dimanche 10 novembre 2024

La fascination du désert

Deux commissaires de l’air ont écrit sur le Sahara, au siècle dernier. Le commissaire général Serge Habert, qui a vécu dans ces contrées désertiques au début de sa carrière militaire en tant qu’officier des compagnies sahariennes, avant de rejoindre l’intendance de l’air en 1941*, et le commissaire général Marc-Robert Thomas (ECA 53), qui y a consacré sa thèse de doctorat de droit en 1958, laquelle sera éditée en 1960 sous le titre « Sahara et Communauté » (aux éditions des Presses universitaires de France).

Pourquoi une thèse sur le Sahara ? La fille du commissaire général Thomas nous livre une clé de compréhension : «
DR
Mon père a passé une grande partie de son enfance au Maroc, où son père, lui-même officier et passant pour parler couramment arabe, a eu beaucoup d’affectations dans des compagnies coloniales, principalement au Maroc mais aussi en Syrie. La fascination du désert est sûrement en grande partie un héritage et probablement l’une des raisons du sujet de sa thèse.
»

La dédicace confirme ce propos : « À mon père, en souvenir de la pacification. À tous ceux qui ont vécu ou qui sont morts pour que le Sahara ne soit plus le pays de la soif et de la peur. »

Avant-propos du livre

L’avant-propos de Jacques Soustelle (ci-contre), alors ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des affaires sahariennes, donne le ton du livre, écrit il y a plus de 60 ans, à une période charnière de l’histoire nationale.

« La grande mutation dont le Sahara est depuis quelques années l'objet et en même temps le théâtre est, non seulement pour notre pays, mais aussi pour l'ensemble français et, je crois, pour l'Europe elle-même, un fait capital. Je l'ai dit souvent déjà. On ne le redira jamais assez. Car, si les perspectives économiques qu'ouvre ce fait sont aujourd'hui en gros connues et comprises par l'opinion publique - tout le monde en effet comprend ce que représente le pétrole du Sahara - il est moins certain que celle-ci ait acquis la juste vue de ce que la mise en valeur des richesses sahariennes peut et doit permettre à des plans très divers. 

A la connaissance exacte de ce qu'est le Sahara, de ce que nous y faisons, des objectifs qui y sont les nôtres et, pourquoi le taire, des difficultés que nous y avons rencontrées ou que nous y rencontrons encore, cet ouvrage de M. Marc-Robert Thomas apporte une contribution aussi solide qu'opportune. Son auteur avait soutenu brillamment devant la faculté de droit d'Aix-en-Provence, en décembre 1958, une thèse de doctorat consacrée au Sahara français. C'est cette thèse, dont le texte a été allégé sur certains points, complété sur d'autres et mis à jour sur tous - car tout continue à aller très vite au Sahara - qui forme la substance de ce livre aujourd'hui accessible à un public non spécialisé. 

Sur le Sahara en soi - son passé lointain et proche, son statut de droit international public, sa géographie physique et humaine, son économie (ressources, infrastructure, organisation), ses nouvelles structures politiques et administratives - on trouvera dans les chapitres qui suivent réponse à toutes les questions importantes; et souvent un aiguillon pour poursuivre auprès des spécialistes la satisfaction plus complète des curiosités que l'auteur aura éveillées. Un des mérites particuliers de M. Marc-Robert Thomas, comme le titre de son livre en témoigne, est de nous montrer ce Sahara dans les perspectives d'un dépassement, en situant ses problèmes et son avenir dans le cadre de la Communauté ... Le Sahara, lien entre l'Afrique du Nord et l'Afrique noire, « plaque d'assemblage » à la fois des deux vastes ensembles africain et eurafricain - c'est là à mes yeux une virtualité, sinon déjà une réalité, dont j'ai parlé à trop de reprises pour que je ne me réjouisse pas de la voir ici - et ainsi - reconnue. 

Sans entrer dans le détail, je noterai seulement à cet égard qu'au niveau où M. Thomas établit sa démonstration, la raison d'être et la mission de l'Organisation commune des régions sahariennes, l'une et l'autre si originales mais encore trop peu connues de l'opinion, se trouvent parfaitement éclairées. 

Je veux dire encore ceci, qu'après la thèse de doctorat qui l'a précédé, on doive ce livre sérieux, intelligent et discrètement fervent sous la rigueur juridique de son architecture, à un jeune officier qui, de la façon la plus désintéressée, en a conçu le dessein et en a rassemblé patiemment la matière, voilà qui me paraît doublement significatif. 

DR
Sans doute le capitaine Thomas, commissaire de l'air, lui-même fils d'officier saharien, a-t-il été, par sa jeunesse marocaine et par l'imprégnation familiale, particulièrement préparé à éprouver les sortilèges du désert. Le fait est, qu'appelé par ses fonctions à un long séjour et à de fréquents déplacements au Sahara, il ne s'est pas contenté d'en subir et d'en accepter comme tant d'autres l'attrait. Il a approfondi ses multiples, ses dures réalités, rattaché le présent au passé, et dans le présent su discerner les magnifiques promesses de l'avenir. Ayant pris conscience des problèmes et des possibilités du Sahara, il s'est attaché à servir le Sahara en faisant partager sa connaissance des premiers, sa certitude des secondes. Il eût plu, je crois, à un Lyautey, à qui il faut bien toujours revenir quand il s'agit de faire œuvre positive en pays d'outre-mer, et spécialement en terre africaine, de saluer cet acte de soldat lettré, qui, à ce titre, s'inscrit d'ailleurs dans une vieille et haute tradition française.

Je vois, d'autre part, dans l'ouvrage de Marc-Robert Thomas un signe de tout ce qu'il peut y avoir de fécond, à cause même, peut-être, de ces différences où certains croient voir des antinomies, dans les rencontres de l'armée et de l'université. Car, sous des étiquettes diverses, qui ne font que rendre compte de la diversité des disciplines et des actions, il n'y a qu'une France et qu'une humanité, au salut desquelles toutes nos forces vives doivent s'employer - et à vrai dire sont aujourd'hui engagées sans retour. Que le Sahara soit l'occasion d'une de ces rencontres, cela aussi porte une grande espérance. 

En félicitant très cordialement son auteur, le ministre chargé des Affaires Sahariennes souhaite à ce beau et bon livre la large audience qu'il mérite. » (15 janvier 1960. Jacques Soustelle, ministre délégué auprès du Premier ministre)

Préface du livre

La préface du doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques d'Aix-en- Provence apporte un éclairage plus personnel sur l’auteur, qu’il connait bien, et sur sa recherche.

«À une époque où la pente des choses tend à faire sortir les militaires de leur caserne, à les fondre dans la Cité, où le problème est moins de les séparer des civils que de les intégrer dans les organes de l'État, était-il quelqu'un de mieux qualifié qu'un commissaire de l'air pour jeter un pont doctrinal entre l'université et l'armée ? 

Je te salue, commissaire de l'Air, juriste et soldat à la fois, personnage d'épée et de robe, formé par la faculté de droit et passé par l'école militaire; et je te salue plus particulièrement, toi jeune capitaine Thomas que j'ai connu élève assidu et travailleur, sur les bancs de notre Institut d'études politiques, toi que de longs mois de garnisons africaines n'ont pu arracher au souvenir de nos pierres dorées et de nos platanes grecs, et qui as su retrouver le chemin de notre faculté pour y achever ta thèse de doctorat. Le grand public lira avec passion ce livre sur le Sahara, clair et charpenté, assis sur une documentation précise, vivant et non livresque, l'auteur sachant de quoi il parle, ayant parcouru le désert et fils lui-même d'un Saharien. Comme moi, le lecteur sera saisi par la tonalité dynamique de l'ouvrage, par son optimisme, par la confiance exaltante qu'il professe dans le génie de la patrie républicaine, apte à remplir les tâches les plus élevées. […] Légiste, le capitaine Thomas en révèle tous les talents quand il décrit l'organisation politique et administrative saharienne, ou encore dans son analyse du statut international du Sahara. 

Le capitaine Thomas me touche davantage quand il nous entraîne sur l'autre sentier qui mène à la justice, le sentier non plus juridique mais politique, le sentier non plus de droit mais de l'équité. Ici les considérations historiques, géographiques, démographiques, économiques, militaires, qui ressortissent à la formation du soldat moderne, se pressent familièrement sous la plume de I'auteur. […] »

Michel-Henry Fabre, Doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques d'Aix-en-Provence, 1960.

*Article « Le commissaire général Serge Habert » octobre 2017 (moteur de recherche, inscrire : habert)