vendredi 1 mars 2024

Au Piège, ça planait pour moi

Par le commissaire général (2S) Jacques François

Partie 1

En intégrant Le Piège en 1983, je suis déjà un vélivole expérimenté, avec plus de 1000 heures de vol, étant instructeur et ayant tâté de la compétition. J’ai fait mon service national en 1982 au sein de la SAVV type III (1) de la BA 721 Rochefort. Cette excellente année passée dans l’Armée de l’air m’a conforté dans mon idée de tenter le concours de l’Ecole du commissariat de l’air (ECA), si j’obtiens le diplôme nécessaire. 

Les deux obstacles sont franchis en juillet 1983, mais je n’ai aucune idée de ce qui m’attend quand je passe le poste de police de la BA 701, début septembre  1983. J’espère en tout cas pouvoir faire un peu de vol à voile durant ma scolarité. C’est peu de dire que je ne serai pas déçu !

L’aptitude médicale

Priorité une, l’aptitude médicale. Le médecin des élèves n’est pas vraiment un boute-en-train. Il m’annonce que le test de vision que je viens d’effectuer me classe Y4, donc inapte. C’est la cata… Je lui explique que je volais pendant mon service, j’étais Y3 et avais fait 500 heures de vol sur aéronefs militaires, mais rien n’y fait. Il accepte en revanche une contre-expertise. L’ophtalmologue qui m’examine à l’hôpital Laveran m’indique d’un air lugubre que je suis à la limite entre Y3 et Y4, mais plutôt Y4. Ça part mal… Mais un large sourire illumine son visage : « Mais faut quand même pas être bourrin, c’est pas un Mirage que vous allez piloter et vous êtes expérimenté, donc Y3 ! ». Ouf !

Retour devant le médecin des élèves, pour une consultation curieuse, puisque aucun mot ne sera échangé : salut réglementaire, je lui donne mon compte-rendu de visite, il me fait le certificat d’aptitude, salut, demi-tour réglementaire. Nous nous croiserons une vingtaine d’années plus tard dans le cadre du travail, mais aucun n’abordera cet épisode. Et ce n’est bien sûr que bien plus tard qu’il me reviendra en mémoire que le Y3 de mon service devait beaucoup au caractère compréhensif du médecin du contingent vu pendant les 3 jours.

Instructeur à la SIVEA

Début octobre, je me retrouve à la SIVEA (2) avec les élèves ayant opté pour le vol à voile comme « sport section ». Très bon accueil. Ils ont été renseignés sur mon compte par la section de Rochefort. Ça ne traîne pas : test en vol de 30 minutes en place avant du WA30 Bijave, puis place arrière dans la foulée, pour faire voler cinq débutants EA et EMA. 

A Salon, on pilote des planeurs, mais on ne fait pas vraiment de vol à voile, l’aérologie et le peu d’espace aérien disponible ne s’y prêtant guère. Mais le parc hétéroclite de la SIVEA me permet d’inscrire sur mon carnet de vols plusieurs nouveaux planeurs, dont certains peu courants. Et j’aurai toujours plaisir à faire de la formation au profit de camarades. Mais je n’aurai malheureusement jamais l’occasion de faire voler de commissaires. Ceux de ma promo ne sont pas forcément tous attirés par les activités aéronautiques, et le décès de trois d’entre nous - Jean-Louis Boué, Michel Chaussebourg et Mireille Coltin - dans l’accident d’un Mousquetaire en novembre 1983 n’arrange pas les choses.

Remorqueur DR140R Abeille
Les cadres de la SIVEA se mettent en tête de faire de moi un pilote remorqueur. Je leur fais remarquer que je n’ai pas le brevet de pilote privé. Qu’à cela ne tienne, ils me font faire une progression moteur, que je suivrai de façon trop épisodique. Pour tout dire, je ne suis guère motivé. Le pilotage en lui-même ne me passionne guère, c’est ce que l’on peut faire avec un planeur qui m’intéresse. Et j’ai toujours en tête qu’un monomoteur, si le moteur s’arrête, ça ne doit pas planer super…

Un appel téléphonique miraculeux

En mars 1984, alors que je suis en pause entre 2 cours, Mme Rebuffel, l’irremplaçable secrétaire de l’ECA, vient me chercher pour un appel téléphonique. C’est le capitaine Couture, second du CVA, le centre de vol à voile de perfectionnement de l’Armée de l’air à Romorantin. La conversation ne dépasse pas les deux minutes, et j’ai du mal à en placer une : « C’est bien toi qui as fait le concours de Chérence l’an dernier ? – Oui – Tu ne vas pas pouvoir te libérer pour le championnat de France en juillet ? – Sûrement pas – Mais tu peux faire Bailleau en août, tu dois bien connaître la région, tu volais à Chartres ? – Bien sûr ! – Un ASW20F, c’est OK ? – Ah ben oui !! – Parfait, on se recontacte. - Merci mon capitaine !!! ». 

Une compétition réputée, sur mon terrain de jeu favori, avec un planeur au top. Je suis sur un nuage et n’ai guère dû prêter d’attention au cours suivant. C’est la découverte pour moi de cette grande famille du vol à voile militaire. J’avais fait ma première compétition au mois d’août précédent mon incorpo, avec un résultat fort correct pour un débutant. Lors du pot après la remise des prix, j’avais discuté avec le directeur de la compétition, Michel Tourniaire (EMA 51 - Mouchotte), chef pilote du club local et général en 2ème section. Apprenant que j’allai bientôt rejoindre le Piège, il a averti Jean Vuillemot (EA 53 - Brunschwig), général bien connu de tous les vélivoles pour sa traversée continent-Corse en Nimbus 2 et pour le « classement Vuillemot»(3). Responsable du vol à voile militaire, celui-ci avait mis le CVA sur ma piste.

Le colonel et l’aspi aux manettes

Lors de la semaine de permission d’avril 1984, poussins et autres élèves s’égayent un peu partout, sauf les vélivoles les plus motivés, qui vont en stage à Vinon-sur-Verdon. A côté d’un des plus gros clubs de France, l’Ecole de l’air y possède un hangar et, pour le logement et la restauration, une baraque Fillod. Excellente ambiance. J’y fais 35 heures de vol en une semaine, moitié instruction, moitié monoplace.

Un nouveau chef du groupement d’instruction de l’école de l’air vient d’être affecté. Il vient nous visiter et n’a jamais volé en planeur. Ça ne manque pas d’instructeurs, mais c’est pourtant moi que l’encadrement désigne pour lui faire découvrir le vol sans moteur. Sans doute pour voir qui est le plus surpris, du colonel ou de l’aspirant. Nous volons sur un biplace français en côte-à-côte, ce qui est sympa, mais vraiment peu manœuvrant, ce qui expliquera son échec commercial. Après le largage dans une ascendance (4) faiblarde, mon « élève », en bon chasseur, ne quitte pas des yeux le planeur le plus proche. Mais des planeurs, il y en a au moins dix dans la pompe et le badin est parfois un peu comateux. J’interviens avec tact. Les conditions aérologiques s’améliorent et nous faisons un vol intéressant en nous éloignant du terrain. En tout cas, le colonel semble ravi.

De retour à Salon, je suis un après-midi sommé d’être dans l’heure dans son bureau, en combinaison de vol. Je me retrouve peu après en place avant d’un Alphajet de la PAF. Il me passe les commandes à dix centimètres du sol, me fait remonter la vallée du Rhône, puis reprend les manettes et break à l’est vers les Alpes, ou plutôt dans les Alpes. On ne frôle pas les reliefs d’aussi près qu’en planeur, mais ça pousse un peu plus. Arrivé sur un axe voltige de la PAF, il passe une boucle et me propose d’en faire autant, mais je capitule : voltige et accélérations, ce ne sera jamais mon truc.

Bien des années plus tard, en permission dans la maison de campagne familiale en Argonne, je tombe dans l’Est Républicain sur une interview du commandant de la Force aérienne de combat (FAC) à l’occasion de son adieu aux armes. Questionné sur ses activités à venir en tant que « retraité », il mentionne, entre autres choses, la forte envie de se mettre au vol à voile. Il s’agit bien sûr du colonel précité, mais je ne sais pas s’il a concrétisé son idée.

Suite au prochain numéro, où l’on verra notre commissaire aspirant vivre de nouvelles aventures, absolument incroyables! En vente la semaine prochaine dans tous les bons kiosques numériques.


(1) Section air de vol à voile implantée sur une base aérienne avec du personnel et du matériel de l’Armée de l’air.

(2) Section d’initiation au vol de l’Ecole de l’air.

(3)   Sorte de classement ATP des vélivoles français qu’il a créé en 1982.

(4) Ascendance, thermique ou « pompe » : courant ascendant d’air chaud permettant aux planeurs de gagner de l’altitude.