mercredi 13 mai 2020

Un réserviste servant sans réserve : le commissaire colonel Marcel Koch

par le commissaire général (2S) François Aubry

En intitulant « Servir », le livre de souvenirs qu’il a écrit à la fin de sa vie, Marcel Koch en a donné la clé : que ce soit à titre civil, comme chef d’entreprise, ou dans l’armée, dont il plaçait les valeurs au-dessus de tout, il a incarné une conception originale du commandement qui consistait à se mettre au service de la collectivité.

Discret sur sa jeunesse et sur sa vie personnelle, on sait qu’il est né le 4
février 1905 à Roubaix, haut lieu de l’industrie textile à laquelle il consacrera toute son existence. Après un bac scientifique, il se spécialise au CNAM dans le domaine de la filature et du tissage ainsi que dans la chimie tinctoriale. Il maîtrise couramment l’allemand et s’intéresse, à titre personnel, aux méthodes d’organisation du travail avec une prédilection particulière pour celles de Fayol (1).


Au service de l’armée de terre

En 1924, dès l’âge de 19 ans, il devance l’appel pour faire son service militaire dans l’arme savante de l’artillerie où il restera dix-huit mois avant de se lancer dans les affaires et créer sa propre entreprise, la sarl HEKO, spécialisée dans les tissus en gros (2). Il se marie vers la même époque et aura trois enfants dont un fils polytechnicien et deux filles.

Son intérêt pour l’armée ne faiblit pas puisqu’en 1937 il est officier de réserve, comme officier d’administration où ses connaissances en comptabilité et en droit le portent naturellement. Il se prépare même pour présenter le concours d’intendant mais la guerre approche, et c’est sous contrat qu’il intègre le cadre des auxiliaires de l’Intendance, au grade de sous-lieutenant, dans la spécialité habillement/ couchage.

La déclaration de guerre le surprend pendant ses vacances en Dordogne. Dès le 2 septembre 1939, il est affecté à Amiens dans un magasin régional d’habillement qu’il quitte rapidement pour aller à Sissonne, diriger une annexe chargée de ravitailler 12 000 hommes. Là, il découvre avec stupeur l’état d’impréparation matérielle et morale de l’armée. Alors qu’il lui faudrait des véhicules pour transporter la marchandise, il ne dispose que de chevaux, et l’une de ses missions consiste à faire fabriquer des sabots ! La rencontre de quelques individualités, exceptionnelles tant par leur nombre que par leur qualité, lui permet de limiter les dégâts.

Montcornet
Mais le pire se produit le 10 mai 1940. Il est sous les bombes dès le lendemain, avec pour seul moyen de défense quelques fusils modèle 1886. Un ordre de repli lui est donné au bout d’une semaine et il apprendra, bien plus tard, que c’est grâce aux chars de Montcornet (3) qu’il n’a pas été capturé. Commence alors une retraite, ponctuée de bombardements quotidiens et mortels, où la médiocrité des comportements se donne libre cours, facilitée par l’anarchie générale. Dans ce flot de misère, il croise le convoi de la Banque de France chargé de mettre les réserves d’or en lieu sûr.
C’est l’intendance de Pau qui recueille finalement ce qui reste de son unité et c’est dans cette ville qu’il prend connaissance de l’appel du 18 juin. Désirant rejoindre Londres, mais refoulé à Saint-Jean-de-Luz, il est démobilisé au mois d’octobre et revient à Paris.

Au service de la Résistance

Le retour à la vie civile n’est pas synonyme de retour au calme. Les lois anti-juives édictées au même moment l’obligent à confier à une tierce personne la gestion de son entreprise, à prendre le nom d’emprunt de Dupont et à déménager à Athis-Mons. C’est dans ce contexte qu’il s’engage dans la Résistance. Modestement d’abord, se contentant de transmettre quelques informations sur les mouvements observés dans la gare de triage que son logement surplombe.

F. Grenier
Ses amis de jeunesse, du temps où il était membre du parti socialiste et de « l’association des amis de l’URSS », le contactent après l’opération Barbarossa. C’est ainsi qu’il participe à la ‘planque’ de Fernand Grenier avant son exfiltration vers Londres en compagnie de Rémy début janvier 1943 (4).
Colonel Rémy
L’espoir étant revenu avec le débarquement allié au Maroc et en Algérie, Marcel Koch, qui possède une maison de famille à Saintry (aujourd’hui dans l’Essonne), s’est engagé avec des voisins de la région de Corbeil dans la constitution de stocks d’armes. Le 1er juin 1944, il s’engage dans les FFI.

Le débarquement du 6 juin est le catalyseur de l’action directe. Dans la mouvance des corps francs organisés sous l’égide du mouvement Libération-nord, il dirige une unité baptisée Vengeance. Sous le pseudonyme de lieutenant ‘Leblanc’, il commande une soixantaine de jeunes maquisards camouflés en fabricants de charbon de bois dans la forêt de Sénard. Le militaire fait appel à l’industriel et son entreprise fabrique des milliers de brassards et de drapeaux tricolores qui refleuriront bientôt dans le Paris libéré. Mais pour le moment, son unité FFI affronte des Allemands peu enclins à quitter le terrain. Lorsqu’arrivent les chars de Patton, il a fait 167 prisonniers. Le général Koenig le cite à l’ordre de la Division en lui attribuant la Croix de guerre avec une étoile d’argent. Débute alors un autre combat dans la France libérée, celui des règlements de comptes politiques et de la reconstitution laborieuse de l’armée française.

Le 20 septembre 1944, sa situation militaire est normalisée. Retrouvant sa véritable identité, le capitaine Marcel Koch - au prix d’une fausse déclaration le rajeunissant de dix ans - prend la tête d’un éphémère « bataillon de sécurité 105/22 ». Constitué de 900 hommes, il mêle FTP, réfugiés espagnols, maquisards en rupture de STO (5) et autres jeunes en mal d’aventures dont le seul point commun est de vouloir chasser les Allemands.

Marcel Koch, qui ambitionne de suivre le général de Lattre, doit quitter son poste de commandement en novembre 1944 pour suivre un stage à l’École des cadres de l’Infanterie à Versailles. En janvier 1945, suite à des problèmes internes au sein de son unité (6), il est reçu par le général Koenig qui lui propose d’intégrer l’Intendance de l’air que le commissaire général Perret est en train de mettre sur pied au même moment, avec difficulté.(7)

Au service du commissariat de l'air

Cre général Perret
Le 20 janvier 1945 il rejoint la DIAAA où il est reçu par le commissaire général Perret avant de partager pendant quelques jours le bureau du lieutenant Daume (8). Sa situation devant être régularisée, il demande en février à bénéficier d’un changement d'armée et à rejoindre « l’intendance du ministère de l’air » (dénomination du moment), précisant qu’il a « de nombreuses attaches avec l’Armée de l’air, notamment en tant que président de l’aéro-club de Corbeil-Essonne (L’oiseau blanc) » et qu’il s’occupe de sports aériens et de préparation militaire Air.

En mars 1945, il est mis à la disposition du bureau technique de la DIAAA (7), dirigé à cette époque par le commissaire de 1ère classe Georges Costes. La guerre n’est pas encore finie et le bureau technique élabore un casque pour les aviateurs au sol, inspiré du modèle américain, pour remplacer celui en dotation qui datait de l’époque de la cavalerie.

En attendant ce changement d’armée, étant toujours géré par l’armée de terre, il est nommé lieutenant (terre) le 25 mars 1945, perdant ainsi son grade de capitaine FFI. Son changement d’armée s’effectue sans difficulté, étant admis « dans le cadre auxiliaire du corps des commissaires ordonnateurs de l’air et des attachés à l’intendance de l’air » à compter du 1er septembre 1945.

Alla Dumesnil
Une expédition rocambolesque le conduit en Allemagne, dans la zone britannique, pour soustraire des produits chimiques inexistants en France et indispensables en teinturerie. Par ailleurs, avec Alla Dumesnil (9), il fait confectionner par le maître tailleur de la BA 117 une tenue pour le personnel féminin de l’Armée de l’air. Cette tenue restera à l’état de prototype, les femmes n’étant plus encouragées à rester dans l’Armée de l’air après le départ du général de Gaulle.

Trois mois après sa nomination comme commissaire ordonnateur de l’air-adjoint (capitaine), il est démobilisé le 5 décembre 1945, affecté au Centre de rassemblement administratif du personnel (CRAP) de la 2ème région aérienne et retourne à ses affaires.

122 rue Réaumur
En trente ans, son entreprise, HEKO, va tripler de volume et, dans le même temps, il effectuera au moins une période chaque année dans les services du commissariat de l’air. Principalement à la direction centrale, deux fois en région aérienne et une fois au CBA de Creil. Avec le commissaire Tanguy, il étudie une tenue ‘grands froids’ expérimentée au mont Ventoux et qui sera utilisée par Maurice Herzog (10). Avec le commissaire Bistaudeau il met au point une méthode de sondages industriels pour les réceptions de matériels. Avec le commissaire Pomarede, il élabore des tables de normalisation des mesures pour l’habillement.

L’ANCRA (11) le compte parmi ses premiers adhérents et il en devient un vice-président. Membre également de l’ANORAA (officiers de réserve), il est nommé commissaire colonel en 1964. Trois ans plus tard, admis à l’honorariat, il reste fidèle au commissariat de l’air et, à 70 ans, participe encore à des journées nationales de réservistes à Solenzara.

A la demande de ses amis, il rédige ses « Mémoires de guerre » à 91 ans, notant que depuis son entrée dans l’honorariat, « l’évolution des techniques, des matériels et de la logistique a modifié de fond en comble les activités du Commissariat de l’air sous la pression de l’économique et de la politique ». Ce constat, valable pour le passé, l’était encore davantage pour l’avenir.

Décédé le 24 septembre 1998 à Boulogne-Billancourt, il a fait graver sur sa tombe, à Montmorency, une référence aux deux idéaux qu’il a servis toute sa vie : « commissaire colonel honoraire de l’armée de l’air et fondateur de la société HEKO ».

Commissaire général (2S) François Aubry

Sources :
SHD IP 34 537 dossier individuel du commissaire Marcel Koch.
«SERVIR, honneur- patrie » Mémoires de guerre et de la résistance. Éditions du Mémogramme, 1996.

Notes :
1/ Henri Fayol (1841-1925). Ingénieur des mines et précurseur des méthodes de management. Il définit les fonctions de l’entreprise et résume la fonction administrative par POCCC (prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler).
A l’ECA, la formule deviendra QQOQC/C.
2/ Située 122 rue Réaumur, dans le10ème  arrondissement, la société HEKO est créée en 1929 en partenariat avec son frère Raymond. L’entreprise emploie 127 personnes au départ.
3/ La bataille de Montcornet, menée le 17 mai 1940, est une des rares contre-offensives françaises du moment. Menée par la 4ème division cuirassée, commandée par le colonel de Gaulle, elle n’a permis qu’une action retardatrice.
Une vingtaine de kilomètres séparent Sissonne de Montcornet.
4/ Fernand Grenier (1901-1922). Ouvrier boulanger à Tourcoing, devient secrétaire de l’Association des amis de l’URSS à laquelle adhère Marcel Koch avant 1939. Chargé par le PC, fin 1942, d’établir un lien avec le général de Gaulle dont il sera le premier Commissaire à l’air le 4 avril 1944 et son ministre jusqu’au 9 septembre de la même année.
Colonel Rémy (1904-1984). Résistant d’extrême-droite de la première heure. Multiplie les réseaux de la Résistance dans la France occupée, en liaison avec Londres. Après la guerre, il défendra la thèse des « deux cordes »(ou « du bouclier et de l’épée »).
5/ Service du travail obligatoire. Instauré le 13 février 1943 pour envoyer des ouvriers français dans les usines allemandes.
6/ Suite à des rivalités politiques, exacerbées durant cette période, se voit infligé soixante jours d’arrêts, avec remise de peine accordée par le général Koenig
7/ Voir nos articles : « Histoire du commissariat de l'air (2/7) » ; « Les premiers commissaires ordonnateurs de l’air (épisode 5 : 1944) » et «  (épisode 6 : 1945/1947) »
8/ Gérard Daume (1914-1987) Engagé comme mécanicien dans l’armée de l’air en 1932. EMA 1938. Officier d’administration à la DIAAA en 1944. Commissaire en 1947. Directeur central de 1971 à 1975.
9/ Alla Dumesnil (1913-1990) Volontaire dans l’Infanterie en 1939, elle s’engage dans les FAFL en 1940, elle crée une section des « filles de l’air ». Nommée commandant des forces féminines de l’air de 1943 au 16 février 1946, date à laquelle elle quitte le service. Voir le livre du commissaire Raymond Caire « La femme militaire des origines à nos jours ». Lavauzelle 1981.
10/ Maurice Herzog (1919-2012) Homme politique et Secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports en 1965. Il fait partie de la première expédition victorieuse de l’Annapurna le 3 juin 1950.
11/ Association nationale des commissaires et attachés du cadre auxiliaire du commissariat de l’armée de l’air, devenant ensuite Association nationale des commissaires de l’air (ANCA)