lundi 17 janvier 2022

Un commissaire de l’air au cabinet du Premier ministre

Par le commissaire général (2S) Michel Barbaux

Je succède au commissaire colonel Pierre Serra le 7 septembre 1998 dans les fonctions d’adjoint au chef du cabinet militaire du Premier ministre, M. Lionel Jospin. Quatre autres adjoints, colonels comme moi - terre, air, marine et gendarmerie -, composent ce cabinet sous l’autorité de l’amiral Alain Dumontet.

Ma nomination a lieu à la suite d’entretiens avec le chef du cabinet militaire, puis avec le conseiller pour la défense, M. Louis Gautier.

 Elle répond complètement à mon souhait d’observer de l’intérieur, notamment dans le domaine de la défense, la manière dont s’exerce le pouvoir en période de cohabitation. Chaque jour, dans l’exercice de mes attributions, je vais ressentir à la fois les exigences et les contraintes de cette situation si particulière.

Je suis chargé, à titre principal, des relations avec les associations de résistants et d’anciens combattants, des questions relatives à la politique de Mémoire et de nos relations, en matière de défense, avec les pays d’Amérique du Sud.  Ces dernières me valent de participer, le 2 octobre 2000, à une audience accordée par le Premier ministre au Président élu du Mexique, M. Vicente Fox. Une petite anecdote : ayant, pour la circonstance, revêtu pour la première fois mon uniforme de général, le Premier ministre me dit : « Je vois que le cabinet militaire, c’est comme l’armée mexicaine ! ». Car, ayant été nommé la veille, il y a maintenant deux officiers généraux au cabinet militaire. 

Tout ce qui concerne le service national m’est également dévolu. C’est ainsi qu’à peine arrivé, il m’est demandé d’organiser la visite du Premier ministre et de l’accompagner sur un site militaire de la région parisienne à l’occasion de la première Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD) le 3 octobre 1998. Le chef d’état-major des armées est également présent.

Deux évènements marquants : à l’occasion du vote d’un projet de loi sur le volontariat civil dont le texte sera inséré dans le code du service national, je suis au Sénat aux côtés du ministre de la défense, M. Alain Richard, en qualité de « commissaire du Gouvernement » nommé par décret en application de l’article 31 de la Constitution. Je serai désigné de la même manière pour assister à l’Assemblée nationale aux débats sur la partie du projet de loi de finances relative aux anciens combattants. 

Il m’est, de temps à autre, confié des dossiers de nature politico-militaire. Dans ce cas, je prends mes consignes auprès du conseiller pour la défense. Il m’arrive, à la demande de celui-ci, de rendre compte directement au Premier ministre. C’est ainsi que, comme je le souhaitais (secrètement), je ne tarde pas à avoir accès au bureau du chef du Gouvernement, le « saint des saints » de l’Hôtel de Matignon. 

Les associations de résistants me donnent l’occasion de belles rencontres. Je m’efforce de satisfaire au mieux leurs demandes de subventions et de soutiens, grâce à l’appui du directeur de cabinet et du chef du cabinet civil. J’ai des conversations passionnantes, dans mon bureau - qui était la chambre d’Aragon, où il est décédé le 24 décembre 1982 - ou à l’occasion de la remise du Prix littéraire de la Résistance au Sénat, avec Lucie et Raymond Aubrac, l’amiral de Gaulle (à g. sur la photo ci-dessus), les Compagnons de la Libération François Jacob, prix Nobel de médecine, Jean Simon, chancelier de l’Ordre, Serge Ravanel, le plus jeune colonel de la Résistance, libérateur de Toulouse, et beaucoup d’autres. 
Lucie Aubrac

J’ai gardé ensuite, et jusqu’à leur décès, des relations amicales, je dirais même de complicité, avec quelques-uns d’entre eux, notamment Raymond Aubrac et Serge Ravanel.

 La participation, comme observateur, à des comités interministériels me fait rencontrer nombre de ministres auxquels il m’arrive d’expliquer ce qu’est le commissariat de l’air !

Moi qui aime à la fois l’Histoire et la politique - au sens de politikos - je suis bien servi ! 

C’est un privilège de voir de près le Président chinois Jiang Zemin, le roi de Jordanie Abdallah II ou Nelson Mandela. Et aussi de m’entretenir quelques instants, à l’occasion d’une réunion interministérielle, avec Alain Geismar, l’un des leaders étudiants de Mai 68, alors conseiller du ministre de l’éducation nationale, ou, lors de l’inauguration du Mémorial Pegasus à Ranville (Calvados), avec Hubert Leclerc, l’un des quatre fils du maréchal.

La réception de la fédération mondiale des anciens combattants, quelques semaines avant mon départ, est une sorte d’apogée. Il m’est demandé d’organiser cette rencontre, en liaison avec le cabinet du secrétaire d’Etat aux anciens combattants, et d’élaborer un projet de discours pour le Premier ministre. Celui-ci m’invitera ensuite à l’accompagner dans ses entretiens avec les quelque 80 délégations présentes.

Cette aventure de cabinet a été une période heureuse de ma vie personnelle et professionnelle. Elle m’a permis de rencontrer, non seulement dans l’exercice de mes attributions succinctement décrites ci-dessus, mais aussi au secrétariat général du Gouvernement, dirigé par M. Jean-Marc Sauvé, et parmi les membres du cabinet civil, des personnalités remarquables avec lesquels j’ai établi des relations de confiance et de convivialité dont certaines perdurent aujourd’hui. 

Elle a été, dans une conjoncture politique exceptionnelle, un poste d’observation privilégié du fonctionnement de l’Etat, obligeant à un égal devoir de loyauté et de réserve à l’égard non seulement du Premier ministre, mon « employeur », mais aussi du Président, chef des armées. À cet égard, les rencontres biannuelles avec nos homologues de l’état-major particulier du Président ont été bien utiles pour ajuster nos comportements.  

Il m’avait été recommandé, en arrivant, de faire preuve de capacité de discernement, de tact et de sens politique. J’ai essayé de suivre ces conseils.

Avant de rejoindre ma nouvelle affectation et de laisser la place au commissaire colonel Yves Reymondet, le Premier ministre m’a reçu chaleureusement en tête-à-tête le 21 décembre 2000. Au « pot » qui a suivi dans l’un des grands salons, le Premier ministre, après m’être exprimé comme membre du cabinet, comme militaire et comme citoyen, m’a souhaité « une bonne cohabitation à Bordeaux » (la politique, toujours !) et bonne chance dans l’exercice de mes nouvelles fonctions sur un territoire qui, je le cite, « n’est après tout que la moitié du mien ! » (l’humour, toujours !).