Quel a été votre parcours en tant que commissaire des armées ?
J’ai réussi les différentes formations et sélections permettant d’exercer ces fonctions [commissaire conseiller juridique opérationnel] à un moment où elles se développaient à la faveur du rythme opérationnel soutenu des années 2011 à 2022, de la guerre en Libye à la fin de l’opération Barkhane au Sahel. J’ai ainsi été conseiller juridique des opérations aériennes de l’armée de l’air, puis au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), qui est le cœur opérationnel des armées placé sous les ordres du chef d’état-major, et enfin du commandement des forces spéciales (COS) avant de rejoindre le bureau du droit des conflits armés de la direction des affaires juridiques du ministère.
Pourquoi avez-vous eu l’envie de partir vers le Conseil d'Etat ? Comment cette opportunité s’est-elle présentée ?
J’avais pour ma part réussi le concours de l’école de guerre et je souhaitais poursuivre ma carrière dans des fonctions juridiques. C’est à ce moment que le Conseil d’Etat a ouvert une possibilité de recrutement au titre de l’article L. 4139-2 du code de la défense. Il s’agit d’une passerelle qui permet notamment aux officiers d’intégrer la haute fonction publique. De nombreux commissaires ont pu l’emprunter par le passé et devenir ainsi membres de la Cour des Comptes ou encore intégrer l’Inspection générales des finances par exemple. Depuis 1981, une dizaine d’officiers ont ainsi pu intégrer le Conseil d’Etat par cette voie de recrutement et, par la suite, occuper des fonctions de premier plan au sein de la juridiction administrative en devenant par exemple président de cour administrative d’appel ou encore président de chambre au sein de la section du contentieux.
Comment s’est passée votre intégration au sein du Conseil d’Etat ?
Une reconversion constitue un changement professionnel et personnel important où l’enjeu est de s’intégrer dans un nouvel environnement. Au Conseil d’Etat, il s’agit de faire ses preuves dans les deux métiers de cette institution, en tant que juge tout d’abord, mais aussi en tant que conseiller juridique du gouvernement et donc rapporteur des projets de loi ou des décrets les plus importants. L’apprentissage se fait principalement par une forme de compagnonnage et, pendant mes premiers mois au Conseil, j’ai pu bénéficier de la formation et des conseils de collègues expérimentés désignés pour accompagner mes premiers pas. En deux ans, au fil des affaires contentieuses et des textes rapportés, la nature de ces fonctions permet d’acquérir des connaissances solides dans de multiples thématiques juridiques, par exemple dans des domaines aussi variés que le droit des étrangers, le droit de l’urbanisme ou encore le droit de la fonction publique.Quels sont selon vous les points communs entre le corps des commissaires et celui des membres du Conseil d’Etat ?
Il y a plusieurs points communs aux commissaires des armées et aux membres du Conseil d’Etat. J’en citerai trois.
Le premier est qu’il s’agit de fonctions qui s’inscrivent dans l’histoire de la construction institutionnelle de notre Etat. L’origine des commissaires des guerres remonte au XIVème siècle et le Conseil du roi, où, plus récemment, le Conseil d’Etat napoléonien préfigurent l’actuel Conseil d’Etat. Pour l’anecdote, Stendhal a par exemple été commissaire des guerres de la grande armée puis auditeur au Conseil d’Etat. Il s’agit ainsi d’organisations et de fonctions qui renvoient à l’histoire et à l’identité tant de l’administration civile et militaire que de la justice de notre pays.
Le deuxième point commun est le respect du droit. Le Conseil d’Etat assure le respect de l’Etat de droit, c’est-à-dire que le droit a le dernier mot dans toutes les décisions publiques. Il n’y a pas de république démocratique sans Etat de droit. Le rôle du commissaire n’est pas différent au sein des armées, il s’assure du respect du droit dans les décisions militaires et son rôle est la garantie de la présence d’une administration pour encadrer des activités où la force sera employée, et ce en toutes circonstances. Il n’y a pas d’armée moderne sans administration militaire.
Le troisième et dernier point commun est lié à une aptitude professionnelle : aimer écrire. Au Conseil d’Etat, il s’agit d’une aptitude cardinale dans la mesure où le produit final du travail tient à élaborer une décision de justice ou bien un projet de texte législatif ou règlementaire.
Vous étiez conseiller juridique opérationnel et vous avez été projeté de nombreuses fois, le côté opérationnel du métier de commissaire ne vous manque-t-il pas ?
La participation à des opérations militaires est une expérience unique ; elle donne un sens fort à l’engagement au service de l’Etat et place dans des positions de responsabilité qui n’ont que peu d’équivalent dans la vie civile. Participer à une opération, c’est affronter tous les jours des choix difficiles. Par exemple, en tant que conseiller juridique opérationnel, j’examinais la légalité des frappes aériennes planifiées en situation de conflit armé.Il y a cependant dans une carrière un temps pour tout. L’important, à mon avis, est de travailler sur des sujets liés à des enjeux majeurs, porteurs de sens et attachés à la consolidation et à la protection de notre nation. Les fonctions de membre du Conseil d’Etat sont axées sur la capacité à décider, à trancher les litiges ou encore les questions de droits soulevées par un projet de texte soumis à examen. Il s’agit ainsi, sous cet aspect, de fonctions concrètes et opérationnelles.
Comment votre expérience de l’armée, et de commissaire, pourra vous être utile pour votre « nouvelle carrière » ?
Les membres du Conseil d’Etat ont des profils variés, par exemple certains d’entre eux ont pu être professeurs d’université, juges judiciaires, préfets, ingénieurs, ambassadeurs…. La diversité des expériences est l’une des caractéristiques du recrutement dans cette institution. En effet, la diversité permet d’éviter l’un des biais notoires du processus de prise de décision : si vous posez une même question à des personnes qui ont le même parcours, elles vous donneront la même réponse, à quelques variantes d’usage près. Cette diversité est essentielle pour éviter cette situation, dans la mesure où les discussions et délibérations sont collégiales. De ce point de vue, mon expérience militaire – et notamment opérationnelle, s’inscrit dans la diversité des parcours qui singularise cette institution.
(1) « Du commissariat de l’air au Conseil d’Etat » 25 avril 2017 Anne Egerszegi (ECA90)
(2) Texte complet sur Linkedin/Commissaires des armées
Crédit photo : JB Eyguesier/Conseil d’Etat