jeudi 30 juillet 2020

Commissaire des armées : quelle identité ?

Dans le cadre du colloque "Symbolique, traditions et identités militaires" organisé en 2017 par le SHD et la revue Inflexions, notre camarade, le CRC1 (R) Jacques Aben, professeur émérite à l’université de Montpellier, a rédigé une étude sur  "Le commissaire des armées : Une recherche d’identité entre tradition et nécessité".

Nous en diffusons un extrait, avec l'accord de l'auteur, en invitant nos lecteurs à lire l'étude complète, sur un sujet qui nous est cher.

Le commissaire des armées : Une recherche d’identité entre tradition et nécessité
« 1 - Introduction

Le 5 décembre 2009, le journal officiel publiait un décret 2009-1494 annonçant sobrement une réforme de la partie réglementaire du code de la défense visant essentiellement la «création du service du commissariat des armées » et dont le premier élément était que « Le service du commissariat des armées relève du chef d'état-major des armées. Il est le service d'administration générale des armées et participe à leur soutien comme à celui de la gendarmerie nationale pour l'exercice de ses missions militaires » (article 1).



Cette présentation somme toute modeste cachait en réalité un véritable bouleversement, au moins du point de vue de tous ceux qui ont connu de près ou de loin les services des commissariats de la marine, de l’air et de l’armée de terre (par ordre de création). A tel point que, dans les mois qui ont précédé cette publication, des officiers généraux des armes n’hésitaient pas à parler de la menace de recréer une « armée du soutien », de funeste mémoire. Et encore cette réforme laissait-elle en place ce qui pourrait apparaître comme l’essentiel, c’est-à-dire les hommes : « Le service du commissariat des armées assure le recrutement, la gestion et l'administration des militaires d'active et de réserve des corps des commissaires de l'armée de terre, de la marine et de l'air, ainsi que ceux du corps des maîtres ouvriers des armées. Il exerce les mêmes attributions pour les officiers sous contrat rattachés aux trois corps de commissaires » (article 2).

En effet, l’existence des trois corps avait été réaffirmée à peine 15 mois plus tôt par le décret 2008-950 « portant statut particulier des corps des commissaires de l'armée de terre, des commissaires de la marine et des commissaires de l'air » (2). Mais en même temps, ce décret était le premier qui traitait simultanément des trois corps de commissaires et il venait en outre consacrer indirectement la pratique du concours commun (article 4) : « Seul le concours prévu au 1° est commun aux trois écoles (3) ». En d’autres termes, du chemin avait été fait depuis la transformation du corps des intendants en corps des commissaires de l’armée de terre, puisque le décret correspondant (84-173 du 12 mars 1984) n’avait donné lieu à aucune interférence avec les décrets administrant les deux autres corps. Il faudra néanmoins attendre encore trois ans après la création d’un service du commissariat des armées en lieu en place des trois services de commissariat d’armées, pour qu’enfin les corps de commissaires soient fusionnés et que naisse le corps des commissaires des armées (décret 2012-1029 du 5 septembre 2012).

Après des années de rapprochements entre les trois commissariats, notamment marqués par la création d’un comité de coordination des commissariats (4), par la mise en place d’un concours de recrutement commun aux trois corps, par une politique de coordination des approvisionnements vestimentaires, et finalement par la création d’un service commun aux trois armées, étendu au service de santé des armées et à la direction générale de l’armement, on aurait pu imaginer que la création d’un corps de commissaire des armées serait intervenue en même temps que la fusion des services, surtout en constatant les dispositions de l’article 35 du décret : « Les commissaires des armées exercent les attributions que les lois et règlements en vigueur confèrent aux commissaires de l'armée de terre, aux commissaires de la marine et aux commissaires de l'air, dont le statut était, antérieurement à l'entrée en vigueur du présent décret, défini par le décret n° 2008- 950 ».

Si la fusion des corps de commissaires a nécessité un délai aussi long, c’est probablement que l’unification, par elle-même, attentait à un autre essentiel que les attributions, et cet essentiel ne pouvait alors être que l’identité liée à une culture d’armée. D’ailleurs si la dureté des temps n’avait pas dicté une profonde réforme des armées, la question n’aurait sans doute jamais été posée, au delà des pétitions de principe. Cette hypothèse semble tout à fait accréditée par le point de vue livré par l’amiral (cr) Xavier Magne : « Cela explique-t-il l'apparente désinvolture avec laquelle le dossier de la fusion des corps du commissariat semble avoir été traitée. Honnêtement, je ne le crois pas. Au début des années 2000, l’amiral Battet avait bien anticipé cette possible évolution et, par conséquent, avait proposé l’intégration des commissaires de marine au sein du corps des officiers de marine. L’école du commissariat de la marine avait alors migré vers le Poulmic. Pour avoir suivi de loin ce dossier à partir de 2007, je peux témoigner du fait que les patrons concernés étaient sous la vague des changements. Leur première préoccupation était de sauver les meubles, de préserver ce qui leur semblait le plus important – vous me direz que tout est affaire d'appréciation des priorités »(5). Et donc, ce qui « semblait le plus important » était d’avoir des marins assumant des fonctions de haute administration, plutôt que des commissaires servant dans la marine nationale.

Néanmoins un compromis a été trouvé avec la notion d’ancrage : « un lien fort avec [les armées ou services] au sein desquels un grand nombre de commissaires sont appelés à servir (…) Ce lien exprime une part importante de la militarité du corps »(6). Mais si l’identité d’armée a autant d’importance, on peut imaginer que la création et l’établissement d’un corps interarmées héritier de traditions multiséculaires n’aura pas été chose facile et aura nécessité de très fins arbitrages pour le choix de tous les attributs ayant vocation à identifier ses membres. A cet égard le soin particulier qui a été pris pour dénommer les premières promotions d’élèves commissaires des armées est remarquable : « Charnière » (7) ; « Première ligne » ; « Provence » ; « Valmy » ; « Voie sacrée », autant d’appellations qui permettent de ne pas mettre en avant le nom d’un grand ancien qui, par la force des choses, appartiendrait à l’histoire d’une armée plutôt que d’une autre (8).

Le décret portant statut particulier du corps des commissaires des armées est indiscutablement le premier moyen d’identifier un commissaire, puisqu’il fixe son état militaire, sa fonction, son recrutement, sa formation, sa nomination et son ordre de prise de rang, et enfin son avancement. Dans cette liste, l’élément vraiment discriminant par rapport à d’autres militaires en tout cas, est la fonction. Elle fait des commissaires des officiers des services et non des armes, donc en position de subordination relative, même si, sur le terrain - qui, aujourd’hui, justifie l’état militaire - cette distinction entre services et armes est souvent amenée à s’estomper : les projectiles et les engins explosifs, improvisés ou non, ne connaissent pas la différence. Cette spécificité étant une donnée, il reste à décider si cet officier d’un service particulier doit être distinguable des officiers des armes, voire des autres officiers des services, par son appellation et par sa tenue, ou au contraire noyé dans la masse.

Ce sont donc les choix formulés, au cours du temps, sur ces trois points : appellation, état militaire et tenue, qui seront étudiés dans ce qui suit. C’est en effet dans cet ordre que l’étude est amenée à les connaître. S’agissant de traiter de traditions, eu égard au temps imparti à cette recherche, c’est dans l’étude des textes que cela s’est fait, avec cet avantage particulier qu’offre aujourd’hui la numérisation, que ce soit celle de la Bibliothèque nationale de France, avec le projet Gallica, ou celle de l’entreprise américaine Google, qui mettent à la disposition du lecteur, une masse considérable de documents anciens ou contemporains, ainsi que les moteurs de recherche nécessaires. Identifier des sources originales chaque fois que cela est possible évite de tomber dans le syndrome de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ».

Notes

2 Evidemment mis à jour en 2010 (décret 2010-881), pour prendre en considération l’existence nouvelle d’un service unique du commissariat. Ce qui voudrait dire qu’à ce moment-là personne ne se doutait qu’il était vain de faire une réforme qui avait toutes les chances d’être remise en cause à brève échéance.
3 Concours sur épreuves, parmi les candidats titulaires de l'un des diplômes exigés des candidats au concours externe de l'Ecole nationale d'administration et âgés de vingt-six ans au plus.
4 Par arrêté du 17 mars 1995.
5 Xavier Magne, « Les commissaires », Commissariat et Marine, n°84, mai 2014, pp.4-5. Le fait que l’amiral Magne utilise la locution adverbiale « par conséquent » semble montrer qu’il trouvait naturelle cette posture de défense de la « marinité ». Néanmoins, il se trompait, lorsqu’il ne comptait que sur l’effet d’un stage « embruns » en mer d’Iroise pour dissuader les jeunes commissaires d’autres ancrages de réclamer des affectations embarquées, oubliant que le décret statutaire l’interdit par l’avant-dernier alinéa de son article 1 : « Lorsqu'ils sont officiers subalternes, ils ne peuvent être affectés dans une armée différente de celle au sein de laquelle ils ont effectué la formation spécifique prévue aux articles 13 à 15 du présent décret ». Pour être équitable, il faut ajouter que les autres états-majors d’armées n’ont pas vu d’un bon œil « leurs » commissaires leur échapper, craignant en outre la création d’une « armée du soutien » rappelant sinistrement la défaite de 1870
6 Circulaire 6165 du 23 octobre 2013, relative aux insignes d’ancrage des commissaires des armées, p.1.
7 Cette promotion particulière regroupe, pour mémoire, les derniers commissaires sous-lieutenants entrés dans les écoles de commissaires de chacune des armées. [A noter que les promotions de l’école du commissariat de l’air n’ont jamais eu de nom de baptême proprement commissariat, et les premières promotions – du fait de la forte intégration « institutionnelle » EA-ECA - ont porté le nom de leur promo EA, tradition qui a disparu avec le temps- NDLR]
8 Encore que l’on n’ait pas vu beaucoup de marins ni à Valmy en 1792, ni sur la Voie sacrée en 1916.

Étude diffusée sur le site "L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL", structure destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. (réf du site : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02416639/document)