuter les travaux administratifs et matériels nécessaires au déménagement.

Napoli

La dispersion des sites et des zones de tension impliquait de fréquents déplacements avec le Nord 262 basé à Vicence. Les visites au général à Naples étaient l’occasion de débattre de la question métaphysique récurrente: le commissaire de l’air devait-il être affecté à Naples comme conseiller du général ou à Vicence en qualité de responsable de la gestion de proximité (4)? A Naples, le Vésuve faisait peser un risque sismique sur cette métropole de 4 millions d’habitants mais le danger immédiat venait de la circulation routière, où la fluidité devait l’emporter sur le respect des feux rouges.

Je profitais d’une visite au second CAOC de l’OTAN déployé près de Ferrare (5) pour découvrir cette ville méconnue et envoûtante où fut tourné "Le jardin des Finzi-Contini", chef d’œuvre de la littérature et du cinéma italiens, sur la fugacité de la vie et la fragilité du bonheur.

Sarajevo

Parfois, le commissaire accompagnait l’adjoint au général sur les théâtres d’opérations de Bosnie-Herzégovine, à Mostar et Sarajevo. En traversant cette ville martyre, marquée par le destin, j’ai pu voir la rue d’où, le 28 juin 1914, est partie la balle qui a tué dix millions de personnes en Europe (selon l’expression d’Albert-Londres).

Le rythme de travail (6 jours sur 7) laissait un peu de temps libre pour explorer les alentours et admirer le formidable patrimoine culturel de l’Italie du nord : Venise ; Padoue; Cortina d’Ampezzo perle des Dolomites, ville olympique en 1956 et à nouveau en 2026 ; Vérone, cité des légendaires amants de la tragédie de Shakespeare. Il parait que toucher la statue en bronze de Juliette assurerait l’amour éternel. La longue file d’attente et ma conviction que rien ne dure m’ont découragé de le faire (6). Mais il y en a qui s’y prennent très tôt.

Les fins d'après-midi de printemps sont particulièrement agréables dans les villes d’Italie où les habitants ont l’habitude de faire leur promenade. Les voix des passants résonnent encore dans ma tête. Mais que voulait donc dire ce fringant transalpin en croisant une jeune fille sur la place des seigneurs  de Vicence: "Sei la più bella ragazza que ho vista oggi" ? 

Comme on peut s’y attendre, à l'époque, ce détachement de quatre mois était attractif pour les commissaires. Néanmoins, il ne faut pas oublier que si cette OPEX avait pu être qualifiée d’idyllique par un de mes prédécesseurs, non loin de là, de l’autre côté de l’Adriatique, se déroulait un conflit meurtrier, dangereux pour nos avions et doublé d’une tragédie humanitaire sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale, et ce jusqu’en 24 février 2022 ! Encore aujourd’hui, le feu couve sous les braises dans les Balkans (7). »

* Si l’on exclut deux OPEX particulières : Chypre en 1956 et un commissaire de l’air casque blanc au Liban en 1984

** Voir notre article du 21 mai 2013 « Françoise Latour »

(1) Mon prédécesseur était Stéphane Piat (ECA 81) et mon successeur Catherine Bournizien (ECA 85)

(2) Dissoute en 2008 et transformée en caserne abritant la 173ème  brigade aéroportée US.

(3) 20 Contra Piancoli (visible sur Google Earth).

(4) Le général qui ne disposait que d’un sous-officier secrétaire et d’un militaire du rang chauffeur sur place, devait se sentir un peu seul, à plus de 700 km de la Vénétie. A Naples, quelle aurait pu être la fonction du commissaire, si ce n’est celle de majordome ?

(5) Aujourd’hui, le CAOC de Ferrare,  précisément situé à Poggio-Renatico, est seul opérationnel  en Italie.

(6) « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin » (Woody Allen)

(7) La crispation de la Serbie au moment de l’éclatement de la Yougoslavie aurait du nous alerter sur les risques d’une réaction brutale de la Russie après la dislocation de l’Union Soviétique.