lundi 11 novembre 2019

Chez les commissaires de l'air en 1979

On ne relit pas un article d'Air Actualités d'il y a 40 ans avec une perception identique selon que l'on a été en activité à cette époque, que l'on soit un universitaire intéressé par l'histoire de l'administration militaire, ou encore un commissaire des armées aujourd'hui en activité. Mais que chacun prenne le même plaisir à lire ce texte, quel que soit son passé ou son présent !

CHEZ LES COMMISSAIRES DE L'AIR 

« Il doit vraisemblablement être responsable du maintien de l'ordre et du respect de la discipline », pense M. Tout.le Monde quand on lui parle du "commissaire de l'air".

En fait, le commissaire de l'air appartient à un corps qui a en charge la direction de l'administration de l'Armée de l'air. C'est un gestionnaire, un administrateur ayant une formation universitaire. Serait-il, dès lors, une sorte de haut fonctionnaire travaillant pour le compte de l'armée, maniant comptes et statistiques aussi aisément que le militaire tire au P.M. ou pilote un avion ?


On ne peut oublier qu'en définitive le commissaire de l’air est un officier à part entière portant le même uniforme avec pour signe distinctif une feuille d'acanthe et un parement de velours brun-loutre sous ses galons d'or ! Cet officier administrateur commande des personnels militaires comme des fonctionnaires civils et des ouvriers. On le voit partout : sur les bases aériennes, où le commissaire de base est chef des services administratifs et de restauration; au niveau des régions aériennes, dans les directions régionales du commissariat; au niveau ministériel, dans les états-majors et les directions de services, particulièrement la Direction centrale du commissariat de l'air; bref, partout où se trouvent des hommes qu'il faut nourrir, habiller, rémunérer, partout où il s'avère indispensable d'assurer certains ravitaillements en matériels de toutes sortes.

Ecouter un commissaire de l'air vous conter son emploi du temps ne suffit guère pour se faire une idée du commissariat de l'air. En effet, les expériences, les fonctions de l'un diffèrent parfois sensiblement de celles d'un autre. A chacun son histoire, ses problèmes, ses aventures. C'est un métier aux mille et une activités que nous allons découvrir, exercé par des anti-technocrates et des anti- bureaucrates, officiers parmi d'autres.

De l'étudiant au commissaire, du commissaire au haut fonctionnaire, le passage se fait naturellement. Les mondes civil et militaire ne sont pas cloisonnés, ignorants l'un de l'autre. Pour ceux qui n'en seraient pas convaincus, la vie des commissaires de l'air en reste une preuve vivante.

LE MÉTIER DES MILLE ET UNE ACTIVITÉS 

La biographie du commissaire général Claude Arin, directeur du commissariat de la F.A.TAC lère R.A, celle du commissaire-colonel Marc Thomas, « l'homme de terrain» en fonction sur la base de Rochefort, et enfin celle de M. Michel Trémois, ancien commissaire reconverti, nous montrent un éventail impressionnant de postes occupés au cours de leurs carrières. En outre, les activités au sein d'un même poste demeurent multiples et variées. Routine et monotonie n'ont dès lors pas leur place.

Variété des postes 
Neuf emplois différents ont été exercés par M. Trémois. D'abord officier des détails en Afrique du Nord, il est  affecté pour finir à la Direction centrale du commissariat de l'air, où il a travaillé à la mise au point du nouveau statut des commissaires. Entre-temps, il aura contribué à la protection des brevets d'invention au sein de la Direction de la sécurité militaire, expérimenté parmi les tout premiers la nouvelle formule des commissaires sur une base aérienne, dissous le commissariat des bases de l'air de Rochefort. .. Le commissaire colonel Thomas commença sa carrière en Algérie. Basé à Oran, son ressort territorial était immense, s'étendant jusqu'à Colomb-Béchar et Tindouf avec en outre quelques postes très éloignés. Chaque semaine, il passait deux à trois jours en dehors de la base. Les liaisons se faisaient en jeep et en avion. Présentement commissaire sur la base de Rochefort, il doit s'affronter à d'autres problèmes exigeant tout autant d'énergie même si les déplacements sont moindres. Quant au commissaire général Arin, sa carrière le mena de Tananarive à Metz, par Salon, Tours, Paris ... lui aussi dans des postes fort variés.

Variété des activités 

Depuis deux ans, les attributions du commissaire de base se sont étoffées. Non seulement ce dernier est le chef des services administratifs, du service des effectifs, de la trésorerie, des matériels et de la comptabilité centralisée, mais encore la restauration lui revient. Ainsi, une commission des denrées alimentaires est placée sous la direction du commissaire de la base de Rochefort. La création d'un groupement d'achat avec Saintes et Cognac permet d'obtenir une plus large concurrence de la part des fournisseurs.

Il s'agit, pour le commissaire Thomas, d'atteindre des prix concurrentiels en contrôlant les fournitures, les produits de la production à la consommation. Ainsi, par exemple, une boucherie débitant la viande a été mise au point et toute la pâtisserie consommée est réalisée sur place. On a même installé une machine à fabriquer de la vaisselle jetable ! Des compagnies privées de restauration auxquelles il est fait appel dispensent des conseils pratiques pour la mise au point de certaines opérations. Enfin, des engagés locaux pour une courte période effectuent des tâches d'exécution: cuisine, comptabilité.
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Le commissaire exerce également de nombreuses autres missions : gestion du personnel civil, contentieux, conseil juridique du commandement et des différents personnels, animation d'une coopérative. En outre, en tant que commandant d'unité, il est chargé de l'administration non seulement des militaires sur lesquels il a autorité, mais encore des très nombreux détachés qui, par leur position particulière, posent souvent des problèmes délicats.

Le commissaire colonel Thomas et le commissariat en général ont eu enfin un rôle fort important à jouer dans la construction de la nouvelle base de Rochefort dont la conception architecturale est assez révolutionnaire (cf. Air Actualité, n° 311).

Des enquêtes d'opinion ont été réalisées de telle sorte que les élèves de la base école ont pu formuler leurs souhaits et jugements. Le commissaire Thomas s'est efforcé de susciter une animation permanente, demandant une participation active des élèves et les mettant à même de réaliser leurs vœux. Ici, la concertation se traduit par des faits ! Directement géré par le commissaire de la base, un immense centre d'animation socio-culturelle fournit aux élèves des prestations de service telles que blanchisserie, banques, salons de coiffure, terminal de réservations et places S.N.C.F., auditoriums de musique.

La déconcentration à l'échelon des bases implique une première déconcentration au niveau des régions aériennes. «Le directeur du commissariat d'une région aérienne, précise le commissaire général Arin, se voit successivement métamorphosé en manager de l'administration, en ordonnateur de dépenses, en conseiller juridique traitant des problèmes du contentieux. »

Ces différentes mutations supposent 'non seulement une parfaite maîtrise de chacun des dossiers examinés mais aussi la faculté de rapidement s'adapter à des sujets hétéroclites.

L'administrateur établit les besoins en crédits de la région aérienne; ceux- ci étant alloués sont ensuite répartis entre les bases. Après vérification, il donne enfin ordre au trésorier-payeur général de payer les dépenses. En fait, les ressources mises à la disposition du général commandant la région aérienne au titre des budgets de fonctionnement, de l'alimentation et de l'équipement des bases aériennes sont des masses globales devant être réparties entre les unités. En outre, la Direction régionale du commissariat passe pour le compte des bases des marchés d'approvisionnement en denrées alimentaires : si bien que les services du commissariat régional ont depuis peu de temps pris en charge la prospection, la négociation, la passation de conventions avec les fournisseurs.

« Le juriste », lui, étudie les dossiers relatifs aux réparations civiles notamment les dommages causés par les militaires ou aux militaires. Le nombre des accidents de la route laisse imaginer la quantité des affaires devant être étudiées !

« Le conseiller » est pour le commandement le garant du respect du bon droit. Le « vérificateur» veille au bon fonctionnement des opérations ayant une incidence financière. Seule une organisation rationnelle permet d'éviter les gaspillages. Quant au « manager de l'administration», il participe à l'élaboration et à l'application de la réglementation. Prenant ainsi conscience de la réalité des textes en vigueur, le commissaire ne peut être qu'un anti-technocrate et un anti- bureaucrate.

L'ANTI-TECHNOCRATE ET L'ANTI-BUREAUCRATE 

Direction et exécution de l'administration 

Certes, le rôle du commissaire ne consiste pas à refaire la loi ou le règlement à la place du législateur ou de l'autorité gouvernementale. Néanmoins, parmi les règles émanant de l'administration centrale, certaines peuvent être insuffisantes. Le commissaire propose de les modifier. Il est également chargé d'interpréter la réglementation existante. Dans la mesure où il contribue lui-même à l'élaboration d'un texte et constate concrètement ce que devient ce dernier quand il est mis en « pratique », le commissaire se trouve particulièrement bien placé pour infléchir ou faire modifier des règles désuètes. C'est en quelque sorte la loi de l'arroseur arrosé ! « Lorsque, nous déclare le commissaire Thomas, l'application stricte, rigide, mécanique d'un texte aboutit à un résultat absurde, inique, courtelinesque - que son auteur n'a pu vouloir, pas plus que celui qui est chargé de l'appliquer ne peut estimer satisfaisant - j'estime que sa lettre peut être respectée mais que son esprit est trahi. C'est alors qu'il faut faire preuve d'imagination pour donner au texte une orientation conforme à sa finalité. »

Dans le cadre de ses fonctions,  M. Trémois, ancien commissaire de l'air et présentement inspecteur général de la Sécurité sociale, est conduit à apprécier la valeur d'une réglementation qu'il est chargé de faire respecter. L'exercice de son métier de commissaire n'a pu que l'aider dans ses nouvelles tâches. Incontestablement, tous les commissaires ayant eu des responsabilités à exercer dans la France d'outre-mer ou dans le Maghreb ont un état d'esprit original et le sens du « savoir-faire ».

Le savoir-faire 

Pour le commissaire Thomas, la fonction de commissaire c'est un tiers de savoir, un tiers de savoir-vivre et un tiers de savoir-faire. Mais surtout, il importe de savoir faire faire. 

 « Tous ceux qui ont· occupé des postes dans l'administration d'outre- mer ont acquis une expérience irremplaçable, aime à souligner, à titre de comparaison, le commissaire général Arin, éloignés de l'Administration centrale, ils eurent à assumer des responsabilités dépassant le cadre établi ; c'est la fonction primordiale et c'est l'attrait du métier d'administrateur actif. »

Les postes outre-mer sont moins nombreux, mais on retrouve un peu les mêmes conditions de travail dans les postes de commissaire de base où l'on est confronté tous les jours à des problèmes ingrats et nouveaux (la solution n'est pas forcément dans les textes). Ainsi le commissaire Thomas à Rochefort : il lui fallut résoudre à chaque moment un problème de coût-efficacité ou même un problème de comptabilité analytique. L'art d'effectuer des choix et de prendre promptement les décisions nécessaires s'acquiert par l'expérience plus qu'il ne s'enseigne. C'est pour un gestionnaire une évidente qualité, mais aussi pour un militaire: ne l'oublions pas, le commissaire est un officier.

LE COMMISSAIRE DE L'AIR: UN OFFICIER A PART ENTIÈRE 

Une formation militaire à Salon-de-Provence 

A peine sortis de l'université, les jeunes élèves commissaires vont cinq semaines durant s'initier à un entraînement purement militaire et sportif : instruction militaire de base, sports variés allant de la course de fond jusqu'au parachutisme, connaissance des techniques aéronautiques du vol à voile ou à moteur ...

En première année d'école, cinq cent quatre-vingts séances sont consacrées à l'instruction militaire, contre trois cent quatre-vingt-dix en seconde année. Si, dès le début, la formation du soldat prend plus de temps que celle de l'administrateur, les coefficients affectant les séances d'instruction militaire restent sensiblement inférieurs à ceux affectant les cours d'instruction professionnelle.

Comment réagissent les « poussins » nouvellement trempés dans une atmosphère d'école militaire?

A dire vrai, tout dépend de leur formation antérieure. Celui qui vient d'accomplir son service national auprès d'un commissaire de l'air ou celui qui prépare le concours du commissariat de l'air depuis un an dans un Institut d'Etudes Politiques ne réagit pas comme l'étudiant s'étant présenté à un certain nombre de concours dont celui de commissaire et qui n'a qu'une faible idée de la vie militaire.

« On reçoit quelques chocs, nous confie une jeune élève commissaire, mais en définitive, on apprend beaucoup sur soi-même, sur ses propres capacités, sa volonté ; on apprend à oublier les vieil/es habitudes de la Fac, à compter un peu plus sur les autres et à donner beaucoup plus, cela est positif ! »
Les élèves commissaires sont-ils bien intégrés à l'Armée de l'air ? En tous les cas, tout est fait pour. Les poussins deviennent assez rapidement aspirants car il est indispensable de tenir compte de leur âge et de leur passé. Ils sont tous au moins titulaires d'une licence, d'une maîtrise ou de certains diplômes équivalents nécessaires pour se présenter au concours. Les élèves commissaires jouissent dès lors de certains privilèges allant de l'absence de « bahutage » jusqu'au statut d'externe. Mais en définitive, ils se considèrent comme parfaitement intégrés à l'Armée de l'air: « On souffrirait de rester à l'écart; on est tout de même des officiers, tout au moins on doit le devenir; ce serait grave de n'être que des gestionnaires dans leur petit bureau. » Celle qui parle appartient au petit nombre des élèves féminins; Françoise Cros, qui jusqu'alors n'avait guère l'habitude de déjeuner en treillis, semble prendre les choses avec une certaine philosophie.

Des commissaires dans le feu de l'action 

Lorsque les circonstances l'imposent, le commissaire de l'air participe comme tous les autres officiers à l'exécution de missions spécifiques. Ainsi, le commissaire colonel Thomas assura quelques opérations de maintien de l'ordre en Algérie et certaines gardes.

De même, M. Trémois fut affecté à sa sortie de l'Ecole du commissariat en 1959 dans le groupe de bombardement 2/91 Guyenne, unité volante. C’était une époque où les troubles en Algérie ne touchaient pas encore à leur fin. Comme combattants, les commissaires ne participent guère à des grandes manœuvres. Seulement, les exigences de la sécurité des hommes et du matériel donnent aux gestionnaires l'occasion de faire valoir leurs qualités militaires; Devant le péril, nous pourrions dire comme Pascal que « nous sommes tous embarqués ... »

Ceci est particulièrement vrai pour les commissaires de base qui, en tant que commandants d'unités, participent activement à la défense de leur base. Ils participent également au service intérieur, comme officiers de garde ou officiers supérieurs de semaine.

Si le commissaire de l'air peut faire face à des événements imprévus de temps de guerre, il a tout autant de facilités à «naviguer» dans les eaux de la vie civile. Non seulement ses qualités sont reconnues, mais elles sont recherchées.

DU CIVIL AU MILITAIRE, DU MILITAIRE AU CIVIL, UN PASSAGE SANS HISTOIRE.

Un enseignement professionnel adapté aux réalités 

L'enseignement dispensé aux étudiants reste généralement abstrait. L'étudiant en droit par exemple, familiarisé avec la philosophie juridique ou la science administrative, serait peu capable de résoudre un cas pratique. A l'école de Salon-de-Provence, les matières étudiées sont plus précises, plus fouillées. «J'ai fait des recherches en doctorat sur les marchés publics, nous dit Françoise Cros. Nous passions allègrement sur les questions de délais ou les points de détail. Ici, au contraire, on y reste plus longtemps, c'est très réaliste. »

Il existe des cours portant sur des matières administratives : statut du personnel, organisation de la défense, régime des traitements, soldes et rémunérations ; d'autres abordent les techniques propres au commissariat de l'air : technologie des textiles et des cuirs, informatique générale et de gestion ...

Certains commissaires sont des techniciens spécialistes du cuir, des textiles, de l'ameublement. .. Il n'est pas négligeable que des commissaires aient une formation équivalant à celle des ingénieurs des entreprises de fabrication. Comment choisir, acheter et vérifier des matériels si on ne les connaît pas avec précision ?

Enfin, sont enseignées les techniques de gestion. Elles seront d'une grande utilité aux futurs commissaires en exercice après leurs deux années d'études et leurs deux autres années de stage. Et elles pourront être mises en œuvre tout autant dans le secteur civil.

Une fenêtre ouverte sur le monde civil 

« Il faudrait recruter davantage à la base pour permettre des départs en fin de carrière. » Tel est le vœu formulé par M. Trémois qui a quitté le commissariat de l'air pour des raisons personnelles n'ayant rien à voir avec l'intérêt qu'il a pu avoir pour le métier: « Je n'aurais jamais quitté le commissariat de l'air pour avoir des fonctions de bureau trop statiques et sédentaires. » Si la trentaine des commissaires ayant abandonné l'uniforme au cours des vingt dernières années gardent autant d'enthousiasme quand on les amène à conter leurs souvenirs au sein du commissariat, on ne peut espérer une meilleure image pour l'Armée de l'air ! Il faut reconnaître que ce sont souvent pour des considérations d'ordre familial que les commissaires cherchent un emploi dans l'administration civile. Les mutations n'ont pas que des avantages.

Des postes extérieurs à l'Armée de l'air sont normalement dévolus à des commissaires se trouvant de ce fait en position de service détaché.

Au début et jusqu'en 1975, quitter le commissariat de l'air avant l'écoulement de vingt-cinq années de service s'avérait difficile. Cela se comprenait fort bien du fait de la jeunesse du corps. Aujourd'hui, la direction centrale facilite les départs dans la mesure du possible. Les qualités du commissaire de l'air qui ont « le vent en poupe» dans le monde civil sont diverses :

Le commissaire de l'air, en contact permanent avec les hommes, ne peut être un individu froid et sans âme, administrant avec détachement des dossiers dévitalisés. Si d'aucuns lui reprochent de s'intéresser à des détails de la vie quotidienne, ils oublient peut-être que c'est à force d'améliorer des détails que l'on découvre un jour un nouveau style d'existence.

« L'efficacité, le souci d'aller au fond des choses en faisant vite, si possible; la volonté d'atteindre un objectif quels que soient les obstacles, le sens de la mission réussie. » M. Trémois précise que l'on fait toujours appel à l'inspection générale quand une affaire est difficile. L'inspecteur général comme le commissaire doivent faire preuve de beaucoup de psychologie dans certaines situations. C'est ce que nous avons appelé le « savoir-faire» et le « savoir-vivre».

Philippe Lebé (BCR.E)

Air Actualités n° 320 avril 1979