par le commissaire général (2S) Michel Barbaux
C’est en lisant un article du Monde du 19 décembre 2002 que j’apprends la création prochaine d’un nouveau corps de magistrat : les juges de proximité.Le juge de proximité
La juridiction de proximité est introduite par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, complétée par une loi du 26 février 2003.
Statuant à juge unique, le juge de proximité connaît des litiges civils de la vie quotidienne d’un montant limité à 4000 euros (5000 euros à partir du 1er janvier 2020).
L’objectif est de désencombrer les tribunaux d’instance qui croulent sous les dossiers. C’est pourquoi, il statue en dernier ressort, seul un pourvoi en cassation pouvant être formé contre ses décisions.
Il est également compétent pour statuer au tribunal de police et comme assesseur au tribunal correctionnel.
Soumis au statut de la magistrature, il ne reçoit pas d’avancement de grade, ne peut être muté sans son consentement et n’est pas soumis à l’obligation de résidence. Il est rémunéré à la vacation.
Un accueil teinté de méfiance voire de suspicion
Admis en 2° section le 1er juin 2006, je décide de tenter l’aventure en postulant en 2008 à un poste de juge de proximité à Paris. Pour me familiariser avec ce monde qui n’est pas le mien, je m’informe consciencieusement sur l’organisation et le fonctionnement de la Justice ; j’assiste à un colloque au Sénat et à quelques audiences.
Comme mon dossier obéit aux conditions de candidature requises, il est assez vite retenu mais il me faut attendre quatre années et me soumettre au parcours obligé de l’enquête de police et des entretiens avec des magistrats du siège et du parquet pour qu’enfin il soit soumis au conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Il faut dire que ma condition de militaire intrigue beaucoup. Il y a donc des militaires juristes ! Comme c’est étrange ! Un magistrat de la direction des services judiciaires me dit : « Si vous aviez été pilote de chasse, on ne vous aurait pas pris ! ». Il est vrai que le choix se porte plutôt sur des candidats ayant exercé les fonctions de magistrat ou d’avocat, de chef de service juridique, de professeur de droit, parfois de préfet ou d’ambassadeur. Un ancien préfet a fait rire l’assistance lors de son pot de départ en déclarant qu’il n’avait jamais été aussi heureux de toute sa carrière car, disait-il, « ici, je n’avais pas de chef ! ».
Après une formation théorique et pratique de deux semaines dispensée par des professeurs des universités et des magistrats, en compagnie d’une cinquantaine de futurs collègues venus de la France entière, je prête serment à la cour d’appel, préalable nécessaire au stage en juridiction : au tribunal de grande instance - siège et parquet - puis dans un tribunal d’instance où je m’initie à la rédaction de jugements soumis à l’appréciation du président.
Mes outils de travail sont essentiellement le code civil, le code de procédure civile, le code de la consommation (dont, je l’avoue, je découvre l’existence …), le code monétaire et financier, ainsi que la jurisprudence de la cour d’appel de Paris et de la cour de cassation. Ma vocation d’origine de publiciste ne m’est d’aucune utilité ! je dois donc quasiment tout apprendre et rapidement !Tout au long de mon parcours de formation, je suscite la curiosité, parfois une certaine méfiance, voire de la suspicion : comment un militaire a-t-il bien pu arriver jusqu’ici ? À chaque fois, j’explique que je suis juriste et, avec l’humour qui convient, que je suis capable de penser et même de réfléchir, de raisonner, d’argumenter et de décider ! Il m’a fallu toutefois en apporter des preuves et redoubler d’efforts !
Et enfin la nomination
Je suis finalement nommé par décret du Président de la République du 18 octobre 2013 au tribunal d’instance du 8° arrondissement pour sept ans. À cette date, environ 500 juges de proximité exercent en France dont seulement trois militaires* : un ancien commissaire de l’armée de terre à Bordeaux, un ancien commissaire de la marine à la Rochelle et moi-même.
Le ministère de la justice n’a pas manqué de constater la particularité unique de ce tribunal du 8ème qui emploie un ancien militaire et une professeure émérite des universités, membre titulaire de l’Académie de médecine !
Une petite anecdote : le Journal officiel du 20 octobre 2013 me désigne comme « commissaire général de division aérienne à la retraite ». Faut-il demander un erratum ? Un président de chambre à la cour d’appel, avec lequel j’ai sympathisé, me dit : « Maintenant que vous êtes dans le droit, il ne faut rien laisser passer ! ». C’est ainsi que l’honneur m’est fait d’une deuxième publication au JO, le 12 février 2014 : Les mots « à la retraite » sont remplacés par « en 2° section ».
Je n’en menais pas large en tenant ma première audience, devant une vingtaine d’avocats, le 13 décembre 2013. C’est alors que j’ai pensé à l’un de mes illustres prédécesseurs, le commissaire général Daume, ancien directeur central (1971 à 1975), qui a servi après son départ de l’armée de l’air comme juge d’instance - successeur du juge de paix (1790 à 1958) - à Gonesse, puis à Versailles et à Lannion. Y en a-t-il eu d’autres depuis ? Je ne crois pas.À compter du 1er juillet 2017, les juges de proximité deviennent « magistrats exerçant à titre temporaire ». La nouveauté est que nous portons désormais la robe et que nous avons quasiment toutes les compétences d’un juge d’instance.
L’année suivante je suis affecté au nouveau « tribunal judiciaire de Paris » situé dans le 17° arrondissement - où je dispose d’un bureau au 31° étage - qui regroupe, entre autres, les vingt tribunaux d’instance jusqu’alors implantés, pour la plupart, au sein des mairies d’arrondissement.En 2020, bientôt atteint par la limite d’âge, mon mandat est renouvelé pour deux ans.
Référent contentieux aérien
Au tribunal du 8ème, j’ai l’occasion de me familiariser avec le contentieux aérien. Il s’agit d’indemniser les passagers victimes d’annulations ou de retards de vols importants ou de surréservations. Les textes applicables sont les règlements européens et les conventions internationales de Varsovie et de Montréal, ainsi que l’abondante jurisprudence de la cour de justice de l’Union européenne. Au fil des années, ce contentieux s’est considérablement développé.En 2016, la cour de cassation confirme un de mes jugements dans lequel je condamnais une grande compagnie aérienne non européenne. C’est alors que je deviens le « référent contentieux aérien » du tribunal de Paris.Pour la petite histoire, un autre de mes jugements, portant sur un litige entre un particulier et une compagnie d’assurances, et condamnant l’une des parties à payer la modique somme de 3,74 euros, a été confirmé par la cour de cassation. Ce pourvoi est très étonnant quand on en connaît le coût élevé en raison de la nécessaire assistance d’un avocat aux conseils !
Je ne résiste pas, pour terminer, à rappeler cette très belle définition donnée par Pierre Drai (1926-2013), ancien premier président de la cour de cassation (1988-1996), inscrite dans le hall du tribunal de Paris : « Un homme ou une femme qui écoute avec patience et clairvoyance, qui médite et forge une solution où l’imagination créatrice a une place de choix, qui tranche et qui impose une décision conforme au droit, sans omettre l’équité, supplément d’âme et d’humanité : c’est un juge ».
Ai-je bien agi ainsi ? Je l’espère.
Au total, en neuf années d’exercice, j’ai tenu 96 audiences (environ une par mois) et rédigé quelque 800 jugements. J’ai eu la chance de voir deux de mes jugements faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ce qui est très rare dans la justice de proximité.
En oeuvrant au rapprochement de la justice et des citoyens, je crois avoir été un - modeste - contributeur de la paix sociale.