jeudi 8 juillet 2021

Le Commissaire général Lucien Lenoir (1909 - 2004)

Par le commissaire général (2S) François Aubry

Lucien Lenoir nait, à Denain, le 12 décembre 1909. On ne sait rien de sa jeunesse, passée dans le bassin minier du nord de la France, avant le 6 février 1928 date à laquelle il s’engage dans l’aéronautique militaire devant la sous-intendance d’Avesnes, petite bourgade située à une heure de Denain.

Dans l’Armée de l’air en gestation

 Il effectue sa formation militaire élémentaire dans un GOA (groupe d’ouvriers de l’aéronautique) avant de rejoindre le 22ème régiment d’aviation de bombardement de nuit (RABN) à Chartres. Lucien Lenoir fait partie du personnel navigant, dans la spécialité de radio-télégraphiste. Il opère sur Farman F-60 Goliath à la 2ème escadrille du régiment où il obtient le grade de sergent le 20 juin 1930 (1).  

Farman Goliath
La création de l’Armée de l’air en 1933 entraine de nombreuses réorganisations dont le sergent Lenoir va subir directement les effets. Le 22ème RA devient la 22ème EALD (escadre d’aviation lourde de défense) tout en gardant les mêmes avions et la même mission de nuit. Deux ans plus tard, il quitte le personnel navigant pour passer dans le service général de l’escadre. Enfin, la permutation du premier groupe de la 22ème EALD (auquel appartient la 2ème escadrille) avec le premier groupe de la 6ème EC (escadre de chasse nouvellement créée) lui permet d’être affecté à Reims, se rapprochant ainsi un peu de sa région d’origine.

Une autre vie commence pour lui en 1938. Tout d’abord avec sa nomination au grade de sergent-chef le 1er juillet et, surtout, après avoir passé avec succès le concours pour devenir officier, en intégrant trois mois plus tard l’école militaire de l’aéronautique à Versailles. Sa promotion, la quatrième, est la plus nombreuse de toutes les promotions de l’école militaire de l’air. Parmi ses 52 camarades, quatre le retrouveront plus tard dans le commissariat de l’air (2).

A peine sorti de Versailles, le sous-lieutenant Lenoir est pris dans la tourmente de la guerre. D’abord affecté à Châteauroux, il rejoint en fait Istres puis, le 20 mai 1940, passe en Algérie sur la base-école de Tafraoui (3). Un an plus tard, il est promu lieutenant sur la base aérienne 202 d’Oran - La Sénia où le débarquement de novembre 1942 a des effets particulièrement tumultueux. La BA 202 ayant été mise rapidement à la disposition des Américains, Lucien Lenoir est muté le 18 mars comme officier des détails de la Compagnie de l’air n° 17 de Beni Ousif (4) près de Colomb Béchard, loin des querelles politiques algéroises. 

Bloch 200 à  El-Aouina
Appelé en juin 1943 à l’état-major du corps expéditionnaire en cours de formation, il part en Tunisie comme officier des détails du Groupe de bombardement 1/25, alors sur Bloch 200 et en pleine restructuration. Le GB 1/25 est spécialisé dans le bombardement de nuit, activité qui est familière à Lucien Lenoir, groupe qui se transforme en « squadron 347 Tunisie » en rejoignant le Bomber Command de la RAF. Le groupe embarque avec son officier des détails pour la Grande-Bretagne où il arrive le 9 octobre 1943, via Liverpool, pour s’installer d’abord à West Kirby puis à Elvington en mai 1944, pour débuter sa campagne opérationnelle avec ses bombardiers Halifax. 

Dans le commissariat de l’air en formation

Nommé capitaine en septembre 1944 au moment où l’Armée de l’air se réinstalle au ministère de l’air à Balard, Lucien Lenoir quitte l’Angleterre et rentre en France via Ostende sur un navire britannique. La nouvelle Intendance de l’air organise son service, créant notamment une direction régionale par région aérienne. La capitaine Lenoir est affecté à la direction de la 2ème RA, installée à Paris rue Saint-Didier (5). C’est là qu’il découvre une ‘Intendance de l’air’ qui ne va pas tarder à devenir le ‘commissariat de l’air’

Le 15 octobre 1946, il est admis dans la section air de l’Ecole supérieure d’intendance, en même temps que son camarade Jean Le Prunenec  et trois autres anciens EOA de Versailles (6). A l’issue de sa scolarité, il retourne en direction régionale mais cette fois à Bordeaux et comme commissaire-ordonnateur adjoint (capitaine). 

Livraison de rations
La guerre d’Indochine exige la mise en place de nouveaux moyens et donc de structures administratives, ce qui explique qu’à peine un an après son arrivée à Bordeaux il rejoint Hanoï, et qui plus est, par avion militaire ce qui est très rare à l’époque et signe d’urgence. Il est le premier chef de service du CBA 770 de Hanoï d’où il administre tous les éléments air implantés au Nord-Vietnam. Nommé commissaire-commandant pendant son séjour, il rentre en France à bord d’un avion d’Air France le 5 août 1951.

Les méthodes de l’USAF ayant fortement marqué les esprits pendant la guerre, un embryon de défense aérienne du territoire (DAT) est mis en place en France. Le commandant Lenoir traite les questions administratives pendant deux ans à l’état-major de la DAT. Au milieu de l’année 1953, il repart outre-mer, de nouveau par voie aérienne, pour se rendre à Madagascar. A Tananarive, il dirige un organisme à double vocation, à la fois direction et commissariat des bases pour l’Afrique orientale. Il a aussi sous sa responsabilité un magasin d’approvisionnement implanté à Ivato (MRH 790) dont il prépare le transfert à Tananarive-Antaniména avec une nouvelle appellation : ERCA 790 (établissement régional). Les soldes du territoire sont payées par les moyens administratifs de la BA 181. Quatre mois après son arrivée, il porte les galons de lieutenant-colonel et, après une prolongation d’un an, rentre en France le 1er juillet 1956.

A l’issue de son congé de fin de séjour, le ltt-colonel Lenoir est appelé auprès du secrétaire d’Etat à l’Air (7) en tant qu’adjoint du chef de la section administrative. L’opération aéroportée franco-anglaise est en cours de préparation sur Suez et il se trouve aux premières loges pour suivre, et appuyer, la première OPEX du commissariat de l’air qui mettra les imaginations à rude épreuve (8). 

Son troisième séjour outre-mer commence à Dakar, en 1961, où il est directeur du commissariat de l’air en Afrique de l’Ouest. L’accession à l’indépendance des anciens pays coloniaux modifie les méthodes de travail mais il s’en accommode facilement et bénéficie d’une prolongation de séjour d’un an.

Insigne SFCA

Le 25 septembre 1964 le colonel Lenoir devient adjoint à l’Inspecteur du Commissariat de l’Armée de l’air (Guy Le Forestier, puis Maurice Vaillant). Les réflexions ministérielles en cours sur la fonction d’inspection conduisent au rattachement de l’ICAA à la DCCA dans un premier temps, puis - au bout de deux ans - à un retour à la séparation. C’est à partir du 1er octobre 1966 que le commissaire colonel Lenoir est nommé directeur du SFCA (Service des fabrications du commissariat de l’air) à Ris Orangis (9). Il est en même temps le commandant de la base aérienne 290 qui soutient l’établissement.

 A 56 ans, il est nommé général et accède à la deuxième section. C’est à Neuilly qu’il se retire, dans sa maison des Hespérides, entouré de ses enfants et de son neveu, le colonel Gaston Salis (10). Il revoit régulièrement ses amis de l’aviation, qu’ils soient commissaires comme Guy Le Forestier, Gérard Daume, Raymond Huguet et Robert Stiot, ou anciens pilotes comme André Duranthon, Robert Roussillat ou Humbert Gazanno. 

Le général Lucien Lenoir décède le 21 décembre 2004.

Source : Dossier individuel archivé au SHD réf : DE 2013 ZL 153 444

Notes :

1/ Il épouse Berthe Barthélémy le 3 mars 1931, qui lui donnera deux garçons et deux filles dont l’une épousera un commissaire de l’air, François Kernéis.

2/ Jacques Amann (1913-2013), Paul Bordes (1908-1994), Gérard Daume (1914-1987), Jean Le Prunenec (1911-1996).

3/ Base aérienne proche d’Oran, créée par l’aéronavale, et qui est aujourd’hui l’équivalent de l’école de l’air de Salon pour l’Algérie.

4/ En 1947, le site est utilisé comme Centre d’essais pour développer les « engins spéciaux » (fusées).

5/ voir notre article : « Les premiers commissaires ordonnateurs de l’air (épisode 5 : 1944) » (juin 2018)

6/ Philippe Roblin (1912-2001), Georges Dupressy (1907-1990) et Maurice Humbert (1916-2016).

7/ Lucien Lenoir connaitra dans cette affectation les deux derniers « secrétaires d’Etat aux forces armées air » (Henri Laforest et Louis Christiaens) ; les deux « délégués pour l’administration de l’Armée de l’air » (Joseph Roos, Pierre Chatenet) et les premiers « délégué ministériel à l’air » (Jean Blancard et Pierre Guillaumat).

8/ Voir articles AMICAA : « Un commissaire de l’air à Chypre en 1956 » par le commissaire général (2S) René Rame (mars 2016) ; « Suez 1956, première OPEX du Commissariat de l'air » par le commissaire général François Aubry (novembre, décembre 2016)

9/ Etablissement en charge de la passation des marchés d’habillement avec les industries de ce secteur.

10/ Nombreux dans le commissariat de l’air et particulièrement au SACA ont pu apprécier son épouse Françoise Salis, qui dirigea durant de longues années le « bureau des familles » de l’Armée de l’air.

Voir aussi : « Mémoires d’un aviateur dans un French squadron du Bomber command- Le soutien des combattants dans la RAF pendant la guerre » (juillet 2019)