Fin 1978, le magazine Air Actualités interviewe le commissaire général Louet, directeur central du commissariat de l’air.
Air Actualités: Que recouvrent exactement les termes de "moralisation" et de "rationalisation" de la politique d'alimentation de l'armée de l'air appliquée depuis 1976 ?
Commissaire général Louet: La moralisation du système revêt trois aspects : l’aspect humain, les prestations servies et l'aspect financier.
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Le deuxième aspect est bien sûr l'instauration du menu commun ; il était absolument anormal, voire amoral, que le 2è classe soit traité différemment, pour les repas de service, du capitaine ou du général. Sur les bases aériennes, avec le menu commun, chacun reçoit désormais exactement les mêmes prestations alimentaires et c'est beaucoup mieux ainsi.
Enfin, le troisième volet de cette moralisation est son aspect financier: il était nécessaire de briser certaines habitudes acquises, découlant du système d'approvisionnement antérieur. Maintenant, les directeurs régionaux passent des marchés avec les fournisseurs locaux ou régionaux qui offrent toutes les garanties souhaitables, tant sur le plan financier que sur le plan de la qualité des produits. Cette liste de fournisseurs a été soigneusement étudiée, le service des fraudes a été consulté, ainsi que les grandes sociétés d'alimentation et le marché de Rungis, pour s'assurer des prix pratiqués. Nous disposons maintenant de deux fournisseurs par base pour chaque produit alimentaire. Par rapport à un prix fixé par la direction régionale, par exemple pour un kilo de viande de 1ère qualité, c'est le fournisseur qui consent le rabais le plus important qui emporte le marché.
Ce nouveau système a permis non seulement le respect des normes qualitatives de ces produits, qui sont sévèrement contrôlés, en particulier par le service des fraudes une fois par mois sur chaque base, mais aussi la réalisation d'économies sérieuses.
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Air Actualités: Lors de l'instauration du nouveau système, on a parlé de "borelisation"(1) de l'alimentation de l'armée de l'air. Qu'en est-il exactement?
Vous le savez, lorsque l'on veut réorganiser totalement un système, en fonction d'objectifs qui nous avaient été fixés par le général Saint-Cricq, il est toujours assez difficile, a priori, de trouver une solution optimale. Dans ce domaine, trois possibilités étaient envisageables : l'abonnement à des centrales d'achats d'envergure nationale, la sous-traitance pure et simple de la restauration de l'armée de l'air à des sociétés privées, ou l'assistance technique.
Nous avons donc décidé d'effectuer deux sortes d'études, l'une tendant à montrer les conséquences de la sous-traitance et l'autre les possibilités offertes par les centrales d'achats, qui nous auraient fourni toutes les denrées alimentaires.
Lorsque j'étais directeur régional du commissariat à Metz, quatre études ont donc été menées sur les bases de Dijon, Strasbourg, Toul et Nancy, avec le concours de deux sociétés privées, la SODEXO et la Générale de Restauration, sur les quatre sociétés sollicitées à l'origine : les bases de Toul et Nancy devant expérimenter le système de l'abonnement; Dijon et Strasbourg devant être en sous-traitance.
Nous nous sommes rendu compte que le système de la sous-traitance - pour être possible - nous obligeait à placer des militaires sous les ordres de civils, dépendant de ces sociétés à vocation commerciale, ce qui ne pouvait être réalisé. Mais avant même que l'expérience n’ait été tentée - ce n'était qu'une étude - la presse a parlé de "borelisation", ce qui s'avérait faux.
En ce qui concerne le système de l'abonnement, il n'a en définitive pas été retenu, le ministre de la défense ainsi que certains parlementaires souhaitant que soit maintenu le principe de l'approvisionnement au niveau local ou régional.
Le système de l'assistance technique, fourni par des sociétés privées spécialisées a donc été finalement adopté. Avec seulement deux spécialistes civils sur chaque base, l'assistance technique pouvait fonctionner de façon efficace. Le général Saint-Cricq ayant donné son accord, ce système fut mis en place à Reims en juillet 1977, à Toul, Nancy, Dijon, Strasbourg en octobre 1977. Aujourd'hui, toutes les bases de la F.A.TAC -1ère RA sauf une, ainsi que la plupart des bases des autres régions aériennes, bénéficient de l'assistance technique.Ce nouveau système, que recouvre-t-il ? Les modalités des contrats passés avec ces sociétés sont claires: les spécialistes civils sur chaque base ont un rôle de conseil pour toutes les questions concernant l'organisation du travail, le choix du matériel, le recrutement du personnel et l'enseignement qu'il doit recevoir, l’élaboration des menus, les problèmes de diététique et d'hygiène, etc.
Mais, et j'insiste sur ce point, aucune prérogative n'est enlevée aux gérants des mess qui gardent l'entière responsabilité des décisions à prendre.
Air Actualités: Toul Rosières, base pilote pour la distribution en scramble ou bien expérience originale sans lendemain?
Ni l'une, ni l'autre; le système de l'assistance technique se caractérise par sa souplesse, et la base de Toul n'en est qu'un exemple; exemple intéressant, bien sûr, puisqu'il associe à l'application réussie de cette politique une infrastructure originale, qui a d'ailleurs été adoptée par les bases de Reims et de Nancy pour le mess des sous -officiers. Mais ce nouveau type de "self-service" ne peut être installé que dans des locaux suffisamment vastes pour le recevoir, lors d'opérations de rénovation.
D'une façon générale, on peut affirmer que cette politique d'appel à des sociétés spécialisées extérieures est un succès. Sur les 12 grandes bases aériennes de la F.A.TAC- 1ère R. A., par exemple, nous n'avons pas connu d'échec; l'assistance technique nous a même aidés lors de l'élaboration du self-service scramble de la base de Toul.
Air Actualités: Pour ces opérations de rénovation, de quels moyens financiers disposez-vous ?
Cette politique de rénovation est financée par les crédits normaux d'infrastructure de l'armée de l'air, et c'est le chef d'état-major de l'armée de l'air qui détermine les priorités.
Nous disposons de crédits réservés pour ce type d'opérations: environ 10 MF par an pour la rénovation des installations de restauration. Pour le matériel dépendant du commissariat de l’air, l'enveloppe est du même ordre. Une opération comme celle de Toul a coûté, au niveau régional, 0,4 MF pour le commissariat de l’air et 0,4 MF pour l'infrastructure régionale. A Reims, la construction du mess des sous-officiers, qui est beaucoup plus important, a coûté 10 MF, car il faut tenir compte des dépenses induites. Par exemple, l'installation de chambres froides à grande capacité rend nécessaire une augmentation du potentiel électrique sur chaque base.
On ne peut malheureusement pas "pousser les murs" et il faut attendre la construction de nouveaux locaux pour voir se réaliser le schéma type idéal: une cuisine unique au centre, donnant sur des mess différents à la périphérie.
Air Actualités : Le calendrier prévu, de 1976 à 1980, va-t-il être respecté ?
Au niveau régional et au niveau local, il a été respecté. Au niveau central, il existe un léger décalage par rapport aux prévisions d'exécution. Mais il faut noter l'existence d’une bonne coordination entre les différents services de la direction de l’infrastructure de l’air et de la D. C. C. A, et ceci à tous les niveaux: sur les bases entre le service local constructeur, le commandant de base et le commissaire; au niveau régional, entre le directeur régional, le responsable de l'infrastructure régionale et le général commandant la région; au niveau central enfin, entre le chef d'état-major, le directeur de l'infrastructure et moi-même. Le commissariat de l'air a été désigné par le chef d'état-major pour être le coordinateur de l'ensemble de ces opérations.
Air Actualités: Alors, à quand la disparition effective des appelés aux cuisines?
A compter du 1er janvier 1979, il n'y aura plus aucun appelé non spécialiste dans les cuisines et les mess officiers et sous-officiers. Pour les mess hommes du rang, notre politique est d'arriver à n'employer que des professionnels et je pense que, fin 1980, il n'y aura plus d'appelés non spécialistes dans les cuisines.
(1) de Jacques Borel, président de la Générale de Restauration, lointain ancêtre du groupe Accor