mercredi 16 novembre 2022

Le Cercle de l’écrivain-pilote disparu

Pourquoi un article sur un Cercle et quel lien avec les commissaires de l’air ? Parce que ces derniers – comme les commissaires de la marine et les commissaires de l’armée de terre d’ailleurs – étaient chargés de surveiller administrativement et financièrement ces structures d’hébergement et de restauration, généralement rattachées à un corps, un port ou une base aérienne.

Le Cercle qui nous occupe présentement est le Cercle mixte Saint Exupéry, créé à Vitry-le-François en 1956 à la demande du colonel Gavoille (1), commandant alors  la BA 113 à Saint Dizier (2), puis réinstallé en 1966 dans la ville de  St Dizier, dans un lieu dont seuls les murs conservent désormais la mémoire. 

L’immeuble de Saint Dizier

Jusqu’à la guerre,  cet immeuble, sis au 31 rue du docteur Després, est une résidence familiale tout ce qu’il y a de classique, avant que de nouveaux propriétaires ne lui donnent, en 1940, une vocation… spéciale. En effet, cette demeure devient une maison dite "close" durant l'occupation allemande de juillet 1940 à août 1944 mais aussi pendant la période de stationnement des troupes américaines en Haute-Marne. 

Madame Jeanne P., épouse de monsieur René M., est la "Directrice" de cet établissement, surnommé le "31" ! Une dizaine de prostituées, qui sont remplacées  tous les 6 mois, logent dans ce lieu. On chuchote que cette demeure sert à la « remise en condition » de ces demoiselles, qui viennent pour la plus part de la région parisienne. Venir à Saint-Dizier constitue, en effet, une mise au vert et on se refait une santé chez Madame "Jeanne". 

Le mercredi est un jour de relâche. Le matin est consacré à la visite médicale, effectuée par le docteur C. L'après-midi est réservé à la sortie en ville, bien sûr sous la surveillance constante de la "Directrice". Aussi, il n'est pas rare de voir Madame "Jeanne", accompagnée de ses protégées, effectuer du lèche-vitrine dans les rues commerçantes de la ville. Elles sont très coquettes et cela sent le "BON CHIC PARISIEN". 

Dans ces années-là, il était de bon ton pour la bourgeoisie locale de faire un passage au "31". Surtout, quand on avait, dans la famille, un jeune homme à déniaiser. Cet établissement jouait le rôle de cercle initiatique pour les jeunes de la région. La première prestation était, parait-il, gratuite, offerte par la maîtresse des lieux. 

A cette époque, l'infrastructure était différente, adaptée aux fonctions et aux besoins du lieu. Le-rez-de-chaussée comportait le bar et quelques salons privés. 

A la suite du vote et de l'application de la loi "Marthe Richard" relative à la fermeture des maisons closes, Madame Jeanne revend sa propriété à un négociant de fruits, primeurs et légumes. 

Suite à la fermeture du "31", les clients de cet endroit se dirigent alors vers le Deauville, renommé à cette époque pour être une "Boite Américaine". Alors que, avant la guerre, cet établissement recevait la société Haut-Marnaise, où on pouvait pratiquer … du pédalo, de la barque sur la Marne et de la natation dans la piscine. A l'époque, Antoine de Saint Exupéry y recevait ses hôtes, Joseph Kessel, Marie Bell, Pierre Mac Orlan .... Sic transit gloria provinciae !

La vocation du cercle mixte "Antoine de Saint-Exupéry" (3)

Le 10 avril 1964, les propriétaires de l'immeuble cèdent leur bien - au prix de 220 000 Francs - aux Domaines, lesquels interviennent en exécution d'une décision du ministre des Armées "Air" en date du 12 février 1964. 

En 1966, après travaux, le nouveau cercle mixte "Antoine de Saint-Exupéry" est prestataire de services (restauration, hôtellerie, bar et loisirs) au profit de l'ensemble des cadres militaires et de leurs familles, ainsi que des personnels civils de la Défense, d’où sa dénomination de Cercle « mixte ». 

Jusqu’à la création des bases de défense et des GSBdD, le président du cercle mixte était un officier supérieur de la base aérienne 113. Un conseil d'administration assurait la haute direction. 

Les fonctions de gestion étaient assurées par un gérant, prévu au tableau d'effectifs du SRH 32.113. 

Article tiré d'un texte du major Le Maguet (Saint-Dizier décembre 1994)


(1) Ancien compagnon d’armes d'Antoine de Saint Exupéry au II/33 en 1940, à Orconte, puis en 1944, en Corse.

(2) Elle-même dénommée « Saint Exupéry » depuis 1956

(3) Cercle de la base de défense de Saint Dizier-Chaumont, depuis 2012