DC-6 (escadrilles.org) |
Je débarque à Djibouti le 31 juillet 1968, à 2 heures du
matin, après 16 heures de DC-6 et une
heure d’escale technique au Caire. Après la clim de l’avion, il y a un petit
40° sur le parking, pour se mettre dans l’ambiance…
Les éléments Air à
Djibouti
Skyraider |
Le Commissariat de l’air est installé en ville, derrière la
cathédrale, avec le Commandement de l’Air, au bout d’une petite allée dotée
d’une belle plaque émaillée « Boulevard Victor » posée malicieusement
par nos chasseurs, qui occupent sur place quelques chambres. En face, un beau
jardin, la voie du chemin de fer franco-éthiopien (2 trains par jour) et
la plage de l’océan indien pour nos parties de volley !
A côté, le commandant de l’Air, qui dispose d’un officier
supérieur détaché à l’état-major, d’un aide de camp, et d’une secrétaire (j’ai
embauché à ce poste la jeune épouse du commissaire lieutenant Erschler (ECA 67,
stagiaire sur la base).
Quant à la direction du commissariat de l’air, elle est riche
de cinq sous-officiers, d’un appelé du contingent et d’une secrétaire civile.
Fonctionnellement, je relève directement du ministre
(Directeur central du commissariat de l’air), contrairement au colonel
directeur de l’intendance, qui relève d’une hiérarchie compliquée héritée
des troupes coloniales…: Etat-Major, Com. Sup., Haut-Commissaire du Territoire.
Résultat : si nous lançons chacun en même temps un appel d’offres, que nous dépouillons ensemble,
je signe le marché Air et la livraison s’effectue en quelques semaines,
alors que le projet de marché Terre circule encore dans les bureaux !
Mes attributions sont celles d’une mini-direction du Commissariat :
je suis ordonnateur, j’assure la surveillance administrative et la vérification
des comptes de la BA 188, implantée à quelques kilomètres du centre-ville. En
outre, la prise en charge des familles, logement et ameublement, occupe une
large part de mes activités : c’est moi qui recherche, négocie, gère et équipe la centaine de logements pris
à bail localement. Vous n’imaginez pas les difficultés, les interminables
palabres avec les propriétaires (quand on n’avait pas à passer par le
« comprador », intermédiaire oriental souvent indispensable) ;
ces propriétaires dont la variété,
certes folklorique, faisait tout le charme : ministres et députés locaux
(les plus exigeants), tenancières de « maisons » (les plus
conciliantes), Yéménites, hindous et Libanais de tout poil …
Je me suis attaché à améliorer sérieusement l’équipement de
ces logements, pour leur attribuer un niveau de confort plus satisfaisant et
plus actuel que celui des sacro-saintes dotations établies à une époque où le
terme « climatiseur » n’existait pas !
J’ai aussi en charge les engagements/rengagements des
militaires et des civils. Problème pour les engagés locaux : contrairement
aux métropolitains, ils sont capables de … rajeunir ! La limite d’âge
étant de 36 ans, quand ils approchent de cette échéance, ils sont tout à fait à
même de fournir un certificat de naissance leur enlevant deux ou trois ans
d’âge, en fonction du backchich
qu’ils auront pu verser : le prix d’une ou deux chamelles…J’ai eu beaucoup
de peine à convaincre la DPMAA que leur aptitude à servir n’était en rien
diminuée …
Djibouti : Une
autre planète
Le Territoire Français des Afars et des Issas, nouveau nom de
la Côte française des Somalis, bénéficiait d’une relative autonomie, sous
l’autorité d’un Haut-Commissaire, Dominique Ponchardier, (oui, celui qui a
écrit « les gorilles » sous le pseudonyme d'A.L. Dominique).
L’activité du port, débouché de l’Ethiopie
par le fameux chemin de fer, était très réduite, le canal de Suez n’ayant pas
encore été rouvert. Une des principales ressources du port était constituée par
…les dépenses d’une collectivité militaire, armées et familles, de plus de 6000
personnes.
Contrairement aux idées reçues, la végétation ne se limite
pas au palmier en zinc (un simple restaurant !). Il y a pas mal de beaux
arbres (lauriers du Yémen,) et même des jardins et quelques maigres troupeaux
de chèvres et de chameaux, mais l’ensemble du territoire est désertique, et le
plus souvent volcanique. Quelques paysages grandioses, mais l’intérêt
touristique principal, c’est l’océan indien, ses plages et ses fonds
sous-marins.
Et la chaleur, me direz-vous ? Et bien on s’adapte :
les horaires de travail sont aménagés : du lundi au samedi : 6 heures
30 - 13 heures, les chambres et les
bureaux sont climatisés, il y a des brasseurs d’air dans les hangars, on évite
les expositions trop longues à la chaleur, on s’hydrate.
On s’étonne, aussi : les piscines, par exemple, ferment
de juin à septembre. Et pourquoi ? Tout simplement parce que leur eau est
trop chaude en été !
Un jour, on m’a soumis un problème : les chiens de
guerre se brûlent les pattes sur le ciment des parkings ? Solution trouvée
- dans le catalogue Manufrance, qui existait à l’époque - des
« bottes pour chien », aussitôt commandées. Mais pas de chance, les
chiens les grignotent. Solution : enduire les bottes d’un produit répulsif !
La chaleur diminuant un peu à la fin de l’été, je peux
envisager de me faire enfin rejoindre par la famille. Ma chère épouse et nos
deux garçons (2 ans et demi, 8 mois, le troisième naîtra à Djibouti…) arrivent
après l’interminable voyage en DC-6, un peu avant le container des bagages qui,
lui, prend son temps en passant par Le
Cap, à défaut du canal de Suez.
Nous sommes
bien logés dans l’appartement de mon prédécesseur à la "Cité de l’Air", en ville,
vaste, deux chambres climatisées, des
voisins agréables.
La découverte de la
corne de l’Afrique
Commence alors la vie habituelle des européens sur le
Territoire : militaires des quatre armées et leurs familles, auxquelles
sont heureuses de se raccrocher quelques familles de fonctionnaires et de
cadres : beaucoup de plage, de pots et repas le plus souvent décontractés,
de sport (tennis) et surtout d’activités nautiques : voile, ski nautique,
ramassage de coquillages et enfin le must :
la plongée libre, agrémentée ou non de chasse sous-marine. Beaucoup ont acheté
un bateau, (dont moi), le plus souvent un
Zodiac. Les fonds sous-marins, coralliens, sont splendides, regorgent de
poissons et de coraux multicolores : on ne s’en lasse pas, avec le masque
et le tuba, et un tee-shirt pour ne pas se brûler le dos : on n’a jamais
froid, et on y reste des heures …Le lieu idéal, ce sont les îles Mascali
et Moucha, à quelques kilomètres de Djibouti, où on va passer la journée en Zodiac,
le déjeuner et les boissons bien au frais dans la Coubaïa, et de préférence avec une bande d’amis.
On va aussi se mettre au frais (relatif) à Arta, au bout des seuls 30 kms de route goudronnée de tout le territoire (à l’époque). Il y a même un cinéma à Djibouti, que son propriétaire décrit fièrement comme « le plus grand cinéma en plein air … d’Europe »
On va aussi se mettre au frais (relatif) à Arta, au bout des seuls 30 kms de route goudronnée de tout le territoire (à l’époque). Il y a même un cinéma à Djibouti, que son propriétaire décrit fièrement comme « le plus grand cinéma en plein air … d’Europe »
On monte aussi de grandes expéditions maritimes en affrétant
un boutre (à trente ou quarante), pour aller bivouaquer le week-end à Tadjoura,
Obock et surtout dans le Goubet, sorte de lac marin au fond du golfe de
Tadjoura, doté de fonds splendides et d’énormes poissons, et de paysages d’une
minéralité dantesque, puisqu’à base de volcans depuis peu inactifs, comme l’Ile
du Diable. J’y ai nagé un jour à côté d’un « petit »
requin-baleine : pas plus d’une dizaine de mètres : heureusement
qu’ils ne se nourrissent que de plancton !
Pour changer, on monte des virées automobiles dans le désert,
en 4L et parfois en Land Rover. C’est ainsi que nous sommes allés à Dikhil,
après avoir traversé le désert du Grand Bara, célébrer avec des amis dans le poste
de Légion les 3 ans de mon fils; à peine informés, ces sacrés
légionnaires ont improvisé la confection d’un superbe gâteau pour fêter ça,
avant de lui faire admirer la dernière lionne du territoire (en cage) !
Grande virée aussi que celle au Daï, montagne couverte d’une vraie forêt primaire, avec des arbres
autres que des épineux, et même des singes, expédition interarmées et familiale
montée à près de vingt amis, avec de gros moyens : un LCM de la Marine, des
4x4 et même un DC3 pour le retour !
Mais voilà-t-il pas que, le 11 juillet, il prend fantaisie à M.
Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, de dévaluer le franc… Or, le franc-Djibouti était indexé sur le
dollar ! Le commandant de l’Air, affolé par cette opération inattendue, fait
appeler son commissaire par le canal de l’ambassade en Ethiopie : il faut
venir prendre les mesures nécessaires de toute urgence…
Mais comment rejoindre Djibouti ? Ce n’est pas le problème de l’ambassadeur ! Je me débrouille donc à faire venir un Noratlas à Addis, que je rejoins par une interminable piste en taxi-brousse. Arrivé enfin à Djibouti, il me suffit de quelques minutes pour régler le problème avec le Trésorier Payeur Général. Il ne me reste plus qu’à faire, pas heureux, le trajet en sens inverse par les mêmes moyens y compris le Noratlas, mais en liaison régulière cette fois. Au total, près d’une semaine de vacances perdue.
Mais comment rejoindre Djibouti ? Ce n’est pas le problème de l’ambassadeur ! Je me débrouille donc à faire venir un Noratlas à Addis, que je rejoins par une interminable piste en taxi-brousse. Arrivé enfin à Djibouti, il me suffit de quelques minutes pour régler le problème avec le Trésorier Payeur Général. Il ne me reste plus qu’à faire, pas heureux, le trajet en sens inverse par les mêmes moyens y compris le Noratlas, mais en liaison régulière cette fois. Au total, près d’une semaine de vacances perdue.
Autre expédition, quelques mois plus tard. Une amie faisant
escale à Djibout’ en allant à La Réunion, je lui propose un voyage dépaysant à
Addis-Abeba. Nous voici partis après avoir confié les enfants aux Erschler.
J’avais retenu un demi-wagon de 1ère classe du célèbre train franco-
éthiopien. Nous y disposions de deux cabines, d’un cabinet de toilette avec
glacière, et d’un balcon, comme dans les trains du Far West, le tout en acajou,
cuivre et vieux cuir…Le train mettait 17 heures pour faire 700 kms : on
avait le temps d’admirer le paysage et même de descendre en marche dans les
côtes pour filmer !
La nuit venue, paisiblement couchés dans nos cabines, ma femme et moi sommes réveillés par un hurlement de notre amie : elle avait aperçu, juste de l’autre côté de sa fenêtre, en gros plan, la face certes souriante mais avec des dents taillées en pointe (c’est plus joli !) d’un bel Afar bien noir. En fait, ce pauvre homme se rendait simplement à l’arrière du train, et, comme il n’y avait pas de couloir, il y allait par l’extérieur, sur les marchepieds !
La nuit venue, paisiblement couchés dans nos cabines, ma femme et moi sommes réveillés par un hurlement de notre amie : elle avait aperçu, juste de l’autre côté de sa fenêtre, en gros plan, la face certes souriante mais avec des dents taillées en pointe (c’est plus joli !) d’un bel Afar bien noir. En fait, ce pauvre homme se rendait simplement à l’arrière du train, et, comme il n’y avait pas de couloir, il y allait par l’extérieur, sur les marchepieds !
DC-3 |
On y a fait les pleins, avec une pompe à main, pendant que
les passagers attendaient, à la seule ombre du terrain, celle de l’aile de
l’avion…
Pendant ce temps-là, les Erschler étaient venus nous attendre
à l’heure prévue à l’aéroport. Pas trace d’avion. La tour de contrôle,
consultée, leur dit qu’un avion a bien décollé il y a plusieurs heures d’Addis,
mais qu’on ne sait pas où il est passé…Les Erschler reviennent chez eux,
envisageant avec inquiétude ce qu’ils vont faire de petits orphelins ...
La tour les rappelle enfin : on a retrouvé trace de l’avion. Ils partent,
soulagés, nous accueillir et rendre les enfants. Je crois que notre amie se souviendra
longtemps du voyage !
Des anecdotes comme cela, j’en aurais plein à vous raconter, mais
je ne veux pas lasser davantage votre patience.
Comprenez cependant que je suis infiniment reconnaissant à
l’Armée de l’Air et à son Commissariat de m’avoir donné cette affectation
exotique. Pour un jeune officier, c’est l’opportunité de prendre des
responsabilités, de réagir à l’imprévu, sans la sécurité d’un cadre
institutionnel bien établi, de découvrir la force d’une petite équipe bien
soudée, avec des sous-officiers compétents et motivés, et enfin de mettre un
peu d’aventure dans la grisaille du quotidien !
C’est aussi, je pense, tout l’intérêt des départs en OPEX,
désormais proposés à nos jeunes commissaires.