vendredi 12 janvier 2024

La base aérienne en 1973 : une société cloisonnée ?

Par le commissaire général René Vachot†

En 1973, la revue des anciens élèves de l’école de l’air (le Piège n°52), diffusait un article du commissaire commandant René Vachot (ECA 59), portant sur l’organisation et le fonctionnement d’une base aérienne au regard des « nouvelles attentes » supposées des différents personnels, notamment les appelés du contingent, identifiées il y a 50 ans… et qui sont toujours très actuelles. « Ainsi naît actuellement une nouvelle génération qui, dépassant les notions quantitatives de bien-être, se montre davantage attachée à la qualité de la vie et à la prise en main, par elle-même, de son propre destin. »

S’agissant des jeunes sous-officiers et des appelés, l’auteur note que « l'élévation générale du niveau de vie, les progrès de l'instruction, le sentiment de l'influence qu'ils ont prise dans la vie nationale  modifient leurs comportements. Plus critiques et plus exigeants ils marquent davantage de réticence que par le passé à ce qui leur paraît être purement et simplement octroyé. »

Centrant sa réflexion sur l’organisation de la zone-vie de la base aérienne, l’auteur s’interroge sur son adaptation aux nouvelles préoccupations des personnels, notamment en matière d’information juridique, de promotion sociale, de sports ou d'organisation des loisirs. « Il s’agit d'évaluer de la façon la plus concrète, en fonction des nouvelles données psychologiques, comment se présentent les structures d'accueil, quelle a été leur évolution récente et, dans la mesure où elles paraîtraient être restées en deçà des besoins, quels schémas nouveaux pourraient être proposés. »

« La base aérienne : une société cloisonnée ? (extrait)

Jalons pour une organisation nouvelle

En raison même de l'amélioration recherchée des conditions de vie sur la base aérienne, des charges nouvelles ont été imposées à certains organismes supports, sans que ceux-ci y aient toujours été bien préparés. Par un mouvement inverse, la politique de déflation des personnels et des crédits budgétaires en moindre progression que le coût de la vie ont créé de nouvelles contraintes. 

Efficacité et économie, c'est en effet en fonction de ces deux idées que l'on pourrait concevoir la double orientation suivante qui serait marquée par:

- une restructuration du service des subsistances,

- la création d'un véritable secteur socio-culturel.

1-Mess et cercles: fonction alimentaire et fonction sociale.

Si la construction et le fonctionnement de mess mixtes destinés à la fois aux officiers, sous-officiers et hommes du rang sont techniquement et administrativement souhaitables, des réactions psychologiques défavorables risquent, par contre, d'être enregistrées. Mais, pour y répondre, il faudra bien considérer le problème dans son ensemble. D'abord, il existe un héritage ancien et la dispersion des bâtiments conduira certainement à maintenir parfois un certain statu quo. En second lieu, des salles séparées pourront toujours être aménagées et les menus adaptés. Enfin, la concentration des moyens présente aussi un intérêt tout particulier au plan social. 

Mais nombreux sont les cadres qui ont déjà le sentiment, à tort ou à raison, d'une relative dégradation de leur propre condition sociale, par comparaison avec les progrès accomplis dans les autres catégories de citoyens. Par exemple, les mess ne sont pas toujours aptes à recevoir des familles et, a fortiori des invités civils. Aussi, la création de mess mixtes destinés à assurer le seul repas de service, plus le repas du soir pour les cadres célibataires et les hommes du rang, devrait donc s'accompagner de la revalorisation des cercles ou de la création de nouveaux qui, d'un fonctionnement plus souple et dotés de moyens et d'installations annexes importants (en matière sportive notamment) favoriseraient les échanges, d'une part, entre militaires et familles de militaires, d'autre part, à l'égard d'invités qui pourraient émaner d'autres couches sociales. Mais il est certain que favoriser actuellement un tel projet peut sembler d'autant plus inopportun que les moyens dont dispose telle ou telle garnison donnent déjà l'impression d'être surabondants.

2-L'action socio-culturelle.

La base dispose d'importantes ressources, en hommes et en matériels, en matière éducative, sportive, culturelle et récréative. Mais, davantage peut-être que dans les autres domaines, la mise en place de ces moyens s'est largement étalée dans le temps. Les mess et les foyers ont d'abord possédé des bibliothèques. Puis, des moyens audio-visuels ont été acquis (souvent dans le cadre de la mission : laboratoires de langue notamment). Enfin, des directives ministérielles récentes sont à l'origine de l'impulsion décisive donnée aux clubs ainsi qu'aux actions de promotion sociale.

Eviter les conflits d'attributions.

Mais, ainsi qu'il en est souvent lorsqu'on procède par adjonctions successives, le caractère connexe de ces différentes activités n'a pas été suffisamment mis en valeur et plusieurs responsables se partagent locaux, matériels et crédits. Ceci ne va pas sans inconvénients. Prenons des exemples : la base comprend généralement trois bibliothèques rattachées aux mess et au foyer. Leur richesse en livres est très inégale car elle dépend des sommes allouées par des mess à effectifs eux-mêmes très inégaux. Leur fonctionnement, qui fait le plus souvent appel au volontariat, en présente les défauts et combien de bibliothèques restent fermées car un successeur valable n'a pu être trouvé?

Pour ce qui concerne les foyers, officier des subsistances* et gérant suivent avec attention le fonctionnement des bar et comptoir bimbeloterie. Ils ont en effet le sentiment que ces activités traditionnelles sont vraiment celles sur lesquelles ils doivent veiller. Mais, il y a quelques années, lorsque la décision de création de clubs de loisirs a été prise, ceux-ci ont été rattachés aux foyers. Une telle décision était logique car seuls les hommes du rang paraissaient concernés.

L'organisation actuelle est donc devenue partiellement inadaptée: les cadres ne se sentent pas à l'aise en des lieux (foyer) que les hommes du rang considèrent au contraire comme étant réservés à leur seul usage. Officier des subsistances* et gérant ne tiennent guère à s'immiscer dans des activités de clubs qui leur échappent partiellement et dont ils ne retiennent volontiers que le côté dépensier.

Mais, depuis, les choses ont changé. Le poste d'officier-conseil a été partout créé et ses attributions précisées. Les cadres ont été invités de façon pressante à partager les activités des clubs. Des crédits, gérés par l'officier-conseil, sont attribués sur les fonds de l'action sociale.

Enfin, les moyens audio-visuels dont dispose la base (ne sont pas compris, ici, les moyens attribués en propre à telle ou telle unité spécialisée) sont la plupart du temps pris en charge par un tiers service, tel que celui chargé de l'instruction. 

Vers la création d'un véritable secteur socio-culturel.

Ces quelques exemples, par les insuffisances qu'ils révèlent, montrent qu'il y a désormais place sur la base pour un véritable service chargé de l'animation « socio-culturelle ». Son responsable existe déjà officiellement.

Encore faudrait-il que, même profondément motivé, il soit à la fois d'un grade suffisant et déchargé de toutes autres fonctions. L'officier-conseil aurait alors, outre les fonctions qu'il possède déjà, la responsabilité entière et directe:

- de l'unique bibliothèque qui pourrait être gérée par un sous-officier attitré et dont la richesse, sans commune mesure avec ce qui existe actuellement, notamment pour les hommes du rang, serait le gage d'une fréquentation accrue;

- des clubs de loisirs, qui seraient complètement détachés des foyers;

- des moyens audio-visuels à usage général de la base.

Ainsi, mess et foyers ne seraient plus astreints à exercer une action qu'ils assument de façon très inégale.

Conclusion

Faciliter le dialogue et mener une véritable politique de promotion socio-professionnelle n'est pas tâche facile pour les armées. En effet, il faut bien considérer que, d'une part, telle n'est pas leur vocation initiale, d'autre part, la singularité de l'institution militaire n'autorise pas la transposition pure et simple de solutions qui ont pu être introduites ailleurs, et avec succès.

Néanmoins, on peut penser que les armées se trouveront à l'avenir toujours davantage confrontées avec ce genre de problèmes et qu'il leur faudra bien les résoudre en des termes originaux.

En effet, le recours à des moyens de promotion, tant professionnelle que culturelle, apparaît chaque jour plus étendu dans nos sociétés car ce genre d'actions, d'une part répond aux aspirations profondes des individus, d'autre part est une résultante des structures et du rythme économique propres à notre type de civilisation.

Les armées ne peuvent certes ignorer un tel mouvement, ne serait-ce qu'en raison des aspirations de leurs personnels, lesquelles, à beaucoup d'égards, ne peuvent être fondamentalement différentes de celles des autres membres de la communauté nationale.

En revanche, la finalité des armées ainsi que les motivations de leurs membres ne doivent et ne peuvent emprunter aux motivations et à la finalité de l'économie de marché.

De ces impératifs contradictoires, il résulte que l'élaboration par les armées de nouveaux schémas d'organisation - notamment sur une base aérienne-  s'avèrera probablement nécessaire en même temps que devront être définis soigneusement les écueils à éviter.

En effet, il ne s'agit pas, de toute évidence, de détourner les militaires de ce qui fait leur vocation essentielle mais, bien au contraire, dans le cadre d'une politique applicable à chaque catégorie de personnels, d'une part, compte tenu d'un volume donné de moyens, d'en assurer l'efficacité maximale, d'autre part, lorsque le dialogue est estimé mutuellement souhaitable, d'en rendre l'approche matérielle plus aisée.

Alors pourra être assurée, dans le cadre hiérarchique nécessaire, la réussite de l'action sociale entreprise. »

R. VACHOT (ECA 59)

*Ancienne expression avant celle d’officier SRH (service restauration hôtellerie)