mercredi 24 février 2021

Le commissaire colonel Jean-Marie Delafon, entre active et réserve


Saint-cyrien sans être passé par l’École Spéciale Militaire (ESM), aviateur passé dans l’industrie, commissaire de l’air issu des réserves, Jean-Marie Delafon incarne une époque où la mobilité n’était pas un vain mot.

Né à Reims le 18 octobre 1899, il n’a pas encore dix-huit ans lorsqu’à Versailles, il s’engage le 1er août 1917 pour la durée de la guerre. Son bac scientifique lui permet de présenter avec succès le concours de l’ESM de Saint-Cyr où il est admis au « centre d’élèves aspirants » - puisque l’école elle-même a été mise en sommeil - et s’engage ainsi comme officier d’active. Parmi ses camarades, deux sont promis à un brillant avenir : Martial Valin et Raoul Salan (1).

Un chasseur alpin sur tous les fronts

La guerre s’achève au moment où il termine sa formation au 169ème RI. Promu sous-lieutenant en septembre 1919, il rejoint trois mois plus tard les chasseurs alpins dont le 13ème bataillon (BCA) est alors en Haute Silésie. Sa mission d’interposition et sa détermination lui valent une citation : « Officier de renseignement chargé d’aller reconnaître une destruction de voie ferrée, s’est rendu sur les lieux malgré la mauvaise volonté des policiers allemands cherchant à lui créer des difficultés » (2). Sa parfaite connaissance de la langue allemande lui a probablement facilité les choses.

Défilé de chasseurs alpins à Obone - Haute-Silésie

De retour en France, à Chambéry où il va désormais se fixer, il suit brièvement un cours de transmetteur avant de retourner en Allemagne en mai 1923. Il s’applique alors à la bonne exécution des clauses du traité de Versailles. Revenu à Chambéry comme instructeur, il effectue quelques stages, qui prouvent une volonté permanente de perfectionnement, avant que 13ème BCA soit à nouveau appelé en intervention, cette fois en Tunisie, mais il n’y reste que trois mois. Le capitaine Delafon tente alors l’Ecole de guerre en 1925. Son échec à l’oral le conduit à modifier le cours de sa carrière en s’orientant vers l’aviation.

L’aviateur militaire sans emploi passe dans le civil

Chambéry n’est pas loin de Lyon Bron où se trouve le 35ème régiment d’aviation, unité mixte spécialisée dans l'observation et la chasse.  Il suit les cours avec succès et obtient le 19 juillet 1926 le brevet d’observateur (n° 248), mais l’embauche ne suit pas dans cette aéronautique militaire qui peine à se développer entre les deux guerres. 

Jean-Marie Delafon commence alors une autre vie en 1927.  Il prend d’abord un congé sans solde de trois ans qui se transforme rapidement en démission en 1930. Passé à la vie civile, il entame une carrière d’industriel qu’il va mener pendant quinze ans tout en restant, comme réserviste, fidèle à sa vocation première. Il se marie en novembre 1927 et aura cinq enfants (3). 

Promu capitaine de réserve en 1935, il est toujours à ce grade lorsque se déclenche la « drôle de guerre » qui voit son rappel à la vie militaire. Bien que sa situation familiale lui permette de rester à l’arrière, il demande à servir au front mais se retrouve affecté à la section d’observation des forces aériennes de la 1ère armée terrestre où il occupe un poste d’état-major aux 1er et 4ème bureau. L’armée de l’air ayant été créée après sa démission de l’armée active, il appartient encore à l’armée de terre et au 13ème BCA.  Le 6 mai 1940, en pleine débâcle, il reçoit enfin l’autorisation de changer d’armée, devenant capitaine de réserve de l’armée de l’air dans le cadre sédentaire. Deux mois après la signature de l’armistice il est rendu à la vie civile. Début 1945, il est détaché comme réserviste à la direction de l’intendance de l’air.

Un commissaire de l’air polyvalent

Les motifs de son retour à la vie militaire en mai 1945 sont inconnus mais il est avéré qu’à cette date, il est autorisé à servir, « en situation d’activité et temporairement », auprès de la 1ère Tactical Air Force. A cette époque, l’intendance de l’air a un projet de développement nécessitant 304 commissaires alors qu’elle n’en dispose que d’une cinquantaine. Jean Delafon est détaché auprès du commissaire ordonnateur de 3è classe (CO3) Lamouille, responsable de l’intendance de l’air de la 1ère DIVAR en Allemagne (4). Le 1er décembre 1945, il intègre le cadre auxiliaire (réserviste) des commissaires-ordonnateurs de l’air au grade de commandant (CO3). Cette décision provoque un imbroglio juridique qui le maintient pour une longue période dans une situation juridique précaire où son contrat peut être interrompu à la fin de chaque mois. S’y ajoutent les enquêtes sur la conduite de tous ceux qui, à la Libération, n’avaient pas anticipé le bon camp. 

Si le titre de Résistant lui est refusé malgré sa demande, rien ne lui reproché sur ce plan. Ses autres soucis sont d’ordre pratique et juridique. Tout d’abord, doit-il suivre le stage de formation exigé pour les capitaines (commissaires adjoints) ? Le général Perret qui dirige l’Intendance de l’air tranche par la négative car son affectation en Allemagne est urgente. Mais pour ce qui est de l’avancement, ce n’est pas le directeur central qui décide mais la DPAA (direction du personnel de l’armée de l’air). L’enjeu est double : son activation et la date de départ de sa prise de grade.

Le 7 janvier 1948 il est nommé « chef de service par intérim » du CBA 771 de Friedrischafen avant de devenir le responsable de la « section de production ». Il est donc responsable de l’achat des matériels du commissariat en zone occupée. C’est seulement à ce moment là que sa situation est régularisée, à l’issue d’un bras de fer entre administrations qui dure plusieurs mois et grâce à un soutien sans faille de son directeur central. Jean-Marie Delafon obtient satisfaction : il est nommé rétroactivement commissaire commandant, au titre de l’active et à titre définitif.

En décembre 1948, il revient à Lyon et prend la direction du CBA 758, poste qu’il  occupe pendant presque dix ans. Nommé commissaire colonel en avril 1955, il se retire deux ans plus tard - à sa limite d’âge - à Saint-Cassin en Savoie. Replacé dans la réserve, il fera encore deux périodes sur la base aérienne 725 de Chambéry, ville où il décède le 9 septembre 1969.

Chevalier de la Légion d’honneur en 1950 puis officier en 1963, il totalisait 65 heures de vol (4).

Référence : Dossier individuel SHD AI 1P 325 33 1

Notes :

1/ Martial Valin (1898-1980) Raoul Salan (1899-1984). La liste complète de la 101ème promotion - 1917/1918 - de Saint-Cyr, « Sainte Odile et de la Fayette », figure sur internet.

2/ Citation à l’ordre de la 92ème brigade n°4 du 17 juillet 1922

3/ Son épouse est mademoiselle Salteur de Serraz. Les enfants : Anne-Françoise née en 1928, Michel en 1930, Patrick en 1932, Bertrand en 1934 et Roseline en 1940.

4/ 1ère division aérienne- voir notre article de juin 2018 "Les premiers commissaires ordonnateurs de l'air (épisode 5: 1944)".

5/ Autres décorations : médailles commémoratives des deux guerres, Officier du mérite agricole, médaille commémorative de Haute-Silésie.