samedi 25 février 2023

L’étonnante histoire de l’Hydrobase de Courcouronnes

Par le commissaire général (CR) Jean-Louis Barbaroux

 Cette histoire - ô combien aéronautique - va en étonner plus d’un, aujourd’hui, et notamment les commissaires de l'air qui ont fréquenté le SETAMCA/SELOCA et la base aérienne de Brétigny…

Projetons-nous donc dans l’entre-deux-guerres, période d’intenses activités aériennes : sportives, transport de courrier et bientôt de passagers, création de lignes régulières sur des distances modestes. Dès qu’il s’agit de traverser l’océan, l’hydravion s’impose : en cas de pépin, il peut tenter de se poser… Dès 1933, la Lufthansa et la Pan American Airways font le choix de l’hydravion pour rallier l’Amérique du Sud. La traversée du Blériot 5190 (ci-dessus) de Bossoutrot en 1934 a conforté l’opinion dans sa confiance dans ce type d’aéronef, géant de 23 tonnes qui a su affronter une très mauvaise météo.

Les principales sociétés de construction aéronautique américaines, françaises, anglaises, allemandes et italiennes lancent toutes des projets d’hydravions et réalisent quelques constructions de prototypes : leur tonnage va évoluer pour atteindre des masses de 70 tonnes et plus… le cahier des charges français de 1936 était défini comme suit : hydravion de 40 tonnes en charge pour transporter 20 passagers couchés (40 assis), charge utile en soute : 5 tonnes, 6 moteurs maximum, vitesse de croisière supérieure à 250km/h, autonomie de 6000 km avec vent contraire de 60 km/h, possibilité de se poser sur mer avec creux d’un mètre …

A titre d’exemple, le Laté 631, bel exemple de « Clipper » français, conçu en 1938, a effectué son premier vol en novembre 1942 (sous l’occupation !) ; 8 exemplaires sont produits en 1947 mais retirés du service  pour la plupart fin 1948 à la suite de divers accidents ; il avait un équipage de 14 personnes (dont un commissaire …de bord !) : 54 passagers, poids : 37 tonnes à vide, 75 en charge, vitesse max de croisière : 300 km/h, autonomie : 5000 km.

L’ambition de ces appareils était de concurrencer les paquebots grâce à leur vitesse et leur confort malgré un coût élevé : le Concorde de l’époque …

Un projet d’hydrobase

Pour mettre en service ces appareils prometteurs en faisant de Paris la tête de pont européenne des lignes traversant l’Atlantique ou à destination de l’Afrique et de l’Extrême-Orient, il convenait de créer rapidement une structure aéronautique permettant l’emploi d’hydravions, connectée à un aéroport accueillant des avions pour les lignes intérieures.

Paris, à l’époque, ne dispose que de l’aéroport du Bourget, héritier depuis 1919 du terrain militaire de la Grande Guerre, équipé sommairement et guère extensible, dans une localisation largement urbanisée.

Des études privées, lancées notamment par l’Aéroclub de France, examinent plusieurs sites possibles autour de la capitale. Cependant, les plans d’eau existants apparaissent insuffisants, inadaptés ou non extensibles.

Le 10 août 1936, le ministre de l’Air, Pierre Cot, prend les choses en main et demande à ses services d’engager une prospection en région parisienne pour la recherche de plans d’eau en vue de la création d’une « hydrobase » qui devra comporter 3 chenaux de 3km de long sur 300m de large et d’au moins 3m de profondeur. Pour faciliter le transit des passagers vers l’Europe, un terrain d’aviation devra en outre être implanté à proximité du plan d’eau, la meilleure solution serait donc une base mixte. 

Finalement, au terme d’une recherche approfondie, un site émerge, qui présente beaucoup d’avantages : cette partie du Hurepoix, située entre Corbeil, Ris-Orangis, Brétigny-sur-Orge et Fleury-Mérogis, est assez plate, peu peuplée et composée principalement de quelques vastes exploitations agricoles. A proximité de Paris, près de la RN7 et de la ligne de chemin de fer de la Compagnie d’Orléans, non loin de la Seine qui permettrait la mise en eau et l’alimentation des plans d’eau, dotée d’un sous-sol assez étanche, comportant de belles couches d’argile verte, elle bénéficie enfin d’une bonne climatologie…


Il ne reste plus à Guy La Chambre, devenu ministre de l’Air, qu’à entériner ce choix par une décision du 16 avril 1938. Parallèlement, les travaux d’implantation du futur Centre d’essais en vol, à Brétigny, à proximité de cette hydrobase  se poursuivent, et une bretelle de la future autoroute du Sud est envisagée pour mieux desservir l’hydrobase.

Aérogare
Le projet de l’aéroport de Paris, qui évoluera ultérieurement pendant la guerre, est celui d’un aéroport « mixte » comprenant, au nord, un plan d’eau et trois lignes d’amerrissage  en étoile (en bleu ci-dessus), de 500m de large avec une profondeur de 4m et une longueur de 6 km susceptible d’être accrue, une aérogare avec tous ses services techniques et d’accueil des passagers et, au sud-est, une base terrestre avec ses pistes et son parking (en rouge). L’aérogare serait réalisée en pont au-dessus de la bretelle de la future autoroute du Sud, ce qui faciliterait les liaisons avec Paris. Le projet coûterait environ 270 millions de francs et serait réalisable en 3 à 4 ans. (Toujours cet optimisme dans les prévisions du budget !)

Les ingénieurs et architectes n’ont plus qu’à se mettre au travail !

Un projet rendu caduc par l’évolution rapide du transport aérien

La 2e guerre mondiale éclate : drôle de guerre, débâcle, occupation ! Vichy continue néanmoins les études, qui se poursuivent jusqu’en juillet 1944.

Cependant, grâce à l’effort de guerre, les avions ont fait d’énormes progrès techniques : tonnage, vitesse, rayon d’action : l’Atlantique a été massivement survolé par des avions comme le DC4 et sa version militaire (C54 Skymaster) produits par Douglas à plus de 1200 exemplaires : quadrimoteur de 33 tonnes en charge, 52 passagers, autonomie plus de 6500 km. Les hydravions ont bien sûr été utilisés par ailleurs, mais les alliés n’ont pas développé de nouveaux appareils de gros tonnage.

 Après la guerre, le général de Gaulle doit réorganiser l’Etat, reconstruire les villes et les infrastructures  détruites, relancer l’industrie, notamment aéronautique. Vaste programme ! Il faut faire des choix…

Le 1er Décembre 1945 le Conseil Supérieur des travaux de l’Air prend la décision (confidentielle) suivante : « Si l’on admet que l’utilisation de l’hydravion comme moyen de transport de voyageurs est peu probable, l’emplacement de Corbeil est à écarter. En tant qu’aérodrome, il se confond sensiblement avec Brétigny, l’un excluant l’autre, et il se trouve plus éloigné de Paris qu’Orly. »

C’est la fin de l’hydrobase, enterrée avant sa naissance.

Le vide laissé par ce rêve envolé sera vite comblé dès la décennie suivante : création de l’aéroport d’Orly (sans le moindre hydravion !), du CEV, de l’autoroute du Sud, de la voie TGV , de la prison de Fleury-Mérogis et surtout de la Ville Nouvelle d’Evry, avec ses envahissants satellites industriels, et j’en passe !

Je n’aurais pas été complet, pour nous aviateurs, si j’avais oublié d’ajouter à cette liste la base aérienne 217 Félix Brunet et son prestigieux fleuron, le SETAMCA/SELOCA …

Je remercie chaleureusement le Comité d’histoire locale de Courcouronnes dont les travaux, publiés en 2014, ont servi de base au présent article.