samedi 22 avril 2023

L'ancrage, facteur d'identité des commissaires des armées

Le dictionnaire Larousse définit l'ancrage comme l'action d'implanter quelque chose, le fait d'être enraciné. Il s'agit bien de cela lorsque l'on évoque les ancrages des commissaires des armées. 

Facteur d'intégration pour les commissaires accueillis dans le corps lors de sa création, facteur de cohésion pour les commissaires passés par l'École des commissaires des armées, l'ancrage est une caractéristique essentielle du corps des commissaires. 

Une grande part de leur formation initiale ainsi que les premières années de leur parcours ont lieu dans le milieu d'ancrage, avec lequel ils partagent une histoire commune, tissent des liens avec des officiers de ce même milieu, qu'ils croiseront tout au long de leur carrière. 

Dans cette logique, l'ancrage participe ainsi fondamentalement à l'identité des commissaires. 

D’abord un commissaire

Le corps des commissaires des armées a été créé au 1'" janvier 2013. Sa gestion repose sur la notion d'ancrage. Concrètement, cela se traduit par une première affectation systématique au sein d'un des cinq milieux dits d'ancrage que sont l'armée de Terre, la Marine nationale, l'armée de l'Air et de l'Espace, le service de santé des armées et la direction générale de l'armement. 

Si le commissaire des armées porte un uniforme interarmées avec des attributs témoignant de l'identité du corps auquel il appartient, il est également « ancré » dans l'une de ces armées ou dans un organisme interarmées: cela se matérialise par le port d'un insigne d'ancrage sur l'uniforme. 

À l'inverse, lorsqu'il est affecté dans son armée ou son service d'ancrage, il en porte l'uniforme, marqué de la feuille d'acanthe ou des passepoils brun-loutre qui témoignent de sa première identité. Ainsi, qu'il soit affecté ou non dans son ancrage, il est d'abord un commissaire. 

Comme le constate un rapport du contrôle général des armées publié en 2022 (n°21-017 du 18 mars 2022), « l'ancrage n'est pas défini par des textes réglementaires. Seule la formation initiale est citée dans le décret portant statut particulier des commissaires. Il y est mentionné qu'elle est réalisée au sein de l'une des trois armées et qu'un commissaire de grade subalterne ne peut pas être affecté dans une autre armée que celle au sein de laquelle il aura réalisé sa formation initiale ».

Cette restriction ne doit pas être confondue avec la politique de gestion qui consiste à affecter systématiquement les commissaires sortis d'école au sein de leur milieu d'ancrage. Le principe posé est l’interdiction d'affectation dans une autre armée que celle où a lieu la formation initiale, pas une obligation d'y être affecté. 

L'ancrage sera à terme décliné de façon formelle dans des documents de type « protocoles », nommés « guide des parcours », liant le gestionnaire SCA avec chaque employeur de milieu et définissant des objectifs communs quant à la gestion des commissaires par ancrage. 

Selon ce même rapport du contrôle général des armées, « la mise en place de l'ancrage a facilité l'intégration progressive des huit différents corps qui ont été à l'origine du corps des commissaires des armées (1). Huit ans après cette réforme, le constat est que ce levier a contribué à l'harmonisation des règles de gestion d'un corps par nature hétérogène et a participé à la construction du service du commissariat des armées. Le SCA s'est pleinement approprié cette ressource et s'est doté d'une politique de gestion cohérente ».

Plus on avance dans la carrière de commissaire, et ce constat porte également sur les commissaires sous contrat, plus la proportion de ces officiers augmente sur des postes dits « indifférenciés », donc non identifiés dans tel ou tel ancrage, en structure interarmées ou au sein du Commissariat des armées. 

Après leurs premiers postes ancrés, ils peuvent être affectés sur des postes indifférenciés ou assimilables à des postes ancrés. De fait, le SCA identifie des postes normalement indifférenciés pour lesquels l'ancrage est un critère. Par exemple, les chefs des groupements de soutien de base de défense ont un ancrage cohérent avec les principales formations soutenues : ancrage air en soutien d'une base aérienne, ancrage marine dans les ports, etc. 

Le modèle RH des commissaires repose sur une gestion du corps par ancrage et par dominante. 

Les candidats admis par concours dans le corps des commissaires des armées choisissent un ancrage (terre, marine, air, santé, armement). Il n'est pas possible, en cours de carrière, de demander à changer d'ancrage: le choix réalisé lors de la proclamation des résultats du concours est définitif. 

Actuellement, les officiers sous contrat et les commissaires « commissionnés »  (2)  ne choisissent pas d'ancrage. Ils sont néanmoins rattachés à un système d'information des ressources humaines (SIRH) d'ancrage pour les besoins de gestion administrative et ce, en fonction de leur affectation ou du référentiel en organisation (REO). L'ancrage des commissaires ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve (ESR) est pour sa part déterminé en fonction de leur ancien ancrage d'active ou des besoins du service. 

Après une ou deux affectations au sein de leur ancrage dans les années suivant la sortie d'école, les commissaires alternent au cours de leur carrière les affectations au sein du service, en interarmées et en ancrage. Ces parcours croisés garantissent aux armées, directions et services l'affectation de commissaires parfaitement adaptés à leurs spécificités. 

Les formations d'ancrage sont une préparation aux premiers emplois des commissaires au début de leur parcours. La majorité de la deuxième armée de formation est réalisée au sein des différents ancrages sur un programme spécifique. Cette approche permet de répondre aux différents besoins du service du commissariat des armées, des armées, directions et services, qui peuvent ainsi disposer des compétences d'experts du soutien ayant une connaissance intime des soutenus et garants d'une culture militaire et opérationnelle.

Les ancrages sont intimement liés à la question des parcours professionnels des commissaires des armées (voir ci-après pour l’ancrage Air)

Le SCA a mis en place une organisation adaptée à la gestion par ancrage. Cette spécificité d'ancrage est assumée et co-élaborée avec les différents employeurs. Au sein de la division « gestion des corps» (DGC), les travaux de gestion, essentiellement la mobilité et l'avancement, sont mis en oeuvre au sein du bureau des commissaires (DGC/BCRE) par des gestionnaires individuels. 

Chaque gestionnaire est responsable d'un ancrage(3) et d'un portefeuille d'employeurs. Les commissaires en chef de 1ère classe sont gérés collectivement au niveau du chef de division. 

Une organisation semblable à celle des DRH d'armées, c'est-à-dire fondée sur les dominantes d'emploi, est actuellement à l'étude. 

L'ANCRAGE AIR 

Les commissaires d'ancrage air représentent 19% du corps avec un total de 377 officiers. 

Spécificités 

Droit aérien et droit de l'espace, droit des transports aériens, affrètement et maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques, questions juridiques spécifiques aux bases aériennes, activités pédagogiques et de terrain en commun avec l'École de l'Air et de l'Espace.

À Salon-de-Provence, les commissaires d'ancrage air sont formés en vue d'exercer les fonctions d'adjoint au chef du Bureau interface des soutiens et maîtrise de l'activité (BISMA) d'une base aérienne. 

Leurs modules portent en particulier sur: 

- l'acquisition des fondamentaux métier : droit aérien et spatial, administration des opérations extérieures et exercices, pilotage des activités de la base aérienne, politique et gestion des ressources humaines, finances et innovation dans l'armée de l'Air et de l'Espace, maintenance aéronautique; 

- l'acculturation aéronautique: initiation au vol moteur ; 

- l'acquisition d'expériences : stages sur base aérienne, stage au sein d’un grand commandement aérien, stage en groupement de soutien de base de défense (GSBdD), participation à la simulation organisée par l'organisation de l'aviation civile internationale (OACI). 

Les jeunes commissaires de carrière d'ancrage air commencent leur parcours avec un premier poste qui leur permet de découvrir la réalité de la base aérienne.

Témoignages 

Un élève commissaire : le CR3 Corentin L. 

Issu de l'armée de Terre, le concours de recrutement interne m'a permis de choisir l'ancrage air. J'ai choisi cet ancrage car, ayant souvent travaillé avec l'armée de l'Air et de l'Espace (AAE) lors de missions, j'avais déjà un aperçu de son fonctionnement. De plus, intégrant un corps interarmées, je souhaitais choisir cet ancrage pour avoir une approche complémentaire à ma connaissance de l'armée de Terre. Il me semble important de connaître plusieurs environnements. 

La formation ancrage air peut se diviser en trois parties. La formation théorique est axée sur le fonctionnement et la culture de l'armée de l'Air et de l'Espace (histoire, organisation, finances, RH) et le droit aérien militaire et civil. La formation militaire s'inscrit dans la continuité de celle suivie lors de la première année et nous permet de retrouver nos camarades de l'École de l'Air et de l'Espace. Enfin, les stages en escadre, GSBdD, grand commandement et bureau interface du soutien maîtrise de l'activité (BISMA) nous permettent d'avoir une vision d'ensemble de l'AAE et de nous préparer à la prise de poste. 

La formation d'ancrage est particulièrement intéressante pour ses stages, dont le premier nous a permis de faire un vol sur Xingu à Avord, ainsi que pour les cours qui permettent de préciser les bases théoriques acquises en formation d'administrateur. La principale difficulté en temps qu'interne venant d'une autre armée est d'adopter les méthodes et la culture de l'AAE, mais c'est un défi intéressant à relever. 

(voir aussi notre article du 9 avril 2022 « Élève commissaire de milieu Air à Salon »)

Un commissaire en poste : le CR1 Gauthier D.

L'appartenance à un ancrage signifie pour moi la connexion à une armée ou un service, l'appartenance à une grande" famille» car tout s'articule autour: formation militaire, formation théorique, usages et traditions, premiers postes tenus... Cette notion est selon moi indispensable car nous ne pourrions pas être" spécialistes» de toutes les armées et services en deux ans de scolarité. Ce choix permet une priorisation dans l'acquisition d'un bagage de connaissances dans un domaine que nous affectionnons en particulier dans le court terme puis, après un ou deux postes tenus dans ce domaine, c'est une expertise que nous mettrons à disposition dans un poste interarmées. 

Le choix de l'ancrage lors du concours répond naturellement aux affinités de chacun. Passionné d'aéronautique, ce choix a revêtu pour moi un caractère considérable. Cette appartenance à un ancrage est importante car elle permet une identité. Partagée avec ses camarades de promotion du même ancrage, elle rend possible le tissage d'un réseau solide de connaissances dans le milieu dans lequel nous évoluons. Ce réseau est essentiel car les problématiques rencontrées sur les premiers postes sont bien souvent communes: elles sont la plupart du temps résolues par échanges de bonnes pratiques, conseils, retours d'expériences entre commissaires du même ancrage. Le premier poste tenu au sein d'un BISMA sur une base aérienne est l'aboutissement des deux années passées en école en ancrage air : conseillers du commandant de base en matière juridique et financière et responsables de la section pilotage budget, nous sommes au cœur de la vie de la base aérienne. 

Ce choix d'ancrage m'a donné l'opportunité de participer à des exercices de l'ME comme le Rotary Wing MC Course en Corse ou encore le Red Flag Rescue 2023 en Arizona en tant que commissaire d'exercice, au plus près des opérations d'entraînement des forces en participant à leur conduite. L'appartenance à un ancrage conditionne donc les missions et activités auxquelles le commissaire participe: il faut le choisir avec discernement. 

Le chef d'état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace, le général d'armée aérienne Stéphane Mille 

La fusion des trois corps de commissaires en un seul, il y a tout juste dix ans, a changé profondément le fonctionnement de nos armées. 

Animé par des valeurs communes et tourné vers la finalité opérationnelle, le commissaire prend une part essentielle au soutien de nos forces et par là même à la réussite des opérations. 

Avoir la culture du soutien, c'est avoir la culture de la mission, c'est prendre en considération l'identité de l'autre, en l'occurrence pour moi celle de l'aviateur, pleinement engagé au service des intérêts supérieurs du pays. 

C'est cette dimension particulière, héritée du Commissariat de l'Air, que j'appellerais volontiers éthique du soutien et qui me semble devoir caractériser le commissaire d'ancrage air. 

Son aptitude à prendre en compte les spécificités de réactivité, de permanence et de flexibilité, qui confèrent à l'armée de l'Air et de l'Espace un rôle essentiel sur le territoire national et sur les théâtres extérieurs, le place au cœur des missions traditionnelles comme des nouveaux défis dans le champ spatial ou dans l'action de l'Etat en l'air. 

La connaissance mutuelle reste ainsi un gage de l'efficacité de notre outil de combat. 

(1) Fusion des corps des commissaires des trois armées, de certains officiers du corps des bases de l'air et d'officiers des corps techniques et administratifs de l'armée de Terre, de la Marine, du service de santé (OCTASSA) des armées et de l'armement (OCTAA).

(2) Commissaire recruté en raison des compétences qu'il détient, sur un poste et une durée déterminés et à un grade précis. 

(3) Sauf pour l'ancrage armement, géré par le gestionnaire des ancrages air.


Texte et photos SCA – revue Soutenir n°25 - avril-juin 2023