Allocution du commissaire général Vincent
« Je vais faire l'inverse de ce que tu voulais, c'est à dire parler de toi et le faire simplement parce que trop de souvenirs et de moments partagés m'y poussent naturellement et surtout affectivement.
Et je le ferai avec les mots, les expressions et les intonations qui ont toujours été les nôtres.
Tu prenais un malin plaisir à me dire que dans le Commissariat de l'Air, il y avait alternance entre les bons et les mauvais directeurs.
A la lecture des commentaires élogieux émis à ton sujet, surtout depuis l'annonce de ton décès, je suis obligé de reconnaître - mais je le savais depuis longtemps - que tu faisais manifestement partie de la première catégorie, c'est à dire des bons. Je t'ai succédé à deux reprises. Tu peux comprendre la crainte qui était la mienne...
Nous avons fait connaissance pendant les épreuves sportives - le sport déjà ! - du concours d'entrée à l'Ecole du Commissariat de l'Air et depuis nous sommes restés très proches. Notre cursus universitaire était similaire : licence en droit, 4 ans à l'époque, diplôme d'Institut d'études politiques - c'est Sciences Po pour Paris dont on parle beaucoup à l'heure actuelle -,toi à Toulouse, moi à Grenoble.
Notre carrière militaire fut comparable, avec des postes en province, à Paris ou hors de France, le passage par l'Ecole de guerre, l'affectation en cabinet, celui du ministre de la Défense pour toi, du chef d'état-major de l'Armée de l'Air pour moi et enfin l'un et l'autre à la Direction du Commissariat de la 3ème Région aérienne, devenue Atlantique, à Bordeaux, puis à la Direction centrale du Commissariat de l'Air à Paris.Mais à l'image du petit cheval blanc, si bien chanté par Georges Brassens,....j'étais derrière et toi devant.....Déjà, à l'entrée à l'ECA, tu étais devant moi, à la sortie aussi, mais comme tu étais le major de promotion, il n'était pas possible de te dépasser !!
Ce fut pareil par la suite. Mais être de la même promotion et se suivre dans les mêmes postes de responsabilité sans animosité ni jalousie est suffisamment rare pour être souligné....tant il est vrai que l'on succède à des incapables et que l'on est remplacé par des imbéciles...ou l'inverse ...!!!
Et c'est encore dans le même ordre qu'après plus de 30 ans de service, nous avons été démasqués et contraints de rejoindre la deuxième section des officiers généraux. Pour ceux qui s'interrogeraient sur le terme, cela équivaut à la retraite mais, dans le statut militaire, la "retraite" était principalement réservée aux généraux qui avaient fauté vis à vis du pouvoir en place, tel le quarteron célèbre de l'époque gaullienne.Même en dehors de l'Armée, tu as été un précurseur. Militant anti éolien de la première heure, et avec raison, tu avais réussi à me convaincre de ne pas suivre aveuglément la doxa - comme on dit maintenant - dominante.....
Une seule exception toutefois : je me suis marié avant toi....mais tu étais mon témoin.
Encore aujourd'hui tu me précèdes mais c'est, malheureusement, a priori, la dernière étape.
Et quand on dit étape, on pense cyclisme et donc sport. Et le sport a été l'une des grandes composantes de ton existence.
Tu en as pratiqué un grand nombre. On en a fait certains ensemble. Mais c'était le football qui avait de loin ta préférence. International universitaire, tu as fait partie de l'équipe de foot de l'Ecole de l'Air, championne du tournoi des Grandes Ecoles en 1963.Tu as persévéré et continué de jouer en équipe encore longtemps après ta sortie de Salon.
Moins physiquement mais avec autant de caractère et de détermination, tu as été président de l'ASCAIR, l'Association sportive et culturelle de l'Armée de l'Air qui organisait les 20 km de Paris, et surtout président - mais un président élu, ce qui était ta grande fierté - de la Fédération des clubs sportifs et artistiques de la Défense, c'est à dire, excusez du peu, 400 clubs et 200 000 adhérents. Tu en défendis la candidature avec succès devant le Comité national olympique et sportif français. C'est d'ailleurs le président de ce comité, monsieur Nelson Paillou, que tu admirais, qui t’a remis en personne la médaille d'or de la jeunesse et des sports, ce qui était ton autre grande fierté.Et puis tu es devenu adjoint finances au maire de Mazamet. C'est alors que tu m'as dit : "ça c'est vraiment du sport " !!.
Sur la durée de l'amitié dans une vie, certains ont mis le chiffre de 30 ans comme référence absolue.....Petits joueurs !!! La nôtre aura duré 62 ans sans trahison et sans faille quelles que soient les circonstances. Nos échanges en public ou au téléphone, agrémentés de "mon petit lapin", ou "mon gros loup", c'était selon, en ont surpris plus d'un quand nous nous interpellions ainsi, surtout en uniforme.
Tu viens de mettre un terme à cette complicité exceptionnelle. Ton parcours a été exemplaire et ta vie très riche.
Pierre, repose en paix. Violette est tout à côté."