Interview du lieutenant-colonel (R) Jean-Sébastien*
Vous vous qualifiez de « collectionneur de l’Air ». Quelle est l’origine de votre passion de collectionneur d’effets d’habillement et d’objets en lien avec l’aviation militaire française ?
Enfant, j’ai toujours aimé l’histoire de France, à l’école, avec ses images d’Epinal et ses récits militaires. J’ai oublié depuis longtemps, mais à 12 ans j’étais presque incollable en matière de couleur des retroussis ou de nombre de boutons de guêtres des tenues de l’armée Napoléonienne.
Pour ce qui concerne l’aviation militaire, je crois que tout a germé quelques années plus tard après la découverte, dans un grenier familial, d’une casquette et d’une paire de fourreaux d’épaule de commandant de l’armée de l’air, d’un veston en cuir réglementaire des années 30, de quelques médailles aux rubans jaune bordé de vert, ou bleu rayé de blanc, ou rouge, avec les diplômes les attribuant, des papiers jaunis, carnets de vol, lettres expédiées d’Afrique et un carton de photographies où, pêle-mêle, se côtoyaient des avions biplans, des avions « modernes », des avions du GLAM, des hommes en uniformes blancs, ou bleus, ou panachés, des uniformes américains ou anglais, des fortins sahariens, les rocailles du djebel druse, etc. Bref, quelques vestiges de mon grand-père, mécanicien d’aviation entre 1925 et 1952. Le premier fil conducteur de ma « collection » fût donc d’essayer de retrouver des objets ou pièces d’uniforme (et des informations) en lien avec le parcours militaire de mon grand-père.
Je me souviens aussi que, gamin, j’aimais passer des après-midis chez un oncle antiquaire, et je suppose que cette fréquentation a contribué à mon intérêt, et mon respect, pour les vieux objets.
Enfin, quand on passe quelques années au sein de l’armée de l’air, même à temps partiel, on est forcément imprégné par cet univers de symbolique, d’histoire et de traditions cultivé par les unités. Et puis on a parfois la chance de croiser un « moustachu » qui vous offre son insigne et, le temps d’un récit ou d’une anecdote, vous conforte dans l’envie de continuer.
Car derrière chaque objet du passé, il y a eu un homme ou une femme (que parfois, bonheur de la pièce « nominative », on peut identifier) et, toujours, une mémoire à préserver.
Y a-t-il eu des étapes pour arriver à l’importante collection d’aujourd’hui ?
Longtemps, avec les priorités de la vie professionnelle et familiale, ma « collection » n’a été constituée que de l’addition des quelques bricoles, quelques insignes - tiens, un casque colonial - trouvés au détour d’une brocante ou d’un vide-greniers. Il existait bien déjà quelques « bourses aux armes » auxquelles j’ai commencé, tardivement, à aller de temps en temps. Puis Internet et ses sites marchands ont fait leur apparition. Avec le temps, j’ai pu nouer quelques relations amicales avec d’autres collectionneurs. Et puis il y a mes camarades de l’armée de l’air qui connaissent ma passion et ont souvent le bon réflexe de me signaler un objet qui pourrait m’intéresser ou de venir vers moi avant de se débarrasser d’un vestige de leur passé militaire. Merci à eux !Et ensuite, c’est une question de temps libre car les découvertes et bonnes affaires sont souvent proportionnelles au temps qu’on peut consacrer aux recherches. Et c’est aussi une question de budget. Je crois que j’ai vraiment considéré ma collection comme mon loisir principal vers 2006, centenaire de la naissance de mon grand-père et début de mes vraies recherches à son sujet.
La limite à une telle collection, c’est la place ?
![]() |
Dans le style Guynemer |
Cependant, le manque de place est une limite mais aussi un garde-fou. Je me souviens de cette dérive d’un Potez 25-A2 dont le numéro était l’un de ceux inscrits sur les carnets de vol de mon grand-père (sept vols sur cet avion en 1934-1935) … C’était fin 2011. J’ai enchéri un peu … Et l’objet est finalement parti en Suisse. J’ai regretté. Mais quelle place lui aurais-je trouvé ? Et qu’en aurait pensé mon banquier ?! Car l’autre limite est évidemment financière. Tout objet a une valeur historique mais aussi une valeur commerciale, allant du coup de chance au prix sympathique à l’objet dument répertorié pouvant être assez cher, très cher et parfois, raisonnablement, trop cher pour moi.
Quelles ont été vos plus grandes surprises (les raretés, les bonnes affaires, les copies voire les faux) ?
J’ai dit tout à l’heure que les découvertes et bonnes affaires étaient souvent proportionnelles au temps qu’on peut y consacrer : quand on recherche sur Internet, on peut être très précis dans sa demande, les pages de résultats afficheront ce qui existe en ligne mais seront celles de vendeurs avertis. A l’inverse, balayer des pages « militaria » sans trop de précisions est long et fastidieux mais si la pièce rare s’y trouve, mal répertoriée, on a plus de chance d’être moins nombreux sur le coup.
Dans les brocantes et vide-greniers les bonnes affaires ne sont plus si fréquentes, d’autant que j’ai de plus en plus de mal à me lever aux aurores le dimanche ! Mais il suffit parfois d’une discussion avec un visiteur ou un exposant pour qu’il se souvienne avoir « quelques badges militaires dans une boite, si ça peut vous intéresser »… Et, parfois, on concrétise une entrevue, et ce peut être une bonne surprise.
J’ai eu des déceptions, bien sûr. Tantôt en étant trop raisonnable (et ratant un objet aux enchères à quelques euros de la limite que je m’étais fixé), tantôt en étant trop enthousiaste : lorsque dans un gros lot de photographies dont l’époque (1930) et le lieu (2ème escadrille d’A.O.F.) ne font pas de doute, vous remarquez une photo où apparait votre propre grand-père, vous êtes naturellement moins regardant sur le prix ! Mais malheureusement il n’y avait que cette seule photo le concernant (les autres datant du mois précédant son arrivée en Afrique).
Et bien sûr, il y a des bonnes surprises ! Puisque nous sommes à l’AMICAA, je prendrais un exemple qui concerne un commissaire, le général Robert Stiot, dont on connait le gros travail (inédit) sur « L’aéronautique militaire et l’armée de l’air, 1794-1954, dans son organisation et son évolution, ses uniformes, ses insignes, son équipement et son armement » et les planches qu’il avait réunies pour illustrer son ouvrage, peintes par lui-même, et par Hilpert et de Beaufort. Je connaissais l’existence de ces illustrations parce que certaines ont servi à illustrer quelques articles spécialisés et surtout parce que leurs reproductions ornaient les couloirs du défunt SETAMCA (puis SELOCA) à Brétigny jusqu’en 2006. J’y suis allé quelques fois, notamment pour visiter la belle collection de « modèles » de tenues qui y étaient exposés (1). Bref, j’étais persuadé que ces planches étaient (comme le manuscrit) détenues par le SHD. Vous imaginerez donc ma surprise quand, en septembre 2020, je tombe sur cette vente … belles gouaches aux couleurs fraiches … planches annotées au dos des quelques corrections à envisager … pas de doute c’était bien ça, j’avais devant moi les originaux !Sur la question des faux ou, a minima, des reproductions (lorsqu’elles sont annoncées comme telles) il y en aura toujours. Sans doute moins concernant l’aviation militaire française que sur d’autres thématiques plus internationalement prisées. A force d’expérience et de flair, on peut les éviter, ou négocier le prix du doute ; ou accepter une reproduction pour ce qu’elle est lorsqu’un original est hors de prix. Mais il arrivera toujours qu’on fasse une fausse bonne affaire !
Quel est votre objectif, à terme, pour mettre en valeur votre collection ?
J’ai évoqué le manque de place qui était un frein à la mise en valeur des objets. Et je pense qu’il arrive effectivement un moment où une collection doit être partagée, servir à informer et, quand le thème s’y prête, contribuer au devoir de mémoire.Dès que possible, un premier gros chantier m’attend : lorsque j’ai pu identifier (sommairement, dans la limite de mes propres sources et moyens) le nom d’un aviateur, pour rendre toute leur mémoire à ces objets, il faudra que je me tourne vers les archives du SHD ou d’ailleurs pour trouver des informations supplémentaires, un état des services, peut-être une photographie.
Car collectionner est une activité qui tient aussi du jeu de piste et de l’enquête policière ! Pour tout objet, il faut continuer à chercher le détail qui manque. (Par exemple, mesdames et messieurs les commissaires, quelqu’un saurait-il ce que signifie la lettre « P » sur ce gros tampon du commissariat de l’air ?)Un objectif, à terme, pour mettre en valeur ma collection ? Cela pourrait prendre plusieurs formes. J’ai déjà été sollicité pour prêter quelques objets et un ou deux mannequins pour une exposition municipale, mais c’est très contraignant en matière de transport, de sécurité, d’assurances … J’ai parfois imaginé trouver une salle, un hangar ou un couloir sur un site militaire pour mettre mon matériel à disposition et continuer à servir en contribuant à la préservation du patrimoine et au rayonnement d’une base ou d’une unité aérienne… Plus accessible, avec internet, je pourrais envisager la création d’un musée virtuel…
Enfin, mon ultime prétention pourrait être d’écrire un livre sur les tenues de l’armée de l’air pour poursuivre le travail du commissaire général Stiot et compiler ou compléter les quelques rares références qui existent sur ce sujet (2), dans la lignée d’un Bruno Chapelle, que je connais bien, dont l’ouvrage « Les ailes françaises sous l’uniforme 1912-1945 » sorti en 2004 est, à ce jour, l’étude illustrée la plus aboutie.*Breveté PMS en 1982, entré en service actif en décembre 1984, formation EOR, affecté sur la BA 122 de Chartres comme adjoint au commandant de l’escadron des services généraux puis comme adjoint de compagnie au centre d’instruction militaire en 1985-1986. Officier sous contrat (ORSA) en 1986-1987 spécialité « services administratifs », officier trésorier sur la BA 901 de Drachenbronn jusqu’en novembre 1987. Affecté de mobilisation sur la BA 921 de Taverny de 1988 à 1996 ; sous contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR) à la CABA 117 puis au COMILI Balard de 1997 à 2023 ; également actif au CAPIR (puis CIIRAA) de Paris depuis 1989.
(1) Transférées au musée de l’air et de l’espace, et certaines exposées dans le hall de la cocarde ; voir notre article de mars 2015 « Du SFCA au SELOCA - Le hall d'exposition des modèles à Brétigny (1978-2006) »
(2) Voir notre article du 1er septembre 2019 « L’uniforme et les tenues de l’armée de l’air - Une affaire de commissaires de l’air, aussi »