samedi 12 novembre 2022

Responsable mais pas coupable

Jusqu’en 1971, les commissaires de l’air affectés dans les Commissariats des bases aériennes (CBA) étaient chargés du contrôle, physique et comptable, des matériels dits « Commissariat » détenus par les bases aériennes et répartis entre les unités. Ces matériels - effets d’habillement en volant, ameublement,  matériels de campagne - étaient « pris en compte » par les commandants  d’unité qui devaient eux-mêmes en assurer le suivi.  Mais à quel prix ! Comme nous le raconte, sans détours, un ancien commandant d’escadron à la fin des années 50.

« No comment

Avant de reprendre un certain nombre d'anecdotes typiquement aéronautiques et vécues sur ce brave F-86K, je voudrais consacrer quelques lignes aux contraintes administratives d'un commandant d'unité.

Je crois savoir que cette manie remonte à la cuisante défaite que nous avons subie en 1871. Cela a bien sûr commencé par l'Armée de terre, mais s'est rapidement propagé à l'Armée de l'air quand elle a été constituée.

On confie la responsabilité de l'existence des matériels (et non de leur état) aux commandants d'escadron. On leur donne le titre pompeux de "détenteur dépositaire". Bien sûr les échelons supérieurs de commandant d'escadre et de commandant de base s'en lavent les mains. Donc, je dois signer des documents pour prendre en compte le matériel de l'escadron.

Il y a dans l'Armée de l'air 2 sortes de matériels : les matériels de commissariat et les matériels techniques. Les premiers sont gérés par les commissaires et les seconds par la DCMAA (Direction Centrale des Matériels de l’Armée de l’Air).

Je me trouve donc personnellement responsable et sur mes finances propres de ces matériels. Et d'ailleurs au cours d'un exercice de desserrement pendant lequel nous avons vécu sous la tente à quelques kilomètres de la base, on m'a imputé des piquets de tente en bois et des couvertures. Je suis également détenteur des vêtements spéciaux de nos pilotes et j'ai dû payer quelques caleçons longs qui manquaient.

Le plus révoltant dans cette affaire, c'est que les injonctions à payer sont adressées directement à mon domicile par la direction du Trésor public.

Lorsque des matériels de commissariat sont en mauvais état et que l'on veut pouvoir les retirer de la liste, il faut passer par une commission de réforme. Et c'est un officier supérieur du Commissariat de l'air qui préside la commission permettant ce transfert (fût-ce pour des couvertures ou des piquets de tente) vers l'administration des domaines. Dans le cas des matériels techniques qui , en général, sont beaucoup plus onéreux, c'est un sous-officier mécanicien qui peut décider que le tube émetteur d'un radar de bord ne fonctionne plus et doit être mis au rebut. D'ailleurs lorsqu’un contrôleur général des armées passe dans l'unité et vérifie la concordance des fichiers et des matériels, il accorde beaucoup plus d'importance aux caleçons longs qu'aux moteurs d'avion. Mon officier mécanicien m'avait d'ailleurs signalé que sur le bimoteur de liaison que j'avais en compte, sans l’avoir jamais vu à l'escadron, j'étais détenteur de trois moteurs. Cela n'a pas intrigué le contrôleur. Quid de l’utilité de ce corps du contrôle ? 

Sur ces entrefaites, j'apprends que je suis également détenteur dépositaire des matériels de mobilisation. Ces matériels comprennent de nombreux véhicules permettant la vie à l'extérieur de la base en cas de desserrement. Certains peuvent s'agrandir en faisant coulisser les côtés et constituer une salle d'opération. Il y a même des remorques douches et toilettes. Ils avaient été achetés sur des crédits "Mark" et étaient censés rester en Allemagne. Ils sont enfermés dans un hangar dont l'accès m’est refusé. Il y a notamment une remorque salle météo, et rien que pour elle, il existe plusieurs pages d'inventaire et je serais responsable sur ma maigre solde de capitaine de la disparition du moindre crayon.

Que croyez-vous qu'il advint ? J'ai refusé de signer la prise en compte de ces matériels. Et par la suite, j'ai constaté que, dans mes notes, il était mentionné que le commandement de mon escadron n'avait pas été une réussite. No comment ! »

Maurice Cavat « Mémoires d’un pilote de chasse » 

https://aviateurs.e-monsite.com/pages/1946-et-annees-suivantes/memoires-d-un-pilote-de-chasse.html